9 Octobre 2018
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Deux articles publiés en 2008 dans le journal Réflexions permettent de mieux comprendre la position à cette date des lambertistes sur la crise de l’environnement.
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Commentaire liminaire
Après la parution en 1978 dans IO [1] des extraits de mon texte « Marxisme et écologie », plus de 30 ans se sont déroulés sans que les questions environnementales réapparaissent dans la presse lambertiste si ce n’est de manière anecdotique. En 2008, le Parti des Travailleurs, avatar de l’époque de l’ex-OCI, lança un processus de préparation à la fondation d’un ‘nouveau’ parti, le Parti Ouvrier Indépendant, qui promettait d’être plus ‘ouvert’ que les précédentes organisations lambertistes, notamment sur les questions d’environnement, et je décidai de m’associer à ce processus. À cette occasion, je repris contact avec mon ami d’études Georges Hoffmann (1951‒2014), normalien, professeur de SVT en classe préparatoire, premier secrétaire de la fédération du Parti Socialiste du Bas-Rhin de 1981 à 1983, fondateur et responsable du courant ‘Socialisme Maintenu’ du PS de 1983 à 1986, et rédacteur-en-chef de sa fondation en 1981 jusqu’à 2008 du journal Réflexions, Pour la défense du socialisme, Revue socialiste, laïque et républicaine. Je lui proposai de reprendre dans ce journal la discussion ouverte par la publication partielle dans IO de mon texte puis immédiatement avortée. Il accepta et Réflexions publia un texte de lui puis des extraits de ma réponse, textes reproduit ci-dessous.
Le texte de Georges contient une intéressante remarque, destinée à expliquer l’absence des questions environnementales dans la presse lambertiste : « Il est également exact que l’hebdomadaire Informations Ouvrières revient très rarement sur des ‘grands sujets de société’, vraisemblablement parce que cela provoque plus de dissensions que cela n’agrège de militants ». Cette remarque me semble aller à l’encontre de l’attitude des lambertistes sur les autres questions politiques. Ce que j’ai apprécié toute ma vie dans ce courant, c’est justement sa volonté permanente d’aller au fond des choses, de clarifier les zones d’ombre dans la pensée et l’action politique, de polémiquer fraternellement avec les autres courants se réclamant du socialisme et du marxisme, sans faire passer les divergences sous le tapis et sans refuser le débat, par exemple en ne mentionnant jamais les points de vue opposés, ce qui évite d’avoir à argumenter contre eux (comme cela a souvent été le cas à l’égard justement des analyses et propositions lambertistes de la part d’autres organisations ‘trotskystes’). C’est cette attitude claire et courageuse qui a permis aux lambertistes, en développant une analyse critique approfondie des positions de Pablo puis de Mandel, de montrer en quoi ces positions s’écartaient de celles de Trotsky et constituaient un ‘révisionnisme liquidateur’, analyses qui n’ont pu être complètement, à terme, ignorées par les pablistes et les ont amenés à infléchir modérément leurs propres points de vue. Dans ces conditions, refuser de discuter les questions environnementales « parce que cela provoque plus de dissensions que cela n’agrège de militants » me paraît une absurdité contre-productive, car cela laisse ces questions dans un flou absolu et n’est certainement pas à même d’« agréger des militants », mis à part des robots fidèles à ‘la ligne du parti’, refusant de réfléchir à ces questions qui sont considérées brûlantes par toute une partie de la société, y compris beaucoup de jeunes et de travailleurs.
Hoffmann s’inscrit en faux contre une proposition imaginaire que je n’ai jamais faite : celle d’un ‘courant écologiste’ dans le POI. Je ne l’ai pas proposée car je n’ai jamais pensé que la reconnaissance de l’urgence environnementale devrait constituer une position marginale ou opposée à la ligne directrice de la politique de l’organisation. Je pense que la crise environnementale est un problème réel et grave mais dont la compréhension et la prise en compte relève en fait des questions fondamentales du marxisme [2], sujet trop longtemps ignoré dans le mouvement ouvrier et qui doit être au cœur des réflexions et propositions d’un parti révolutionnaire au début du 21e siècle.
Le texte de Hoffmann comporte par ailleurs un nombre impressionnant d’autres approximations, caricatures ou calomnies qui démontrent surtout une méconnaissance profonde de ces questions, étonnantes chez un enseignant de sciences naturelles. Ah oui, au début du 21e siècle, « la nature reprend ses droits » ? Dans les forêts profondes d’Alsace peut-être (?), mais ailleurs ? Ces ‘incompréhensions’ (volontaires ?) n’échapperont pas à un lecteur d’aujourd’hui ne serait-ce qu’un peu ouvert et informé, et ne méritent guère de commentaires. Mon article de réponse se concentrait sur quelques-uns de ces points, qui me paraissaient les plus importants.
Un point très significatif est que la critique de Hoffmann, comme celle des lambertistes en général, se trompe (délibérément ?) de cible. Son texte ne répond guère à mes arguments, mais porte sur ceux des ‘écologistes politiques’, dont l’analyse de la crise de l’environnement et les propositions pour en sortir ne se distingue pas de celle des staliniens, et donc en définitive des capitalistes : ‘verdir’ le capitalisme, passer au ‘développement durable’, sinon à la ‘décroissance’, sans changer le système politico-économico-social du capitalisme. Par un tour de passe-passe tel que savent en produire les ‘polémistes professionnels’, la critique de ces ‘solutions’ qui n’en sont pas se transmute en négation de l’existence de la crise de l’environnement, sans qu’aucun argument sérieux soit produit à l’appui de ce négationnisme. Or les marxistes ne doivent pas se déterminer dans leurs prises de position par rapport aux points de vue de l’impérialisme, du stalinisme ou de quelque idéologie que ce soit, mais à partir d’informations objectives et scientifiques puis de leurs propres analyses, menées en s’appuyant sur la méthode marxiste. Certes, et cela n’a rien d’étonnant, le problème de la crise environnementale a été utilisé par la bourgeoisie, par l’impérialisme, en fonction de leurs objectifs propres : notamment pour tenter de faire avaler l’austérité sous couvert de ‘décroissance’. Mais le problème existe-t-il et est-il grave ? La réponse à cette question ne peut se fonder sur les ‘impressions’ d’individus en fonction de ce qu’ils constatent à leur porte, mais sur des données scientifiques. Concernant la crise environnementale et climatique, les chercheurs ont produit ces dernières années un corpus impressionnant de données qui ne laissent pas place au doute, quoi qu’en puissent dire les ‘faussaires scientifiques’ même appartenant à la communauté scientifique (par exemple en France Courtillot ou Allègre) [3]. C’est à partir de ce corpus que les marxistes doivent réfléchir et élaborer des propositions.
La dernière partie de ce texte, sur les attaques actuelles du capitalisme mondial contre la recherche scientifique fondamentale, mérite de retenir l’attention, car elle a peu été soulignée dans la presse marxiste et révolutionnaire. Ces attaques passent par l’‘évaluation’ des chercheurs et des programmes de recherche, et la perte de toute liberté intellectuelle pour les chercheurs de mener des recherches en fonction des questions qu’ils se posent, les financements passant désormais presque tous par les appels d’offre fléchés par les États et par l’UE. Les soi-disant ‘experts’ nommés d’en haut dans les ‘comités’ et ‘commissions’ qui régissent les budgets, les postes et les carrières décident quels sont les disciplines et les programmes qu’il faut développer et lesquels on doit mettre de côté et asphyxier. Il en résulte des silences complices de la communauté scientifique, par exemple pendant des années concernant l’amiante, les pesticides ou les irradiations des populations (Algérie, Mururoa, Tchernobyl), avant que le couvercle ne finisse par sauter. Les disciplines et programmes privilégiés par l’impérialisme en crise le sont en fonction de trois axes principaux.
Le premier, souvent seul mis en exergue, est le développement, souvent en ‘joint venture’ avec des entreprises privées et sous la houlette de celles-ci, de recherches ayant des applications commerciales directes et susceptibles de rapporter des sous, souvent très loin de la mission de ‘progrès de la connaissance humaine (souvent désintéressée) sur le monde’ qui devrait être la mission principale de la recherche soutenue par l’État. Mais il est vrai que les laboratoires publics paupérisés du début du 21e siècle, dont les dotations ministérielles et institutionnelles de base diminuent en permanence, sont contraints de rechercher des financements externes, souvent en se détournant de leurs propres sujets de recherche.
Le deuxième point, très rarement mentionné, est le fait que quasiment tous les domaines de recherche privilégiés et valorisés s’appuient sur des technologies lourdes, qui impliquent des investissements considérables en équipements et consommables coûteux : sans préjuger de l’importance et de l’intérêt, réels ou non, de ces recherches, d’un simple point de vue d’une analyse matérialiste il n’est pas niable que celles-ci comportent une dimension importante de transfert d’argent provenant des budgets de recherche depuis le public vers le privé. Chaque chercheur sait bien que, lorsqu’il rédige une demande de financement, il a bien plus de chance d’obtenir un budget important pour un investissement technologique que pour payer des salaires de chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens ou étudiants : en matière de recherche, le capitalisme pourrissant préfère investir dans les machines que dans les cerveaux et les bras. Quelle belle illustration de la phrase « les forces productives ont cessé de croître » !
Enfin, et sans doute surtout, de plus en plus de recherches publiques sont mises au service d’objectifs militaires et policiers. Toute la recherche dans le nucléaire ‘civil’ a en fait des liens très étroits avec le nucléaire militaire [4], ce qui constitue sans doute une des raisons majeures, mais rarement mise en exergue, de l’‘entêtement’ apparemment incompréhensible d’EDF et de l’État français à persister dans cette voie sans issue. La recherche spatiale, qui nous est en général présentée comme étant au service de ‘nobles causes’, comme la prise de films et photos spectaculaires destinées à la vente au ‘grand public’ ou comme la recherche stupide [5] de ‘la vie dans d’autres planètes’ alors que les espèces s’éteignent sur notre globe avant d’avoir été étudiées, comporte des volets dont on nous parle bien moins souvent, notamment un volet policier et militaire (surveillance, espionnage, intervention depuis l’espace dans les conflits) : l’annonce par Trump de la création d’une ‘force de l’espace’ destinée à permettre aux États-Unis de ‘dominer l’espace’ a le mérite de jeter soudain une lumière crue sur ce domaine longtemps laissé dans l’ombre. Le développement considérable et considérablement coûteux des recherches sur l’ADN (avec le séquençage du génome humain), qui nous est présenté comme motivé avant tout par ses potentialités d’applications médicales, a également permis un bond en avant des moyens d’identification des individus, au même titre que les recherches sur la reconnaissance de ceux-ci à partir d’images, même au sein d’une foule [6] : la combinaison de ces deux approches et de la surveillance des personnes à travers les traces électroniques de leur activité permet un flicage des individus qui n’a rien à envier à celui imaginé autrefois par les auteurs de science-fiction [7].
Pour toutes ces raisons, il est légitime de suggérer qu’au début du 21e siècle un parti révolutionnaire devrait mettre à son programme le combat politique pour la réappropriation de la recherche publique par les chercheurs et pour la sortir des mainmises auxquelles elle est actuellement soumise, qu’elles soient étatiques, militaires et policières ou privées.
Notes et références
[1] Pour la signification des sigles employés dans ce billet, voir l’Annexe 1 du premier billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme-5.html>.
[2] Voir à cet égard : Alain Dubois, « Henri Peña-Ruiz : Karl Marx, penseur de l’écologie », <http://lherbu.com/2018/10/pena-ruiz.html>.
[3] Voir à cet égard : Stéphane Foucart, Le populisme climatique : Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, Denoël, 2010.
[4] Voir à cet égard : Corinne Lepage, La vérité sur le nucléaire : le choix interdit, Albin Michel, 2011 ; Alain Dubois, Jean Rostand, un biologiste contre le nucléaire, Berg International, 2012 ; Yves Lenoir, La comédie atomique : l’histoire occultée des dangers des radiations, La Découverte, 2016.
[5] Lire à ce sujet : Jared Diamond, Le troisième chimpanzé, Gallimard, 2000, p. 247–256.
[6] Enseignant-chercheur au Muséum, dans les années 1980, où nous avions à l’époque déjà des budgets de recherche très contraints, je fus surpris de voir que des financements importants étaient soudain proposés pour des recherches dans un domaine qui nous paraissait alors naïvement appartenir à la recherche fondamentale, la morphométrie géométrique (une méthode d’analyses de forme alors qualifiée de ‘révolutionnaire’), et plus encore lorsqu’une des sources importantes de ces financements s’avéra être… l’OTAN, une organisation militaire dirigée par les États-Unis. Ce n’est que plus tard que nous comprîmes que les travaux sur l’analyse de forme, menés dans le :monde entier par des chercheurs académiques sur des financements en partie militaires, allaient avoir des applications concrètes pour la reconnaissance et le traçage des individus à partir de photos, de films pris par des caméras de radio-surveillance, etc.
[7] Par exemple : Ira Levin, Un bonheur insoutenable, Laffont, 1970.
Textes originaux
1. Ecologie : science… ou politique ?
Je voudrais profiter de ce numéro pour revenir sur cette question, à partir d’un article déjà ancien—puisqu’il date de 1977—que m’envoie mon ami Alain Dubois et intitulé « Marxisme et écologie ». Nous n’avons pas la possibilité à Réflexions de le publier en tant que tel puisqu’il fait près de 50 pages et que nous tirons sur 4 pages… Mais il pose un certain nombre de questions que nous allons exposer et reprendre de la manière la plus générale.
L’article estime qu’il existe une « crise mondiale de l’environnement », crise qui est selon lui « l’expression, sur un certain plan, de la putréfaction de l’impérialisme qui entraîne avec lui l’anéantissement de la planète et des hommes qui y habitent ».
Et il cite « la destruction des forêts et des terres », « l’appauvrissement des ressources minérales, végétales et animales du globe » et estime que nous nous acheminons vers « un point de non-retour ».
Et il estime indispensable que cette thématique soit présente dans la propagande d’un parti ouvrier moderne.
Personnellement je suis assez d’accord avec lui sur cette dernière proposition et du reste je crois avoir contribué, modestement, du temps où j’avais des responsabilités, et ce en accord avec tous les courants du Parti des Travailleurs, à ce que cette question apparaisse clairement dans le manifeste de ce parti.
Il est également exact que l’hebdomadaire Informations Ouvrières revient très rarement sur des ‘grands sujets de société’, vraisemblablement parce que cela provoque plus de dissensions que cela n’agrège de militants. Cela dit, on peut en ressentir un certain manque, et rien n’interdit à Réflexions de réfléchir à ces questions.
Je n’ai à titre personnel, compte-tenu d’un âge qui s’avance, d’un état de santé précaire et d’un éloignement des centres de décision, pas l’intention de renouveler ma participation aux instances de direction, je donne donc simplement mon avis : je ne pense pas qu’il faille un ‘courant écologique’ ou ‘écologiste’ dans le parti qui sera proclamé les 14 et 15 juin.
C’est du reste pour éviter ce type de dérive que Pierre Lambert avait de suite fixé les courants du parti, limités à ceux qui étaient traditionnels dans le mouvement ouvrier, tels qu’ils se sont exprimés dans le parti de 1905, qui avait constitué celui-ci sur le plan politique.
Nous avons en effet, avec le camarade Dubois, qui a adhéré au comité pour un POI lors d’une réunion organisée par Réflexions à Ivry, fait une bonne partie de nos études universitaires d’écologie ensemble. Il s’agissait d’études de sciences, de certificats de maîtrise, de DEA, de thèses. L’écologie, au départ, selon le biologiste allemand Ernst Haeckel, science des relations entre les êtres vivants et leur milieu, était considérée comme une part des sciences naturelles, comme une approche du vivant, recherchant, au-delà des questions d’anatomie, de physiologie et de classification, à établir les relations entre les êtres vivants, dans des conditions de stations changeantes. Je suis toujours partant, comme mon ami Dubois, j’allais dire, pour aller au bois, plus sérieusement pour enseigner cela.
Mais ce que l’on appelle l’écologie, les écologistes, a-t-elle, ont-ils, à voir avec cela ?
Peut-on placer l’homme sur le même plan que les autres espèces de la nature ?
N’est-ce pas un peu une dérision contre les droits de l’Homme que de publier une « Déclaration des droits de la nature » comme l’a fait Vadrot ? N’y a-t-il pas sans cesse chez les écologistes cette tendance biblique, celle de l’Apocalypse, prêchant la fin du monde, parce que l’homme pécheur ne se soumet pas à la nature ? La nature n’est-elle pas première pour l’écologiste politique ? Ne faut-il pas d’abord se plier à elle, puisque c’est elle qui devrait être la priorité absolue, avant toutes les questions d’emploi, de salaires, d’activités humaines ?
Et c’est bien là que se pose le problème : l’écologie tant qu’elle reste un travail scientifique sur les espèces qui évoluent sur une station donnée est une science, lorsqu’elle cherche à résoudre les problèmes de l’humanité, elle est une politique.
Et une politique non marxiste, disons, car je n’aime pas les grands mots, qu’elle ne saurait se situer du côté des travailleurs.
S’il s’agit d’une science, fait-on d’un courant scientifique un courant politique ? Faut-il créer des courants mathématiques, physiques, géologiques, géométriques, algébriques, aléatoires, dans le parti ouvrier ?
L’écologie, quand il s’agit d’une politique, est avant tout une des obsessions actuelles de l’impérialisme. Que des courants écologiques se disent ‘révolutionnaires’ me fait encore plus peur. J’en ai vu des ‘révolutionnaires’, des maos attaqueurs de commissariat, destructeurs d’écoles et de syndicats, partis au Larzac, à Boulogne-Billancourt, puis finalement reconvertis dans la psychanalyse, l’ENA, la direction de presse etc. ; j’en ai vu des ‘révolutionnaires’, cadres bancaires, industriels, qui veulent rénover tout, pour instaurer en réalité, au-delà des mots, le talon de fer… J’en ai vu des écolos enragés, qui en veulent à mort aux ouvriers de consommer, aux paysans, aux chasseurs, aux automobilistes, aux fumeurs… Qui dira que cette idéologie ne pourrait pas être celle d’un nouveau despotisme si l’on revenait encore plus loin en arrière du point de vue des acquis ouvriers et démocratiques ?… Alors, et contre ce sens, oui, il faut en parler, en faire un thème important de la discussion pour convaincre.
Car qui a commencé à glorifier les racines, les forêts, la nature, les marches, la défense des animaux, le Lebensraum (le lieu de vie), qui a commencé à réduire la population sur son territoire, à préconiser ‘l’Europe sociale’, sinon l’Allemagne nationale-socialiste, dont le parti dominant s’est construit en intégrant une part importante du courant écologiste (‘Die grünen Vögel’ des NSDAP) ?…
Est-il vrai que « du point de vue des capitalistes, il s’agit non seulement d’une discipline non rentable, mais encore d’un discipline dangereuse, puisque, de plus en plus, elle met en évidence la destruction de l’environnement sur la planète » ?
Une chose est exacte dans cette affirmation, c’est qu’en tant que discipline, l’écologie scientifique n’est pas rentable, pas plus du reste que les autres. Mais en tant qu’idéologie politique, elle est l’expression même de l’impérialisme décadent. Car il y a dans le capitalisme planétaire, à direction US, à la fois la tendance à continuer le pétrole, les automobiles, les routes (je me demande si c’est la pire, on ne peut du reste répondre à cela que par une politique indépendante) et la tendance au carburant ‘bio’ (tendance schnaps), aux skates, aux éoliennes et autres recyclés, renouvelables… Il y a la tendance réduction des maternités, accoucher dans les arbres, attaque contre les vaccins et antibiotiques, attaque contre la vache à lait et contre les sciences en général. Il y a Bush et il y a Gore. Lequel est le meilleur ? On voudrait un parti démocrate en France, qu’on ne serait pas plus écologique…
Mais nous, nous voulons un parti indépendant de l’impérialisme et de ses idéologies.
Cela dit, et là je rejoins pleinement mon camarade en écologie scientifique, il est exact que le capitalisme qui décade [sic], pour faire des sous, piétine les sols et les nappes phréatiques, se moque aussi bien de la disparition d’espèces animales que végétales, et, lorsque cela ne lui rapporte rien, se moque de la pollution de l’air et des cycles climatiques, à moins que cela lui permette de nous taxer. Et je pense que c’est bien ça qu’il faut dire, grâce au parti, inlassablement, pour la défense de l’humanité et de la civilisation, pour la défense de la médecine et de la culture, des sciences et des lettres, de l’écologie, de la chimie, de la physique…
Pour l’instant ce sont les tenants du profit qui utilisent les résultats scientifiques pour vendre des armes, des drogues, des télés et des CD : il n’y a pas d’autre solution que ce soient les tenants de l’autre classe qui s’emparent du pouvoir et ne vendent finalement plus rien, mais planifient au service de l’humanité sans distinction de classe ou de groupe.
Nous n’arriverons qu’ainsi à ce que la vérité se fasse connaître : pour ne prendre que ce seul exemple, je répète et démontre sur un plan scientifique et disciplinaire, depuis 30 ans, que si les forêts tropicales sont pillées (parce que la main d’œuvre ne vaut rien), les forêts ne font que progresser, que s’avancer en Europe depuis maintenant des dizaines d’années. Et on ne me fera pas grief, en tant qu’écologiste forestier et issu d’une dynastie de forestiers, de supposer que je n’aime pas les forêts… Mais il s’agit d’une constatation objective : contrairement au lessivage de cerveaux organisé par l’impérialisme sur toutes les questions écologiques et changeantes au cours du temps (couche d’ozone, dépérissement forestier, réchauffement…), les forêts couvrent une superficie toujours plus forte depuis le début du siècle en Europe. Autrement dit, l’activité industrielle (les ouvriers) et agricole (les paysans) régresse au profit de la nature qui reprend ses droits…Mais à quoi sert-il de répéter tout cela, de chercher à rectifier les mensonges, tant que la classe des profiteurs et leurs idéologues sont au pouvoir ?… Espérons à nous construire.
Georges Hoffmann
Réflexions, N° 158, avril‒mai 2008, p. 2‒4
2. Marxisme et environnement
Je me réjouis que Réflexions ouvre un débat sur le problème des relations entre l’‘écologie’ et la construction du parti ouvrier indépendant dans laquelle nous sommes engagés. Le point de départ de l’article de Georges Hoffmann sur ce sujet (« Ecologie : science… ou politique ? », Réflexions N° 158) était un article, intitulé « Marxisme et écologie », que j’avais écrit en 1977 et qui n’a jamais été publié en intégralité (IO en avait publié des extraits dans quatre numéros successifs à l’époque), et dont j’estime que, plus de trente ans après, il reste pertinent et pose des questions de plus en plus brûlantes. Je comprends bien que Réflexions ne disposait pas de la place pour le reproduire, mais l’article de Georges ne ‘répond’ que d’extrêmement loin à mon texte, et en donne une idée fort réductrice, et en réalité inexacte : ainsi par exemple, on chercherait en vain dans mon texte une apologie des tendances obscurantistes de certains mouvements dits ‘écologistes’, de l’extension des friches agricoles en Europe ou d’une conception chrétienne de l’Apocalypse, et, en pensant à mon grand-père haut-savoyard fusillé dans un champ à la mitrailleuse avec ses camarades par la Gestapo pour résistance, j’ai du mal à voir mes idées, même par allusion indirecte, associées aux idées nazies sur le Lebensraum… Plus qu’une réponse à mon texte, je vois dans celui de Georges une affirmation réitérée de ses idées et ‘obsessions’ sur ces questions, bien connues des lecteurs de Réflexions où il les a déjà maintes fois exprimées. Puisque Réflexions m’en offre la possibilité, je voudrais revenir brièvement sur ces questions, dont l’urgence est à mon sens totale et qui devraient enfin être prises en compte à leur juste place dans le nouveau parti que nous sommes en train de construire.
Une des raisons de la sous-estimation de ces problèmes parmi nous est certainement le fait que ces problèmes ne sont pas des problèmes traditionnels du mouvement ouvrier. Ils ne sont pas mentionnés par les auteurs ‘classiques’ comme Marx, Lénine et Trotsky, et sont évoqués par Engels seulement du bout des lèvres. Il n’y a là rien d’étonnant. Les problèmes environnementaux ne sont certes pas nouveaux, ils existent depuis les débuts de l’humanité. Mais ce qui est foncièrement nouveau est leur ampleur, leur échelle dans le monde depuis un siècle, avec une accélération considérable depuis un demi-siècle.
Il ne faut pas négliger non plus l’‘effet repoussoir’ des ‘écologistes’ sur ces questions, la vague mouvance ‘écologiste’ étant largement manipulée par la bourgeoisie. Faut-il pour autant ‘jeter l’enfant avec l’eau sale du bain’ et décréter que ces problèmes sont une invention de celle-ci, au service de ses intérêts ? C’est ce que semblent indiquer certaines phrases toutes faites que l’on entend parfois, qui démontrent un manque d’information, de réflexion, ou des deux : « il y a déjà eu des crises environnementales et des extinctions sur la terre et la vie a continué » (certes : et alors ? Il y a déjà eu des maisons qui brûlaient et cela n’empêche pas d’appeler les pompiers à chaque nouvel incendie), « la vie est adaptable » (ce qui évoque fortement une croyance religieuse en la toute-puissance de la vie) ou « l’homme peut et doit dominer la nature et se la soumettre » (comme s’il pouvait modifier ses lois et la dominer autrement qu’en comprenant et respectant celles-ci !). Ces positions rappellent très fort les positions traditionnelles des staliniens depuis le milieu du 20e siècle, en URSS et en Europe occidentale. Sur ce point au moins, il est urgent que le parti que nous construisons soit capable d’élaborer une réflexion un peu plus poussée, et qui lui soit propre.
Je commencerai par une clarification terminologique indispensable. Le terme d’écologie, créé par Haeckel en 1866, désigne une discipline scientifique, celle qui étudie l’environnement (ou ‘milieu’), les relations entre celui-ci et les organismes et entre ces derniers (y compris l’homme). En ce qui concerne le terme d’écologiste, qui désignait initialement les scientifiques pratiquant cette discipline, il a été ‘détourné’ à la fin du 20e siècle pour désigner les militants et partisans d’un mouvement politique très hétérogène, allant de l’extrême droite à d’authentiques révolutionnaires ouvriers, mais comportant avant tout des réformistes bourgeois : c’est contre ce mouvement que tempête l’article de Georges. Afin de se démarquer de ce mouvement, qui n’entretient que des liens très lâches, et parfois inexistants, avec la science, les chercheurs impliqués dans la recherche en écologie se sont dotés d’un nouveau terme, celui d’écologues, et ils ne se désignent plus comme écologistes. La nuance peut sembler subtile, et il est vrai que des confusions restent possibles pour un lecteur non prévenu. C’est pourquoi dans ce qui suit je n’emploierai aucun de ces termes, et parlerai simplement de l’environnement, de son étude et de sa destruction.
L’argumentaire que je présentais dans mon texte de 1977, et qui reste entièrement valable aujourd’hui, tient en quelques phrases : (1) la biosphère (les différents milieux peuplés d’êtres vivants de notre globe) a mis des centaines de millions d’années à se constituer, et les échelles de temps concernées par la mise en place de ses éléments et de ses équilibres (faune et végétation, sols, nappes phréatiques, cycles naturels, etc.) sont d’un ordre de grandeur qui n’a rien à voir avec la durée humaine, non seulement des individus, mais même des sociétés et des civilisations ; (2) la terre est un univers fermé, les ressources que la biosphère peut offrir à l’homme sont limitées (les milieux se caractérisent par leur capacité biotique, qui ne peut être augmentée à l’infini), et doivent être réintroduites, après utilisation par l’homme, dans les cycles naturels, sous peine d’épuisement définitif (du moins à l’échelle humaine) ; (3) l’intégrité de ces cycles naturels doit être préservée, faute de quoi il existe un risque d’atteindre un point de non-retour, d’irréversibilité de certaines destructions de l’environnement (du moins à l’échelle humaine) ; (4) par les destructions de l’environnement qu’elles ont directement et indirectement causées, surtout depuis un siècle, en raison de leur expansion et leur activité, les sociétés humaines actuelles de notre planète font peser une menace de plus en plus grave sur l’intégrité de ces cycles et sur les ressources de la biosphère ; (5) le passé nous fournit de nombreux exemples d’écocides, où des sociétés humaines ont surexploité leur milieu jusqu’à entraîner leur propre effondrement (l’Île de Pâques en est le cas le plus spectaculaire) ; (6) les agressions humaines sur les écosystèmes prennent actuellement une ampleur sans précédent, du fait de l’explosion démographique humaine et surtout de la crise considérable de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, qui exploite et détruit plus que jamais ces ressources, de manière complètement irrationnelle, tendant à franchir de nombreux points de non-retour dans des domaines divers (modifications climatiques, destruction des grands biomes forestiers tropicaux, extinctions irréversibles de millions d’espèces vivantes, introduction à des taux élevés dans l’environnement de molécules rares perturbant ou détruisant les cycles ou agressant directement les êtres vivants, etc.) ; (7) à moyen terme, en raison de ces destructions considérables et pour beaucoup irréversibles, ce sont non seulement les conditions de vie, d’alimentation et de santé des populations qui sont en cause, mais la survie même de l’humanité qui est menacée ; (8) malgré toutes les déclarations bruyantes qu’il peut faire à cet égard, l’impérialisme ne peut pas apporter de solution à ces problèmes, et ne peut au contraire que les accentuer d’année en année, de décennie en décennie ; (9) seule une société socialiste, fondée sur la propriété sociale des moyens de production, est à même d’apporter une solution à ces problèmes ; (10) un parti ouvrier, surtout créé en 2008, ne peut manquer d’accorder une place importante à ces questions dans son manifeste, son programme, sa politique, ses mots d’ordre.
Il est impossible d’apporter dans ces quelques pages tous les éléments d’information scientifique sur lequel s’appuie le diagnostic et les prospectives extrêmement négatifs portés ci-dessus sur l’état de la biosphère, de ses ressources, de ces équilibres et de ses cycles. Ces informations, même si elles sont largement fragmentaires et insuffisantes (voir ci-dessous), sont extrêmement nombreuses et variées. A cet égard, il est impossible de se fonder sur des opinions ou de croyances, ou sur des affirmations péremptoires et bruyantes proférées par quelques ‘spécialistes’ auto-proclamés, fussent-ils ministres, anciens ministres ou aspirants-ministres. Il faut aller consulter la littérature scientifique spécialisée, ou des ouvrages de vulgarisation sérieux et documentés. On trouvera à la fin de ce texte quelques références importantes dans ce domaine, qui sont loin toutefois de faire tout le tour de la question.
Pour simplifier à l’extrême les éléments fondamentaux dans ce domaine, on peut dire que trois grands types fondamentaux de causes ont surtout été évoquées, soit seules soit combinées entre elles, pour expliquer la crise de l’environnement actuelle : l’explosion démographique humaine ; l’emploi actuel de la technologie, inféodée aux exigences du système impérialiste pourrissant ; certains aspects de cette technologie en soi. Pour rester très schématique, on pourra dire que dans les pays capitalistes avancés comme l’Amérique-du-Nord et l’Europe, la technologie joue un rôle prépondérant dans la crise de l’environnement, tandis que dans les pays tropicaux ‘sous-développés’, principalement les anciennes colonies européennes, le rôle de l’explosion démographique est prépondérant, sans être toutefois déterminant à lui seul, cette explosion étant elle-même conséquence de la surexploitation et du sous-développement économique dans lequel l’impérialisme maintient ces pays.
Dans les pays tropicaux, la croissance considérable des populations humaines, dans des conditions souvent de pauvreté et d’exploitation extrêmes, a entraîné un approfondissement des agressions traditionnelles des sociétés humaines sur l’environnement. Il ne s’agit pas seulement d’un accroissement démographique, mais également d’une augmentation considérable de l’impact humain par habitant, liée à l’accroissement de l’efficacité des techniques et à celui des besoins humains. Les conséquences en ont été diverses : destruction et modification de nombreux écosystèmes (aquatiques, forestiers, marins, d’altitude, etc.) et particulièrement des grands biomes forestiers tropicaux, ‘poumons de la planète’, réserves de biodiversité, qui jouent un rôle régulateur fondamental dans les équilibres de la biosphère ; conséquences sur les sols : érosion, salinisation, perte de fertilité par suite d’une utilisation maximale de la capacité photosynthétique de la terre; problèmes de gestion de l’eau ; appauvrissement des ressources abiotiques (minérales) et biologiques (animales et végétales : surchasse et surpêche des espèces sauvages, surexploitation forestière ) pour les demandes accrues énergétiques et alimentaires; introduction d’espèces allogènes dans les écosystèmes (pollutions faunistique et floristique), entraînant dans de nombreux cas des déséquilibres dans le milieu ; extinctions irréversibles de la biodiversité, avec des conséquences sur les équilibres des écosystèmes, sans compter la perte d’informations innombrables potentiellement utiles à l’homme et la destruction d’une richesse inconnue et inexploitée. Tous ces problèmes ont été démultipliés, dans le cadre de sociétés soumises à un parasitisme considérable de la part de la bourgeoisie locale comme de l’impérialisme mondial, par l’absence de gestion consciente, rationnelle, informée de manière scientifique, de toutes ces questions.
Dans les pays industrialisés, la cause principale de la crise de l’environnement réside dans les agressions nouvelles (depuis un siècle environ, et surtout depuis la deuxième guerre mondiale), des sociétés humaines sur l’environnement, qui sont liées au développement des sciences et des techniques dans le cadre de la crise de l’impérialisme. Ce qui est avant tout en cause ici, c’est la technologie contemporaine, dans les techniques mêmes qui ont été développées dans cette période: utilisations, aussi bien ‘pacifiques’ que militaires, de l’énergie nucléaire ; dissémination dans tout l’environnement de produits organiques et inorganiques de synthèse (pesticides, engrais, détergents, matières plastiques, etc.), notamment dérivés du pétrole ; emploi de véhicules à moteur à combustion interne ; etc. Les conséquences en ont été variées également : pollutions des sols, des eaux et des airs par des molécules très agressives, non-dégradables ou dégradables à très long terme ; libération dans l’atmosphère de molécules qui modifient les climats, les courants marins, la protection de la planète vis-à-vis des UV, etc. Dans une société socialiste, les effets négatifs sur la biosphère de ces techniques seraient certes susceptibles d’être réduits par une utilisation plus rationnelle et plus soucieuse de la santé humaine et des équilibres de la biosphère, mais, fondamentalement, ce n’est pas d’une plus ou moins bonne application de ces techniques que découlent les problèmes, mais de leur application elle-même. Le développement lors du dernier siècle de ces techniques, à l’exclusion d’autres existantes ou qui auraient pu être développées, infiniment moins destructrices et compatibles avec le respect des cycles et des ressources de la biosphère, n’a été en aucune manière lié aux ‘besoins de l’humanité’, mais aux exigences du profit dans le cadre du système capitaliste.
Il est impossible de développer plus avant ce point ici, mais je prendrai un seul exemple, celui du nucléaire ‘civil’. Les problèmes posés par cette technologie sont innombrables et quasiment tous insolubles à long terme. Ces problèmes procèdent quasiment tous d’une donnée incontournable, à savoir la nature même des rayonnements radioactifs, qui attaquent les cellules vivantes et altèrent leur ADN, y entraînant des mutations génétiquement transmissibles à la descendance. A cet égard, cette technique est infiniment plus dangereuse pour l’humanité et les autres espèces vivantes que toutes les autres techniques modernes : les agressions dont le nucléaire peut être responsable ne concernent pas seulement les individus qui les subissent, mais également toute leur descendance. Parlant du nucléaire militaire (le nucléaire civil n’existait pas encore), le grand biologiste et philosophe Jean Rostand [2] soulignait que l’emploi de cette arme était totalement inacceptable, car celle-ci attaque non seulement les individus mais encore toute l’humanité, présente et à venir. Il en va de même potentiellement pour le nucléaire civil. Avec plus de 430 centrales en service sur le globe, près de 200 en construction ou en projet, ce sont autant de sources possibles d’‘accidents’ aux conséquences incalculables, à côté desquelles la catastrophe de Tchernobyl, le plus grand massacre nucléaire de l’histoire (environ 300.000 victimes directes et 500.000 cancers prévus ; Hiroshima : environ 100‒200.000 victimes ; Nagasaki : 60‒80.000 victimes), risquera d’apparaître comme un bilan modique. Contrairement à la propagande étatique à cet égard, il est et sera impossible à toute société humaine d’empêcher à long terme tout risque d’accident nucléaire, les causes potentielles de tels accidents étant innombrables : erreurs humaines ; déficiences techniques imprévisibles ; catastrophes naturelles telles que séismes et cyclones, ces derniers en forte augmentation prévue pour les années à venir ; sabotage interne ou externe (bombardement, etc.)—et ceci sans parler des risques de détournement des combustibles nucléaires à des fins directement militaires, des problèmes insolubles de stockage des déchets, de la militarisation de la société impliquée, notamment en cas d’accident, par l’emploi de cette technologie, etc. Après le 11 septembre 2001, peu de ‘commentateurs’ ont souligné que si les ‘terroristes’ avaient choisi leurs cibles non pas en fonction de leur charge symbolique mais d’une volonté de faire le plus grand nombre possible de victimes, le choix d’une ou plusieurs centrales nucléaires aurait pu en entraîner des millions ! [2] Un Boeing jeté sur la centrale de Nogent-sur-Seine, à 100 km en amont de Paris, aurait pu avoir pour conséquence des milliers, des dizaines de milliers ou des millions de morts et d’irradiés, sans compter l’impact à long terme sur l’environnement d’une grande partie de la France et sur le patrimoine génétique des survivants et de leurs enfants. Selon une étude de 1965 de l’Atomic Energy Commission américaine (AEC), un accident grave dans une centrale telle que celle de Nogent rendrait inhabitable une superficie de l’ordre du cinquième de la France. En France comme dans la plupart des pays ‘nucléarisés’, le choix du nucléaire n’a jamais été soumis au suffrage des citoyens. Rares sont les pays comme l’Autriche, dont en 1997 le parlement a confirmé à l’unanimité le maintien de la politique nationale anti-nucléaire et où l’énergie nucléaire est anticonstitutionnelle. Les arguments sur le ‘principe de précaution’ et sur l’‘absence de risque zéro’ répétés ad nauseam par bien des plumitifs évacuent le fait qu’une société civilisée peut décider de choisir quels risques elle est prête à courir, et lesquels elle refuse de courir dans tous les cas. Quant à l’argument selon lequel cette énergie, inutilisée pendant la quasi-totalité de l’histoire de l’humanité, serait soudainement devenue ‘incontournable’, il n’est pas fondé, car il existe des solutions techniques permettant de s’en passer et de ne pas courir ses risques, sans pour autant nous contraindre à ‘retourner à l’âge de pierre’.
Nous manquons de recul actuellement, mais la question des OGM, traitée dans le cadre de l’impérialisme pourrissant, nous réserve peut-être des surprises similaires, un ‘Tchernobiol’ que les chercheurs, honnêtes ou malhonnêtes, pris dans le carcan du contrôle très étroit exercé aujourd’hui par le capitalisme sur la recherche (voir ci-dessous), n’auront pas pu plus éviter que dans les cas de l’amiante, du sang contaminé, de l’hormone de croissance, de la maladie de la vache folle, etc.
Un parti ouvrier peut-il ignorer de telles questions, qui concernent l’avenir de toute l’humanité ? Bien entendu, contrairement à ce que prétend la bourgeoisie, ce n’est pas ‘l’homme’, pris de manière indifférenciée, qui est responsable des destructions et des menaces actuelles sur la biosphère, la biodiversité, le climat, les ressources nutritives, la santé, etc. C’est la société de classes et la gestion qu’elle fait de l’environnement, que ce soit dans les pays dépendant directement de l’impérialisme (en Europe, en Amérique et dans le ‘tiers monde’) ou dans les pays où existe une propriété sociale des moyens de production (Chine, Cuba, etc.) mais avec un État bureaucratique. Le système impérialiste, inféodé à la recherche du profit par une minorité d’exploiteurs, est non seulement responsable de la crise de l’environnement, mais incapable d’y apporter une solution. Il se sert au contraire de cette situation pour attaquer encore plus les travailleurs, limiter leurs droits et augmenter leur exploitation, sans pour autant résoudre le problème de fond. Mais cette instrumentalisation de l’‘écologie’ par l’impérialisme ne signifie nullement, bien au contraire, que le problème environnemental soit un faux problème, qui disparaîtrait comme par enchantement si le socialisme mondial était instauré demain.
A l’ère de l’impérialisme pourrissant, les forces productives de l’humanité ont cessé de croître. Dans le cadre de cette société en décomposition, la science et la technique se transforment largement en forces destructives, car elles sont de plus en plus au service direct de l’impérialisme et de la bourgeoisie, pas de l’humanité. Cette destruction de la fonction progressiste de la science et de la technique prend plusieurs formes. L’une d’elle est la parcellarisation des connaissances, la transformation des chercheurs en hyper-spécialistes, la prééminence des disciplines analytiques et le retard des sciences comparatives et de synthèse, notamment en biologie : écologie, biocénotique, systématique, anatomie… Par ailleurs nous assistons depuis quelques décennies à une mise au pas de plus en plus nette des chercheurs en fonction d’une prétendue ‘demande sociétale’ (qui est en fait la demande de la classe dominante). Il en existe plusieurs expressions : recherche financée sur programmes imposés d’en haut par les États (et en Europe de plus en plus par l’UE) ; soi-disant ‘évaluation’ de la recherche et des chercheurs, en fonction de critères souvent fort peu scientifiques ; ‘primes de recherche’, qui ressemblent bien souvent à des ‘primes à la docilité’; soutien à de prétendus ‘pôles d’excellence’; emplois rémunérés de plus en plus sur des contrats à court terme ; surexploitation des étudiants et jeunes chercheurs ; disciplines favorisées et disciplines marginalisées ou sabotées. Les chercheurs ont peu de moyens individuels de se soustraire à cette pression, dont on trouve une expression concentrée par exemple dans l’assourdissant silence de l’ensemble de la communauté scientifique française lors de l’arrivée du nuage de Tchernobyl sur la France, sur le nucléaire en général, les pesticides, etc. En encadrant de plus en plus le travail des chercheurs scientifiques, en leur imposant de manière de plus en plus dirigiste des axes de recherche déterminés en fonction de ses propres priorités, le capitalisme leur rend difficile de travailler sur une compréhension réellement globale des problèmes extrêmement complexes liés à l’environnement, et sur des propositions réalistes pour les résoudre. Il n’existe pas aujourd’hui de solution globale à tous les problèmes posés, et seul un essor considérable de la recherche dans ce domaine, non inféodé aux impératifs du profit, pourrait permettre de construire de telles solutions, au service des besoins de la population. C’est pourquoi le parti que nous construisons devrait faire figurer dans ses mots d’ordre celui de la défense et de la reconquête d’une recherche scientifique publique et indépendante, et de sa réappropriation par les chercheurs eux-mêmes. Seule une recherche indépendante de tout contrôle extérieur sera à même d’apporter à terme des réponses appropriées à ces problèmes.
La technologie actuelle, destructrice de l’environnement, l’est principalement en raison de ses particularités, pas de sa plus ou moins bonne application. Elle s’est développée non pas parce qu’elle est un progrès pour les populations humaines mais principalement parce qu’elle est infiniment plus rentable pour les capitalistes. Une technologie alternative ne pourra pleinement se développer que dans le socialisme. Faut-il pour autant, en attendant ou en se battant pour celui-ci, se croiser les bras et laisser l’impérialisme continuer à saccager la planète où nous vivons et où vivront nos descendants ? Une telle attitude ‘puriste’ serait fort étrange de la part du mouvement ouvrier, qui a toujours mené, à côté de son combat à long terme pour construire une autre société, des combats défensifs face aux agressions diverses de la société capitaliste contre la santé, l’éducation, le logement, les conditions de vie des travailleurs et de la population... ‘En attendant le socialisme’, le mouvement ouvrier doit mener des combats de type ‘syndical’ pour défendre l’environnement face aux agressions de l’impérialisme. Pour ce faire, notre parti doit élaborer des mots d’ordre de ‘transition’, les introduire dans son programme et se battre pour les défendre. Sans aucune exhaustivité, après diffusion de l’information et discussion approfondie, il me semble que des mots d’ordres comme les suivants devraient pouvoir faire l’unanimité entre nous :
• Halte aux différentes formes de pollution, de l’eau, de l’air et des sols !
• Halte à la destruction des grands biomes forestiers tropicaux, poumons indispensables de la planète et garantie de maintien des grands équilibres écologiques, des sols, des réserves hydriques !
• Halte à l’exploitation irrationnelle des sols et aux différentes formes de pillage irréversible des ressources minérales, végétales et animales du globe !
• Halte à la destruction, sans retour possible, des milieux naturels et des espèces vivantes !
• Gestion rationnelle, contrôlée scientifiquement par des organismes nationaux ou nationalisés, des ressources hydriques, forestières et halieutiques !
• Soutien financier accru à la recherche sur l’environnement et indépendance des chercheurs vis-à-vis de toute forme de dirigisme !
Quelques pistes bibliographiques
Pour un portrait général, très accessible, des problèmes de l’environnement, le classique Avant que nature meure de Jean Dorst (Delachaux & Niestlé, 1965) reste en grande partie pertinent. Dans Le grand massacre (Hachette, 1999), François Ramade présente les données principales concernant l’extinction des espèces, sujet qui est abordé également dans le livre collectif Linné et la systématique aujourd’hui [1].
Dans trois ouvrages fondamentaux, Le troisième chimpanzé (Gallimard, 2000), De l’inégalité parmi les sociétés (Gallimard, 2000) et Effondrement (Gallimard, 2006), Jared Diamond brosse un tableau très complet de l’histoire de l’humanité et de ses rapports avec la nature, tirant le bilan des effondrements passés de sociétés humaines par suite d’écocides. Ces livres passionnants actualisent considérablement, en s’appuyant sur des informations scientifiques infiniment plus abondantes et précises, et sans en contredire les principales thèses, les classiques de Friedrich Engels, Dialectique de la nature et L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat.
Dans deux livres fort clairs, Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ? (Seuil, 1969) et L’encerclement (Seuil, 1972), Barry Commoner présente une analyse, toujours valide aujourd’hui, qui montre comment les agressions principales de nos sociétés industrielles sur l’environnement sont liées aux particularités mêmes des techniques développées depuis un siècle, bien plus qu’à leur mauvaise utilisation.
Des analyses bien documentées des problèmes posés par le nucléaire civil, y compris le futur EPR, figurent dans les petits livres L'escroquerie nucléaire par Les Amis de la Terre (Stock, 1975), Sortir du nucléaire, c’est possible avant la catastrophe par Bella et Roger Belbéoch (L’Esprit Frappeur, 1998) et EPR, l’impasse nucléaire par Frédéric Marillier (Syllepse, 2008). Enfin, sur l’inacceptabilité absolue par tout humaniste de toute technique susceptible de disperser des radiations nucléaires dans l’environnement, les lignes enflammées de Jean Rostand dans son texte « Plus jamais d’Hiroshima », reproduit sans son livre Quelques discours (1964-1968) (Club Humaniste, 1970), restent pleinement d’actualité [2].
Alain Dubois
5 juin 2008
Texte publié partiellement dans Réflexions, N° 159, juin 2008, p. 5
Notes ajoutées en octobre 2018
[1] Daniel Prat, Aline Raynal-Roques & Albert Roguenant (rédacteurs), Peut-on classer le vivant? Linné et la systématique aujourd’hui, Belin, 2008.
[2] Voir Alain Dubois, Jean Rostand, un biologiste contre le nucléaire, Berg International, 2012.
(À suivre).
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Mots clés : Centrales nucléaires. CGT. Crise environnementale. Écologie politique. Environnement. Internationale. Lambertisme. Lutte des classes. Marxisme. Mouvement ouvrier. Nucléaire. Recherche militaire et policière. Recherche privée. Recherche publique. Recherche scientifique. Stalinisme. Urgence environnementale.
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