L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Écologie, marxisme et lambertisme. (4) Epilogue (2008, 2010, 2011, 2018)

Adieu camarades...

Adieu camarades...

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Le bilan de l’attitude des lambertistes face à l’urgence environnementale et climatique doit être tiré. En raison aussi bien de sa ligne politique constante sur ce sujet depuis un demi-siècle que de son mode de fonctionnement interne anti-démocratique et sectaire, ce mouvement politique s’est avéré définitivement incapable de faire face à la crise la plus grave de l’histoire de l’humanité, qui menace directement celle-ci de disparition. Il ne peut être redressé à cet égard et doit être abandonné sur le bas-côté de la route de l’histoire.

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Commentaires liminaires

 

A. Le débat de mai 2008 [Texte 1]

Le 25 mai 2008, se tint au siège du Parti des Travailleurs à Paris un débat entre une dizaine d’intervenants (dont je n’ai pas la liste) sur la question de l’environnement et de ses rapports avec le marxisme. On trouvera ci-dessous [Texte 1] des extraits de ma contribution à ce débat. Il était convenu que celui-ci serait oublié dans le mensuel lambertiste La Vérité, « Revue théorique de la IVe Internationale », mais ce ne fut jamais le cas.

 

 

B. Le Manifeste du POI [Textes 2 et 3]

En avril 2008, une discussion se développa au sein des Comités pour la fondation du POI [1] sur le Manifeste de ce futur parti. Dans ce cadre, le 24 avril 2008 je soumis à la discussion du Comité Paris-13 les propositions reproduites ci-dessous [Texte 2].

Le 14 mai 2008, après une longue discussion présidée par Daniel Schapira, le Comité Paris-13 adopta deux amendements sur cette question [Texte 3]. Le moins qu’on puisse dire c’est que ces derniers étaient très édulcorés par rapport à ma proposition initiale. Malgré cela, après passage par diverses instances dirigeantes, le texte soumis au vote du Congrès de fondation les 14 et 15 juin 2018 et adopté par celui-ci [2] était encore plus modéré et à la limite sibyllin. Il affirmait certes : « La lutte contre le système d’exploitation capitaliste constitue la condition d’une véritable lutte contre les [‘ses’ serait plus exact non ? AD] effets désastreux et parfois irréversibles sur la nature et l’environnement ». Il déclarait vouloir se battre contre la mondialisation et son « offensive qui prend des formes de plus en plus brutales et inquiétantes, menaçant la démocratie, la liberté et la paix », parmi lesquelles figurait celle-ci : « destruction d’industries nationales entières, de l’agriculture, de la viticulture, de la pêche, destruction d’emplois par millions ; pillage et destruction des ressources naturelles détériorant gravement l’environnement en remettant en cause les conditions de vie, d’alimentation et de santé des populations à seule fin de la spéculation et du profit ». Cette dernière phrase est loin d’être claire, puisqu’elle se déclare à la fois contre la destruction des emplois sans précision et contre le pillage et la destruction des ressources naturelles, sans choisir entre les deux en cas de conflit. Or un tel conflit est souvent présent, comme le montrent les exemples du nucléaire, de la plupart des industries polluantes ou de la surpêche : à la lecture d’IO de semaine en semaine, on ne peut douter que dans de tels cas, pour les lambertistes, la balance penchera toujours du côté de la défense ‘inconditionnelle’ des emplois, la préservation de l’environnement passant à la trappe.

 

 

C. Rupture avec le POI [Textes 4 et 5]

Très déçu, et pour tout dire choqué, par de nombreux aspects du Congrès de fondation du POI des 14 et 15 juin 2018, immédiatement après celui-ci je démissionnai de mes fonctions de secrétaire du Comité Paris-13 et me plaçai en position d’observateur de l’organisation pendant 3 mois, à l’issue desquels j’adressai à divers militants de celle-ci une lettre détaillée [Texte 4] expliquant ma décision de la quitter. Ce texte est suffisamment explicite et ne nécessite guère de commentaires. Il est reproduit ici in extenso bien qu’il ne concerne qu’en partie les problèmes liés à l’environnement mais également des questions concernant le fonctionnement du parti et son journal car, comme on le verra, ces questions interfèrent considérablement avec la ‘ligne’ de ce parti sur les sujets environnementaux. Ces textes pourront également être utiles à des militants et historiens du mouvement ouvrier s’intéressant au trotskysme et au lambertisme.

 

Notons tout de même l’aspect prémonitoire de ce texte concernant certaines questions à impact environnemental, comme la surpêche ou le nucléaire. La prédiction « il est certain qu’un nouveau Tchernobyl se produira un jour ou l’autre si nous ne sortons pas du nucléaire », qui n’était pas difficile à formuler en 2008 sur la base des informations disponibles, mais suscitait alors de grandes réticences, a été malheureusement vérifiée en 2011 à Fukushima. Il est tout aussi certain qu’un troisième accident de même ampleur ou pire se produira, à une date indéterminée, et statistiquement la France, le pays le plus nucléarisé du monde par tête d’habitant, est le candidat le mieux placé à cet égard [3]. Ulrich Beck [4] n’a pas pris beaucoup de risques en affirmant : « Continuer, après Tchernobyl et Fukushima, à affirmer que les centrales nucléaires françaises, britanniques, américaines, chinoises, sont sûres, c’est refuser de voir que, d’un point de vue empirique, c’est la conclusion inverse qui s’impose : s’il y a une certitude, c’est celle du prochain accident nucléaire majeur. » Les seules questions qui subsistent à cet égard sont celles du lieu et de la date, et de la cause ou combinaison de causes, toutes ‘improbables’ bien sûr, qui en seront responsables.

Ce texte est suivi ci-dessous d’une deuxième lettre [Texte 5] que j’ai adressée en novembre 2010également à des militants ou sympathisants du POI. Il prenait acte du fait que, désormais, le POI ne se contentait plus d’ignorer ou de nier les questions environnementales, mais adoptait une attitude résolument agressive vis-à-vis de tous ceux qui attiraient l’attention sur l’existence de ces problèmes. J’en tirais la conclusion que ce parti avait cessé d’être marxiste, ne pourrait plus être ‘redressé’ et se plaçait ainsi dans une position de ‘secte’ en dehors du monde réel, ce qui m’amenait à rompre définitivement avec lui. Cette analyse fut pleinement confirmée par deux articles parus dans la presse lambertiste en 2010 et 2011, brièvement évoqués ci-dessous.

Notons pour finir que le dernier paragraphe de ce texte soulève une question intéressante, concernant les causes de la ‘rigidité cadavérique’ des lambertistes face à tout changement éventuel par rapport à la ‘ligne traditionnelle’ validée par les ‘grands anciens’, comme c’est justement le cas des questions environnementales : celle de l’existence de permanents salariés dans l’organisation. Cette question rarement abordée de front dans le mouvement ouvrier a fait l’objet d’un commentaire intéressant de la part du groupe La Commune [5] :

« Au fait, quelle base sociale expriment-ils ?

‹ Un élément essentiel d’appréciation consiste à tenter de discerner quelle est la base sociale qui s’exprime derrière ces deux factions de la direction ? Tout bon marxiste sait qu’une telle analyse est essentielle dans la lutte de classes. D’autant que les conditions matérielles d’existence déterminent la conscience comme chacun sait.

 

‹ L’aristocratie du lumpen

‹ On peut sans difficulté considérer que le clan Lacaze-Ulysse-Moutot-Josette Logereau-Schapira et consorts est un conglomérat qui regroupe une sorte d’aristocratie du lumpen. Voilà donc des militants qui sont membres, permanents, de la direction de l’OCI puis du PCI puis du CCI-POI depuis plus de 40 ans pour la majorité d’entre eux et n’ont jamais travaillé, jamais milité dans un quelconque syndicat, sont devenus permanents dès les années 70 et sans pratiquement aucune qualification, ayant pour la plupart abandonné leurs études pour devenir permanents.

‹ L’approche de la retraite pour eux, sans doute atteinte pour beaucoup parmi eux, calculée officiellement au SMIC, les amène à s’angoisser sur leurs revenus. Pour prendre un exemple concret, parmi nous, Pedro exclu en 1992, permanent pendant 98 trimestres touche au titre de sa retraite dans le privé, c’est-à-dire comme permanent, royalement 177 euros mensuels puisque déclaré au SMIC. Heureusement pour lui, il a été exclu ce qui l’a contraint à passer des concours de la Fonction Publique de l’État. (Il était bien parti selon ses dires pour faire partie de ce corps de lumpen qui n’ont dû et ne doivent leur pitance qu’à des fortunes personnelles ou grâce à leurs épouses, la plupart enseignantes). Seul qualifié de cette faction, Lacaze, architecte DPLG mais dont le dernier plan remonte au bas mot à avant la grève générale de 1968. C’est dire qu’il doit avoir du mal à savoir de quel côté on doit saisir un Rotring…

‹ Qu’on se comprenne bien : un corps de permanents est une nécessité pour un parti révolutionnaire. Mais il doit impérativement être sous le contrôle du parti et ses membres ne doivent pas dépendre pour subsister, toute leur vie, des subsides du parti ou de la famille. N’oublions pas que “les conditions matérielles d’existence déterminent la conscience”.

‹ Cela mène à des mentalités, comportements particuliers, inquiétudes, angoisses sur l’avenir qui pèsent obligatoirement sur n’importe qui. L’un d’entre ces permanents dont nous aurons la charité chrétienne de taire le nom (à lui de faire profil bas) s’est abaissé il y a quelques années à quémander auprès d’un ex-dirigeant du PCI devenu universitaire qu’il lui obtienne une licence et même un poste de prof, lui qui n’avait jamais fini ses études : étonnement et sidération de l’ex-militant. Bon, d’un autre côté, Cambadélis a bien truandé pour exciper de diplômes obtenus de manière obscure, inavouable, selon l’excellente enquête du journaliste Laurent Mauduit.

‹ En résumé à ce stade, la prochaine période va encore plus décanter cette crise profonde et définitive. La quantité s’est transformée en qualité.

‹ Comme le disent la plupart des camarades qui nous écrivent : quel gâchis ! »

 

 

 

D. Derniers développements

 

Derniers textes

Dans tous les documents reproduits dans cette série de billets, à l’exception d’un article de 1970 de Gérard Bloch [6] et jusqu’en 2008, ce qui est frappant est l’absence de textes émanant de responsables lambertistes prenant clairement position sur les questions environnementales. Comme le suggèrent les deux lettres reproduites ci-dessous [Textes 4 et 5], ce silence, apparemment dû à une certaine prudence de la part de Pierre Lambert qui pourrait ne pas avoir souhaité s’aventurer dans un domaine qu’il ne connaissait et maîtrisait pas, prit fin clairement à partir du Congrès de fondation du POI en 2008.

En fait, ces questions étaient déjà effleurées dans le livre Lutte des classes et mondialisation de Daniel Gluckstein paru en 2000 [7]. Elles n’y étaient pas abordées de front, et il y a plus étonnant : bien que le premier chapitre du livre (p. 26‒40) s’intitule « Dans quel monde vivons-nous ? », ce chapitre égrène une diversité d’exemples de problèmes politiques, économiques, financiers, sociaux, dans divers pays de la planète, mais ne mentionne pas un seul problème concernant l’environnement, la santé, le climat… Mieux, dans tout ce livre de 511 pages, je n’ai relevé (ai-je été distrait ?) que deux évocations très brèves de cette question. La première est une mention ténue (deux lignes à la fin de la note infrapaginale de la page 86) et ambigüe (« réaliser du profit sans tenir compte des répercussions éventuelles [souligné par moi, AD] néfastes pour l’humanité ») d’une question traditionnellement prise en compte par les ‘écolos’, celle des OGM, où l’on perçoit un fort doute quant à la réalité de ces répercussions. La deuxième est la suivante : « Si dominer la nature revient à dégager de la nature au sens le plus large (ressources naturelles et lois de la nature) ce qui permettra de satisfaire les besoins humains, alors, on admettra que certaines destructions de l’environnement participent des destructions des forces productives. Mais on ajoutera que sa protection, là aussi prise dans son ensemble, ne peut être considérée en partant de la ‘Nature’ comme une chose en soi, sorte de moderne divinité élevée au-dessus des hommes, mais des besoins de l’humanité de maîtriser, de contrôler son mode de domination de la nature. Ce qui exige de rompre avec les intérêts de la classe capitaliste (d’où le caractère intégralement réactionnaire des courants prétendument ‘écologistes’. » (p. 90). Là aussi, le langage employé traduit une forte réticence à reconnaître une réalité qu’aucun scientifique au monde ne nierait, et même dans ce cas, à y mettre un fort bémol : « certaines destructions »—parce que d’autres destructions sont positives, peut-être ?

Le monde dans lequel Gluckstein vivait en 2000 ne comportait donc ni pollution, organique, chimique ou radioactive, ni malbouffe et dégradation de la santé humaine, ni saccage irréversible des grands biomes forestiers, ni fonte des glaciers, ni perte de la biodiversité, ni dérèglement climatique, donc ces questions ne devaient pas concerner les militants révolutionnaires… Cet aveuglement prend racine dans deux confusions, aussi impardonnables l’une que l’autre en fait, l’une entre l’idéologie écolo et la science de l’écologie, et l’autre entre ‘forces productives’ et soi-disant ‘progrès technique’, ce qui est contradictoire avec toute l’analyse de la notion de force productive fournie par Gluckstein lui-même dans ce livre, où il insiste à juste titre sur le fait que, pour Marx, la principale force productive, c’est l’homme, que les forces productives sont le produit du travail des individus, mais ceci, sous peine de se muer en forces destructives, seulement dans la mesure où ce produit tend à satisfaire des besoins humains. Or ce n’est pas le cas d’une grande partie des productions du capitalisme lors de la dernière période historique. Gluckstein évoque notamment à cet égard l’économie de la drogue, et insiste particulièrement sur l’industrie d’armement et de guerre, y compris dans le domaine spatial, qui depuis un siècle a joué un rôle crucial d’un ‘volet d’entraînement’ pour maintenir des taux élevés de plus-value. Cette industrie n’est en aucune manière au service des besoins humains, et dans son cas les forces productives tendent à devenir des forces destructives. Alors pourquoi ne comprend-il pas que, selon, cette conception marxiste de la notion de force productive, une bonne partie des techniques développées ces dernières décennies appartiennent aux forces destructives, et non pas aux forces productives. Cette attitude aveugle se retrouve chez les autres organisations résultant de l’implosion du courant lambertiste, comme en témoigne par exemple cette citation du groupe La Commune : « Quant à ‘l'écologie’, ce courant se dresse contre le développement des forces productives, s’en prend, au besoin, aux paysans voire aux salariés accusés de trop consommer ! S’il est vrai que (…) le combat pour protéger la nature et la santé humaine des ravages du capitalisme est une composante nécessaire et logique du combat contre la destruction des forces productives de l’Humanité que provoque le mode de production capitaliste, il n’en est pas moins vrai que l’écologie (…) [est], dans les faits, [une idéologie réactionnaire qui constitue un obstacle] à ce combat général contre l’exploitation et l’oppression sous toutes ses formes. » [8]. Dans ce texte, le passage débutant par « il est vrai que » et se terminant par « le mode de production capitaliste » n’est rien d’autre qu’un hommage que le vice rend à la vertu, car on chercherait en vain la moindre mention de ce combat dans les milliers de pages de publication de l’organisation en question.

Tandis que le mouvement lambertiste restait obstinément imperméable, aveugle et sourd aux problèmes nouveaux posés par la crise environnementale, le début du 21e siècle fut le théâtre d’une prise de conscience croissante de ces problèmes dans l’ensemble de la société et dans de nombreuses organisations politiques et syndicales. Alors que les aspects de cette crise concernant les écosystèmes, la biodiversité, le nucléaire, l’agriculture et la santé humaine, connus depuis les années 60 et mis en exergue par exemple dans le texte de 1977 évoqué ci-dessus [9], n’avaient guère suscité de réactions en dehors de quelques milieux restreints, le ‘réchauffement climatique’, qui n’est qu’un aspect de cette crise, eut plus de ‘succès’, du moins en tant que source d’inquiétude, à défaut d’actions significatives. En conséquence, nombre de partis et autres organisations, aux orientations les plus diverses, se mirent à inclure une dimension ‘écologiste’ dans leurs programmes et déclarations. Beaucoup ne le firent que pour la forme : ça ne mange pas de pain et ça peut rapporter gros, en termes électoraux et financiers. Mais, notamment sur la ‘gauche’ de l’échiquier politique, certains le firent manifestement pace qu’ils avaient compris la nature et la gravité du problème, et intégré celui-ci à leur réflexion politique générale.

Ce fut notamment le cas de plusieurs organisations trotskystes non-lambertistes, notamment du Secrétariat Unifié (SU), continuateur des pablistes et mandélistes, représenté en France par le NPA. À partir du début du siècle, ce mouvement publia un bon nombre de textes, de déclarations et résolutions, notamment la résolution « Le basculement climatique capitaliste et nos tâches » [10] du 16e congrès mondial du SU (adoptée par plus de 95 % des mandats), qui traduisaient une réelle prises en compte de ces problèmes, dans le cadre d’une analyse se revendiquant clairement comme marxiste. Des analyses approfondies furent publiées par Daniel Tanuro, notamment dans un important rapport sur le changement climatique [11], dans un livre réfutant la notion de « capitalisme vert » [12] ou dans une exégèse des textes de Trotsky montrant clairement que chez celui-ci « la conscience écologique est au degré zéro » [13], ce qui ne signifie nullement que l’ensemble de ses autres analyses, prises de position et actions soient à rejeter.

Mais là c’était plus que ce que la direction lambertiste pouvait supporter. Alors que, à l’exception de Georges Hoffmann [14], aucune réponse n’avait été apportée par les membres de celle-ci aux textes d’un ‘simple militant’ de leur propre organisation, ces textes d’une autre organisation exigeaient une ‘réfutation’, qui se fit en deux temps, d’abord dans un article général sur ‘l’imposture de l’écologie politique’ [15], puis, le crime de ‘lèse-majesté’ commis à l’endroit de Trotsky méritant une cinglante réponse, dans un texte prenant la défense du Maître Infaillible [16].

Ces deux textes, qui auraient pu être compréhensibles en 1977, sont impardonnables en 2010 et 2011. Comme toujours, ils transpirent la haine pour ‘les pablistes’, accusés de tous les maux de la terre. Ils pourfendent le projet d’‘écosocialisme’ comme étant contradictoire à celui de ‘socialisme’, alors qu’il en est simplement la continuation logique. Mais surtout ils traduisent une fois de plus une inculture et une incompréhension des problèmes qui ne méritent pas de réponse détaillée. Pour résumer, disons que, selon une méthode éprouvée de polémistes professionnels, ils s’appuient sur plusieurs amalgames, entre l’écologie comme discipline de la biologie et l’écologie politique, puis entre cette dernière, qui n’est pas un champ unifié mais un mélange de points de vue très différents, dont bon nombre ne remettent pas en cause le capitalisme, et l’‘écosocialisme’ prôné par Tanuro, enfin, ce qui est le plus inexcusable chez des lambertistes, entre ‘forces productives’ et ‘progrès technique’. Malgré les lacunes scientifiques manifestes de leurs auteurs en matière d’écologie et de climatologie, pour étayer leur propos ils n’hésitent pas à exprimer de forts doutes quant à la réalité de l’origine anthropique du réchauffement climatique (si ce n’est sur l’existence de celui-ci), en s’appuyant sur les écrits de quelques charlatans ‘climato-sceptiques’ bien connus, porteurs d’un ‘populisme climatique’ [17], qui a tout lieu de recevoir l’appui enthousiaste des deux forces historiques responsables de la catastrophe en cours, le capitalisme et le stalinisme.

En montant au créneau pour défendre, contre toute évidence, le ‘marxisme orthodoxe’ de Trotsky sur les questions d’environnement, Cise se croit obligé d’apporter son soutien au texte hallucinant suivant de 1923 de Trotsky [18] cité par Tanuro : « L’emplacement actuel des montagnes, des rivières, des champs et des prés, des steppes, des forêts et des côtes ne peut être considéré comme définitif. L’homme a déjà opéré certains changements non dénués d’importance sur la carte de la nature ; simples exercices d’écolier par comparaison avec ce qui viendra. La foi pouvait seulement promettre de déplacer des montagnes, la technique qui n’admet rien ‘par foi’ les abattra et les déplacera réellement. Jusqu’à présent, elle ne l’a fait que pour des buts commerciaux ou industriels (mines et tunnels), à l’avenir elle le fera sur une échelle incomparablement plus grande, conformément à des plans productifs et artistiques étendus. L’homme dressera un nouvel inventaire des montagnes et des rivières. Il amendera sérieusement et plus d’une fois la nature. Il remodèlera, éventuellement, la terre, à son goût. Nous n’avons aucune raison de craindre que son goût sera pauvre. (…) L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans. » [19]. Tanuro ajoute : « l’idée que des bouleversements aussi gigantesques pourraient avoir des effets pervers ne l’a jamais effleuré dans ses textes ultérieurs, jusqu’à sa mort en 1940 ». Manifestement, elle n’a pas non plus effleuré Cise, qui serait certainement déçu, s’il avait la curiosité de lire Barry Commoner (mais attention, ce n’est pas un militant marxiste, donc ses livres doivent être très méchants !), d’apprendre que le gouvernement des États-Unis, qui avait envisagé, en 1964 et 1965, d’employer des explosifs nucléaires aux États-Unis mêmes pour creuser des canaux ou détruire des obstacles sur le cours de fleuves [20], y avait finalement renoncé, sans doute parce qu’il n’était pas ‘socialiste’, au sens—très stalinien—que Cise donne manifestement à ce mot. Il faut tout de même une dose extraordinaire d’ignorance scientifique, mâtinée d’absence complète de sensibilité esthétique et naturaliste, pour oser défendre l’idée même de tels projets en 2011.

Par ailleurs, monter sur ses grands chevaux pour défendre mordicus toute critique, même manifestement fondée, lorsqu’elle concerne une ‘icône’ vénérée par un mouvement auquel on appartient traduit une pensée étroite et une éthique inquiétante. Considérer que, par définition, un leader comme Léon Trotsky ne peut jamais s’être trompé relève du médiéval ‘Principe d’Autorité’. Tous les ‘grands hommes’ et ‘grandes femmes’, que ce soit Einstein, Darwin, Freud, Marx, Robespierre, Louise Michel, Rosa Luxemburg  ou Jaurès, se sont trompés, ce qui est rassurant car cela indique qu’il s’agit bien d’êtres humains. De la part de militants ouvriers, qui adhèrent généralement à la formule d’Eugène Pottier dans L’Internationale « ni Dieu ni César ni tribun », une telle attitude est très révélatrice d’étroitesse et rigidité d’esprit.

 

La question de l’urgence environnementale en 2018

Mais soyons sérieux maintenant. En 2018, la réalité de la crise environnementale et du réchauffement climatique, et le fait que ces phénomènes sont dus à l’activité humaine, sont étayés par des milliers de travaux scientifiques dans des domaines aussi variés que l’étude de la biodiversité, l’écologie, l’océanographie, la géologie, la climatologie, l’archéologie, la préhistoire, les sciences sociales, etc. Des milliers d’autres travaux sont en cours pour rattraper le retard pris au 20e siècle, en raison de la prééminence des disciplines scientifiques réductionnistes, dans l’étude intégrée de la biosphère-géosphère et du ‘système terrestre’ dans son ensemble, et affiner encore nos connaissances qui restent encore bien trop parcellaires, sur le fonctionnement de ce système. Ces travaux ont déjà permis d’établir solidement que le système terrestre est entré depuis le milieu du 20e siècle dans l’ère de l’anthropocène [21], parfois désigné autrement [22], qui se caractérise par une pollution généralisée (chimique, radioactive, biotique, etc.), la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, la montée des océans et une extinction massive des espèces. Cette constatation est porteuse de la notion d’urgence : sans action radicale à court terme, des points de non-retour ou points de bascule [22] seront atteints et dépassés, et le 21e siècle verra une détérioration rapide de notre environnement physique, biologique, social et économique : de larges parties du globe deviendront inhabitables, entraînant des mortalités humaines gigantesques, des conflits et des migrations sans précédents, et allant jusqu’à menacer la civilisation elle-même, si ce n’est la survie de l’espèce Homo sapiens.

Cette crise n’est pas due à ‘l’humanité’ en tant que telle, mais résulte du fonctionnement et des dynamiques d’un système économico-politico-social, le capitalisme impérialiste mondialisé, qui s’est survécu bien au-delà de sa ‘date de péremption’, en raison principalement d’une monstruosité historique qui a couvert de son ombre la majeure partie du 20e siècle, le stalinisme. Nous ne saurions résoudre cette crise sans mettre à bas ce système économico-politico-social, ce qui ne sera pas facile.

Or face à cette crise l’attitude qui prévaut dans la plupart des groupes sociaux et de la part des scientifiques, théoriciens, écrivains, journalistes et même militants, est celle de l’incertitude et de l’aboulie. Passons sur les capitalistes eux-mêmes, qui soit nient tout simplement le phénomène, soit essaient de faire croire que l’impérialisme sera capable de résoudre ces problèmes, en faisant appel éventuellement à des solutions techniques d’apprentis-sorciers telles que la géo-ingéniérie, susceptibles en fait d’aggraver et accélérer encore la catastrophe—tout en persistant à développer des avions hypersoniques, des nanotechnologies, des robots, etc. Passons également sur les organisations et militants écolos ‘apolitiques’ (c’est-à-dire ni de gauche ni de gauche) partisans d’un ‘capitalisme vert’, pour lesquels le capitalisme est la seule organisation sociale possible et le socialisme, qu’ils confondent avec le stalinisme, un épouvantail avec le couteau entre les dents : ils prônent la ‘décroissance’ et la ‘sobriété’, en d’autres termes l’austérité, c’est-à-dire souhaitent faire supporter tous les ‘efforts’ pour ‘sauver la planète et le climat’ par les plus pauvres et les plus faibles et par les pays du Sud, tout en préservant le système capitaliste et les profits de ses ‘premiers de cordées’. Il ne s’agit pas pour eux de s’attaquer à la croissance des plus-values des capitalistes, mais de faire payer celle-ci encore plus cher aux exploités, à qui il sera demandé de se serrer encore plus la ceinture.

Intéressons-nous plutôt à ceux qui semblent avoir compris qu’il est incontournable et urgent de ‘sortir du capitalisme’—en fait plus exactement de le détruire de fond en comble. Parmi eux, il faut compter les doux rêveurs idéalistes qui continuent à croire, après plus d’un siècle d’échecs de cette stratégie sur toute la planète, à la méthode des ‘petits pas’, de la propagande idéologique, des campagnes électorales et de leurs lendemains au goût amer (même et peut-être surtout en cas d’élection de leurs champions), ou des ‘victoires locales’ (style Lip, Larzac, Notre-Dame des Landes, ou même le Chiapas) qui servent d’‘abcès de fixation’ pour quelques militants ‘radicaux’ mais ne remettent pas en cause le pouvoir central et le fonctionnement de l’ensemble de la société—lorsque c’est le cas ils sont promptement liquidés.

La seule attitude conséquente si l’on veut vraiment se débarrasser des techniques mortifères du capitalisme, des énergies fossiles et nucléaires, de la pollution tous azimuts, de l’agriculture chimique, de la déforestation, de la surexploitation de la biosphère et de la géosphère, c’est de mettre fin à la propriété privée des moyens de production, aux multinationales, aux latifundia, à l’agriculture industrielle, à la Bourse et à la spéculation financière, à la militarisation et ‘policiarisation’ croissante de tous les pays, à la surveillance, notamment électronique, de tous, ne peut que passer par une révolution. Mais une telle révolution n’est pas possible en se contentant de superbes ‘analyses philosophiques’ et de brillants discours, ni même de manifestations ‘festives’ destinées, comme de juste, à ‘faire prendre conscience’ des problèmes non seulement aux ‘citoyens’ mais encore aux gouvernements et aux entreprises, que cela fait bien rigoler. Une telle révolution ne peut se faire que par des combats, pas des débats. Elle exige de disposer d’une force sociale capable de la mener à bien, c’est-à-dire d’arracher le pouvoir politique et économique à ceux qui le détiennent aujourd’hui.

Que cela plaise ou non aux bisounours qui ne connaissent que des catégories sociales édulcorées et vagues comme ‘le peuple’, ‘les gens’ ou ‘les citoyens’, ou qui vouent une haine (de classe) à la notion de lutte des classes, nous sommes encore, et plus que jamais en fait, dans une société de classes, dont les lois économico-politico-socio-idéologiques de fonctionnement ont été analysées par Marx, Engels, Lénine, Trotsky et leurs héritiers. La force sociale susceptible de renverser le capitalisme ne peut être constituée même pour partie de ceux qui ont des intérêts matériels à la perpétuation du système actuel. Cette force ne pourra reposer que sur les travailleurs, ceux dont le seul patrimoine est composé de leur corps, leur force de travail, leurs connaissances et compétences. Leur moyens d’actions pour préparer une telle révolution ne pourront être que les méthodes traditionnelles de la lutte des classes : organisation et formation en amont, assemblées générales délivrant des mandats électifs révocables, grèves, grève générale, occupations d’entreprises, barrages et barricades, paralysie de l’économie, prise du pouvoir, éventuellement après des événements insurrectionnels. La question n’est pas tant de savoir s’il s’agira d’une ‘minorité’ ou d’une ‘majorité’ de la population, question formelle et oiseuse qui préoccupe surtout les théoriciens imprégnés d’un respect fidèle pour l’idéologie de la ‘démocratie bourgeoise’ [24], mais de la capacité à mener ce processus révolutionnaire à son terme, malgré toutes les chausse-trapes qui ne manqueront pas de le menacer d’échec [25].

Toute l’histoire des révolutions manquées du 20e siècle l’a démontré : les alliances sans frontières de classes entre les organisations de la classe ouvrière et les fractions ‘de gauche’ de la bourgeoisie ‘progressiste’ tendent toujours à impuissanter les premières et à mener à la défaite, comme lors de tous les fronts populaires du passé, notamment en Europe et Amérique-du-Sud. Que dans le cours de la révolution elles-mêmes une partie de ces classes rejoignent le prolétariat pour abattre ce système social qui les exploite et les paupérise est une chose, mais associer leurs organisations en tant que telles à la direction de la révolution est suicidaire. Pour qui en doute, et qui n’a ‘pas le temps’ de lire les ouvrages historiques qui expliquent en détail les mécanismes politiques à l’œuvre dans de tels cas [26], il peut être utile de lire ou relire le lumineux Hommage à la Catalogne de George Orwell (1938) et de voir ou revoir l’extraordinaire film Land and Freedom de Ken Loach (1995), notamment la scène de l’assemblée dans le village qui vient d’être libéré des franquistes par les miliciens, où, lorsque la question de la collectivisation des terres vient sur le tapis, un milicien, propriétaire d’un petit lopin, s’y oppose au nom de la propriété privée : encore dans ce cas ne s’agit-il que d’un individu, vite mis en minorité, mais, lorsqu’il s’agit d’une coalition entre organisations ouvrières et bourgeoises ‘de gauche’, l’opposition d’un seule organisation bourgeoise peut faire à elle seule faire capoter tout un processus révolutionnaire.  

Nous ne vivons pas dans un monde d’idées. Les masses ne se mettent que très rarement en mouvement pour des raisons idéologiques. Elles le font pour améliorer leurs conditions matérielles d’existence. Au 19e siècle et au début du 20e siècle, la mobilisation et l’organisation des travailleurs reposait sur leur prise de conscience collective (dans des réunions, des syndicats ou partis) du fait que leur exploitation, leur misère, leur malnutrition, leur absence de droits civiques ou leur massacre (lors des guerres impérialistes) n’étaient pas inéluctables et qu’elles pouvaient y mettre fin, ce qui exigeait tout d’abord de les libérer de l’emprise idéologique de l’État bourgeois et de celle de l’église. Les partis ouvriers révolutionnaires jouaient un rôle fondamental pour favoriser le passage de la classe ouvrière de son statut de classe ‘en soi’ à celui de classe ‘pour soi’. Aujourd’hui, à ces conditions matérielles d’exploitation et de misère immédiatement perceptibles s’ajoutent de nouveaux facteurs, comme la malbouffe industrielle, les pathologies induites par cette dernière et par la pollution omniprésente, les catastrophes climatiques et autres conséquences de la crise environnementale, qui ont l’inconvénient de ne pas être immédiatement perceptibles ou sont même parfois invisibles, comme les risques dus aux radiations nucléaires, au sujet desquels Ulrich Beck [27] écrit qu’ils « requièrent des interprétations causales, se situent donc seulement et exclusivement dans le domaine de la connaissance (scientifique ou plutôt anti-scientifique) qu’on a d’eux » et « peuvent être transformés, réduits ou augmentés, dramatisés ou banalisés par la connaissance ». C’est aux partis révolutionnaires qu’il reviendra de diffuser les informations scientifiques sur l’environnement non biaisées par l’idéologie dominante auprès des travailleurs, ce qui est bien plus important que de le faire auprès des zadistes, des bobos ou des marxologues de salon, qui de toute façon ne feront rien pour abattre le capitalisme.

Ce ne sont pas ‘la planète’ ou ‘le climat’ qu’il s’agit de sauver : l’un comme l’autre survivront très bien à l’humanité et ne seront pas affectés par son extinction. Ce sont l’humanité et la civilisation. La seule solution pour y parvenir est de revenir aux fondamentaux du marxisme et de la lutte des classes. La catastrophe anthropocène est mondiale, mais la lutte des classes, étant nationale dans sa forme et internationale dans son fond, il faudra construire à la fois des partis nationaux et une internationale révolutionnaires qui fassent le lien entre les revendications traditionnelles du mouvement ouvrier et la nécessité de mettre fin au plus vite à la destruction de la biosphère sans laquelle l’humanité ne saurait survivre. Il ne s’agit ni d’inféoder le marxisme aux préoccupations environnementales ni l’inverse : il s’agit de comprendre que, et comme Marx et Engels eux-mêmes l’avaient compris [28], les deux questions sont complémentaires. En ce sens et depuis le début, le marxisme était ‘écosocialiste’. Ce dernier terme est-il indispensable ? Certainement pas d’un point de vue théorique, mais il peut-être utile à des fins de communication afin de distinguer ce projet des expériences de soi-disant ‘socialisme réel’ qui en fait appartenaient au stalinisme et à ses ombres portées.

Mais, bien plus important que ces nuances sémantiques, ce qui importera pour le mouvement révolutionnaire en question ce sera de ne pas tomber dans le piège d’une ‘coalition écologiste’ sans frontière de classe, regroupant associations organisations ouvrières, organisations bourgeoises et organisations religieuses, comme par exemple la ‘Coalition Climat 21’ créée en 2014 en préparation de la COP 21 en 2015 [26].

On l’aura compris : les diverses organisations lambertistes, ex-lambertistes et de ‘lambertistes dissidents ou critiques’ ne pourront jouer ce rôle, du fait de leur rigidité idéologique cadavérique. Quant aux héritiers du pablisme, ils ne pourront le faire que s’ils remettent clairement en cause le dogme pablo-mandélien du ‘développement impétueux des forces productives après la deuxième guerre mondiale’, qui implique que la révolution ouvrière ne peut pas être à l’ordre du jour, et ne peut donc que paralyser la classe ouvrière en entraînant ses organisations dans des alliances et coalitions avec des organisations bourgeoises ‘de gauche’, ‘écologistes’ ou ‘crypto-staliniennes’ dont il est prévisible que, une fois le processus révolutionnaire engagé, elles feront tout pour lui mettre des bâtons dans les roues dès qu’il commencera à toucher à la sacro-sainte propriété des moyens de production, à exproprier les capitalistes sans indemnisation ni rachat et en imposant un contrôle ouvrier, à tous les étages de la société, de l’activité économique, de la production, du transport et de l’utilisation de l’énergie, des objets manufacturés et de la nourriture. La question reste donc ouverte : quel parti, quelle internationale seront-ils susceptibles d’abattre le capitalisme et d’ouvrir la voie à l’‘écosocialisme’—ou  devrons-nous nous résoudre à assister, impuissants, à l’effondrement de la civilisation humaine ?

 

Notes et références pour les ‘Commentaires liminaires’

 [1] Pour la signification des sigles employés dans ce billet, voir l’Annexe 1 du premier billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme-5.html>.

[2] Le manifeste de fondation du Parti Ouvrier Indépendant adopté par son Congrès de fondation réuni les 14 et 15 juin 2008 à Paris. <https://parti-ouvrier-independant.fr/le-manifeste-de-fondation-du-parti-ouvrier-independant/>.

[3] Alain Dubois, Jean Rostand : un biologiste contre le nucléaire, Berg International, 2012.

[4] Ulrich Beck, « Enfin l’ère postnucléaire », Le Monde, 10–11 juillet 2011, p. 16.

[5] Anonyme, « Un bilan du lambertisme qui reste à faire, et qui sera fait », Lettre d’Information de la Commune, N° 10, 19 septembre 2015. <http://www.lacommune.org/Parti-des-travailleurs/Lettre-d-infos/Lettre-d-information-de-La-Commune-n-10-i1322.html>.

[6] Gérard Bloch, « Science, lutte des classes et révolution », 4e partie, « La science et l’avenir communiste », Les nouvelles Études marxistes, No 3‒4, décembre 1970, p. 57‒64. Il existe semble-t-il un autre texte de cet auteur, datant de 1979 et intitulé « Projet de résolution sur l’‘écologisme’ », et reproduit dans le volume 2 de ses Écrits (Selio, 1995), mais je n’ai pu me procurer ce texte.

[7] Daniel Gluckstein, Lutte des classes et mondialisation, Selio, 2000.

[8] Anonyme, « L’appel de la LCR à un nouveau parti : le parti des bobos et des gogos ? », La Lettre d’Information de la Commune, 31 août 2007. <http://www.lacommune.org/Parti-des-travailleurs/La-commune/La-lettre-de-liaison/l-appel-de-la-LCR-a-un-nouveau-parti-Le-parti-des-bobos-et-des-gogos-i480.html>.

[9] Voir le deuxième billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme-2-marxisme-et-ecologie-1977.html>.

[10] Anonyme, « Le basculement climatique capitaliste et nos tâches », Inprecor, N° 560‒561, avril-mai 2010.

[11] Daniel Tanuro, « Rapport sur le changement climatique », Inprecor, N° 551‒552, juillet-août 2009.

[12] Daniel Tanuro, L’impossible capitalisme vert, La Découverte, 2010.

[13] Daniel Tanuro, « Ecologie ; le lourd héritage de Léon Trotsky », <https://npa2009.org/content/ecologie-le-lourd-heritage-de-leon-trotsky-par-daniel-tanuro>.

[14] Voir le troisième billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme.3-marxisme-et-environnement-2008.html>.

[15] Pierre Cise, Daniel Gluckstein & Jean-Pierre Raffi, « Les marxistes face à l’imposture de l’écologie politique (et son avatar ‘écosocialiste’) », La Vérité, N° 67 (nouvelle série, N° 673), janvier 2010, p. 5‒30.

[16] Pierre Cise, « À nouveau, à propos de l’‘écosocialisme’) », La Vérité, N° 70 (nouvelle série, N° 676), février 2011, p. 75‒86.

[17] Stéphane Foucart, Le populisme climatique : Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science, Denoël, 2010.

[18] Léon Trotsky, Littérature et révolution, 10-18, 1964, p. 286‒287.

[19] Trotsky poursuit (p. 287‒288) : « Les idéalistes nigauds peuvent dire que tout cela finira par manquer d’agrément, c’est pourquoi ce sont des nigauds. Pensent-ils que tout le globe terrestre sera tiré au cordeau, que les forêts seront transformées en parcs et en jardins ? Il restera des fourrés et des forêts, des faisans et des tigres, là où l’homme leur dira de rester. Et l’homme s’y prendra de telle façon que le tigre ne remarquera même pas la présence de la machine, qu’il continuera à vivre comme il a vécu. La machine ne s’opposera pas à la terre. Elle est un instrument  de l’homme moderne dans tous les domaines de la vie. (…) La jouissance passive de la nature n’est plus de saison dans l’art. La technique inspirera plus puissamment la création artistique. Et, plus tard, l’opposition entre la technique et l’art se résoudra dans une synthèse plus élevée. » Malgré la sidération que la lecture de ces lignes, transpirant le mépris pour les hommes autant que pour la nature, et une confiance ‘scientiste’ irrationnelle dans les capacités illimitées de la technique qui date du 19e siècle, peut provoquer chez tout lecteur non lambertiste en 2018, il faut reconnaître que cette description d’un ‘socialisme rêvé’ ressemble à plus d’un titre au monde capitalisme pourrissant du début du 21e siècle. Mais il faudra faire vite pour permettre ‘au tigre’ de ‘vivre comme il a vécu’, car une fois éteint il aura du mal à le faire.

[20] Barry Commoner, L’effondrement, Seuil, 1972, p. 58.

[21] Ian Angus, Face à l’anthropocène : le capitalisme fossile et la crise du système terrestre, Écosociété, 2018.

[22] Christophe Bonneuil & Jean-Baptste Fressoz,  L’événement anthropocène : la terre, l’histoire et nous, Seuil, 2013. ; Armel Campagne, Le capitalocène : aux racines historiques du dérèglement climatique, Divergences, 2017.

[23] Changements qualitatifs brusques et importants résultant de l’accumulation progressive de changements quantitatifs modiques—un concept qui ne devrait pas être difficile à comprendre pour les marxistes, qui normalement pratiquent le matérialisme historique et dialectique.

[24] Par exemple Philippe Flipo, Décroissance, ici et maintenant !, Le Passager Clandestin, 2017.

[25] Voir par exemple : Éric Hazan, Premières mesures révolutionnaires, La Fabrique, 2013 ; La dynamique de la révolte : sur des insurrections passées et d’autres à venir, La Fabrique, 2015.

[26] Voir par exemple Alain Dubois, « Que faire après le dernier rapport du GIEC ? », <http://lherbu.com/2018/10/que-faure-apres-le-dernier-rapport-du-giec.html>.

 [27]  Ulrich Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité,  Flammarion, 2001, réédition 2008, p. 41.

[28] Voir par exemple Alain Dubois, « Henri Peña-Ruiz : Karl Marx, penseur de l’écologie », <http://lherbu.com/2018/10/pena-ruiz.html>.

 

Textes originaux

 

A. Le débat de mai 2008

 

[Texte 1]. Débat sur l’environnement du 25 mai 2018 au siège du Parti des Travailleurs (Paris). Extraits des interventions d’Alain Dubois

 

1. Sur les caractéristiques propres de la crise de l’environnement actuelle

Les civilisations humaines ont toujours modifié leur environnement, et souvent de telle manière (déforestation, surexploitation agricole des sols, désertification, surpêche, sur-chasse, introductions d’espèces allogènes dans les écosystèmes, etc.) qu’elles en ont elles-mêmes pâti. Mais depuis un demi-siècle environ, disons pour faire simple depuis la deuxième guerre mondiale, il y a eu un changement d’échelle, dû à un double phénomène : la croissance démographique humaine exponentielle, augmentant les besoins et donc l’impact sur les écosystèmes, au-delà des capacités biotiques des milieux, et le développement de nouvelles techniques, basées notamment sur la transformation du pétrole et sur la création de molécules de synthèse dont beaucoup ne sont pas biodégradables et subsistent dans l’environnement, non pas de manière ‘neutre’ et inactive, mais en perturbant le fonctionnement des cycles de la matière et de l’énergie. Ces dernières techniques se sont avérées considérablement plus rentables, en termes de plus-value, pour les capitalistes, ce qui explique le fait qu’elles aient remplacé les techniques traditionnelles, bien que contrairement à ces dernières elles soient porteuses de multiples nuisances pour l’environnement et les êtres vivants, dont les humains, notamment à travers la pollution des eaux, des terres et de l’air. La cause de la crise de l’environnement actuelle est donc clairement le capitalisme, dans sa phase actuelle de pourrissement. Dans ce cadre et de plus en plus, notre société utilise la science et la technique au service de la classe dominante qui est elle-même de plus en plus aux abois. Cela l’amène à modifier les fondements de la science et de la culture : de forces productives, elles se transforment en forces destructives. Lors des dernières décennies, les budgets alloués au développement de ces techniques ont été considérablement plus élevés que ceux consacrés à l’étude scientifique de leur emploi sur l’environnement et sur les êtres humains eux-mêmes.

Ces constatations doivent amener les marxistes à remettre en cause l’affirmation traditionnelle selon laquelle ce n’est pas ‘la science et la technique en soi’ qui sont positives ou négatives, mais l’usage que la société humaine en fait. Le capitalisme a développé lors du dernier demi-siècle des techniques qui, à l’instar du nucléaire, sont porteuses par elles-mêmes de nuisances qui auraient interdit leur développement dans une société rationnelle mise au service des humains, c’est-à-dire une société réellement socialiste ou communiste. L’ensemble de ces agressions sur la biosphère aboutit à remettre en cause ses équilibres et menace d’aboutir à court terme à des points de non-retour, au-delà desquels la restauration d’écosystèmes compatibles avec la vie, ou au moins à l’existence d’une civilisation humaine organisée, deviendra impossible. Bien que le ‘court terme’ en question reste difficile à évaluer, par manque d’informations scientifiques sérieuses sur le fonctionnement de la biosphère, la notion d’urgence environnementale liée à ces menaces doit être prise en compte par les marxistes, qui ne peuvent plus se contenter de reporter aux calendes grecques l’action dans ce domaine. Il s’agit d’un nouveau paradigme, dont il n’est pas étonnant qu’on ne trouve pas trace dans les textes ‘classiques’ du marxisme. Mais, armés du Programme de transition, les trotskystes constituaient le groupe le mieux armé théoriquement pour comprendre ce nouveau paradigme et l’intégrer dans l’ensemble de leurs analyses, et le fait qu’ils se soient avérés incapables de le faire constitue un véritable gâchis et un crève-cœur. La théorie marxiste n’en est en rien responsable : ce désastre est dû à la rigidité des dirigeants de ce mouvement politique, qui s’est avéré incapable de faire face à une situation nouvelle.

Comment peut-on dire à la fois, comme le font les lambertistes depuis un demi-siècle, que les forces productives ont cessé de croître, ce qui a des implications dans tout le fonctionnement de notre société et que, finalement, cette société-là, qui est en train de détruire l’homme et la civilisation, est capable de développer quelque-chose de positif, par exemple l’énorme industrie mondiale du nucléaire. Le fait d’avoir cet ancrage dans l’analyse du texte de Trotsky aurait dû amener à réfléchir de manière bien plus approfondie sur les relations entre la science, la technique et la société. Pour ma part, après 40 ans de métier dans la recherche j’ai une approche extrêmement négative de la manière dont celle-ci fonctionne dans notre société. À mon avis, le fait que les forces productives ont cessé de croître se traduit entre autres actuellement par le fait que notre société attaque la science et la technique en tant que facteurs progressistes. Il me semble que cette question mériterait au moins une journée d’étude et de débat.

Le premier aspect de cette question est la parcellarisation des connaissances et le fait que les sciences holistes ou synthétistes, comme l’écologie, la biologie des populations, la systématique, l’océanographie, la climatologie, ont été longtemps complètement marginalisées par rapport à l’approche réductionniste ou analytique, telles que la physique, la chimie, la physiologie, la biologie moléculaire. Or ce sont les sciences holistes qui permettent de comprendre le fonctionnement de la biosphère et les menaces qui pèsent sur cette dernière. Depuis le début du 21e siècle, cette situation est en train de changer, mais il faudra encore longtemps avant que l’énorme retard pris soit comblé. De manière peut-être bien plus générale, depuis quelques dizaines d’années on assiste de plus en plus à la mise au pas des chercheurs. Au nom de ce que l’on appelle maintenant ‘la demande sociétale’, mais qui est en fait celle de la classe dominante, on impose de plus en plus aux chercheurs les domaines et les questions sur lesquels ils peuvent travailler. Cela se fait à travers un fléchage des budgets et des postes, fléchage qui en France s’effectue à la fois au niveau de l’État et de l’Union Européenne. Cela se traduit de manière très concrète, par la dévaluation des chercheurs et des programmes qui n’ont pas l’heur de plaire aux ‘experts’ auto-désignés de la nomenklatura de la recherche. Il est frappant de constater la terrible passivité, pour ne pas dire complaisance, de la communauté dans son ensemble face à ces orientations. Il en résulte les silences complices des scientifiques, par exemple en France, face à l’arrivée du nuage de Tchernobyl, face à l’irradiation des populations de Mururoa, face au scandale de l’amiante, sur les méfaits des pesticides, sur le fonctionnement des écosystèmes et des populations, etc. N’y a-t-il pas là une question politique fondamentale et un combat politique à mener pour la réappropriation de la science par les chercheurs et pour la libérer de la mainmise étatique ?

 

2. Sur l’absence de débat sur les questions d’environnement dans le mouvement trotskyste

À mon avis, les trotskystes, sur la question de l’environnement, ont fait une erreur historique. Bien que cela fasse environ 50 ans que ce problème est sur le dessus de la pile, il n’y a pas eu de discussions au niveau du Parti ou de sa presse et de prises de positions claires sur ces questions. Ce problème ne fait pas partie de ceux sur lesquels le mouvement ouvrier se penche depuis plus de 150 ans. S’il est vrai que l’humanité depuis qu’elle existe a toujours modifié son environnement et l’a souvent dégradé de manière irréversible, l’échelle de son interférence avec la nature était sans commune mesure avec ce qu’elle est devenue. Le Programme de transition dit de manière très générale que, sans la révolution socialiste, il n’y aura pas de solution à la crise de l’humanité et que l’on va à la catastrophe, mais le problème de l’environnement ne figure pas une seule fois en tant que tel dans ce programme—tout simplement parce qu’en 1938 il ne se posait pas, en tout cas pas de manière aigüe. Donc il est vrai qu’à part quelques passages isolés qu’on peut mettre en exergue il n’existe pas de texte traditionnel, reconnu comme fondateur sur ces questions, dans les textes classiques du marxisme. Cela n’est pas étonnant car le problème est vraiment nouveau, et aurait exigé de la part des marxistes d’aujourd’hui de développer une analyse nouvelle.

Mais la nature a horreur du vide. Pendant que les marxistes prenaient un retard de 50 ans, la société a avancé, un ‘mouvement écologiste’ est apparu et s’est structuré. Il y a eu de nombreuses discussions parmi les jeunes, les intellectuels, un bon nombre de scientifiques mais aussi des paysans, des pêcheurs, des ouvriers, etc., qui ont vraiment été confrontés à ces problèmes. Ils ont essayé de trouver des analyses et des propositions sur cette question et ils n’ont jamais trouvé en face d’eux d’interlocuteurs marxistes. Les marxistes se sont complètement exclus eux-mêmes de ces discussions. Ils ont laissé la place vacante, et celle-ci a été longtemps occupée par les staliniens, se prétendant marxistes. La position de l’URSS ‘triomphante’, et en France du Parti Communiste Français (qui ne mettait pas alors d’‘écologie’ dans son langage comme aujourd’hui avec Marie-Georges Buffet), a longtemps consisté à ignorer ou minimiser le problème en disant que la science, qui est toujours positive ‘en soi’, allait certainement trouver des solutions techniques à ces problèmes et que de toute façon il suffisait d’attendre le socialisme pour qu’ils se résolvent, car pour le moment ce n’est pas une question cruciale. Et sur ce plan, que ce soient les pablistes ou les lambertistes, tous les trotskystes ont pendant des décennies exactement emboîté le pas aux staliniens. En conséquence, ils n’ont pas élaboré un seul mot d’ordre de transition sur ces questions, ce qui aurait permis d’organiser les combats même de manière provisoire et surtout, d’attirer à eux toute cette frange de militants qui ‘se cherchaient’. Le mouvement écologiste s’est développé sans eux dans plusieurs directions, et constitue aujourd’hui une nébuleuse qui va de l’extrême droite à des gens sincèrement révolutionnaires, mais les marxistes en sont quasiment absents.

Bien qu’il soit déjà tard, il est urgent de discuter ces questions, en partant de la constatation matérialiste que le fonctionnement de la biosphère est extrêmement complexe et implique des cycles naturels qui ne peuvent être perturbés ou détruits sans graves conséquences. On ne peut se contenter de formules stupides à l’emporte-pièce du style : ‘la terre pourrait abriter et nourrir une population mondiale 10 fois ou 100 fois supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui’. L’homme fait partie de la nature et certes, les marxistes ont toujours eu comme position que l’homme devait maîtriser la nature, mais maîtriser la nature, cela ne veut pas dire la mettre au pas comme on le ferait d’un esclave récalcitrant, cela veut dire connaître ses lois et les respecter afin de pouvoir les utiliser en fonction de nos besoins et de nos projets, sans tuer la poule aux œufs d’or. Quant aux techniques, un guide fondamental pour toute réflexion est fourni par l’analyse de Barry Commoner, selon laquelle les techniques modernes en elles-mêmes détruisent l’intégrité des écosystèmes et que ce n’est pas leur mauvaise utilisation qui est en cause, et que ces techniques se sont développées aveuglément, sans considération pour leurs conséquences environnementales, agricoles et sanitaires, purement pour des raisons de profit capitaliste. Ce qui implique qu’il n’y a pas de solution à la crise environnementale en dehors de la révolution socialiste, et donc que les ‘solutions’ à cette crise qui n’envisagent pas de toucher au système capitaliste sont des pièges. Ces ‘solutions’ à la Al Gore, qui sont grosses de nouveaux problèmes et notamment d’attaques redoublées contre les travailleurs au nom de la ‘décroissance’ ou du ‘développement durable’, sont certes mises en avant par une bonne partie des organisations et militants de l’écologie politique. Mais les marxistes ne doivent pas se déterminer dans leurs analyses à partir du point de vue de l’impérialisme, du stalinisme ou de tout autre mouvement qui épouse l’idéologie dominante. Ce n’est pas parce que le problème de la crise environnementale a été utilisé à leurs propres fins par la bourgeoisie et par l’impérialisme que c’est une raison pour l’ignorer. Les marxistes doivent fournir leurs propres analyses, fondées sur les connaissances scientifiques disponibles, et proposer leurs propres solutions et mots d’ordre. C’est pourquoi j’ai rédigé et proposé à notre Comité du 13ème qui doit en débattre un amendement pour le Manifeste du POI. Cet amendement doit être court et donc rester très général. Mais ces idées générales doivent être accompagnées de mots d’ordre concrets de transition sur lesquels il est possible de mobiliser pour mener à bien des combats concrets. Dans un premier temps, je soumets à la considération et à la discussion  les mots d’ordre suivants :

— Halte à la destruction des forêts, pour la biosphère, garantie de maintien des sols et de la majorité de la diversité !

— Halte à l’exploitation irrationnelle des sols et aux différentes formes de pillage des ressources minérales biotiques !

— Halte aux pollutions des eaux, des sols et des airs !

— Halte à la libération dans l’atmosphère des polluants responsables des changements climatiques !

— Halte à l’utilisation militaire et civile du nucléaire !

— Réappropriation de la science par les scientifiques !

 

 

 

B. Le Manifeste du POI

 

[Texte 2]. Réflexions sur les projets de textes fondateurs du Parti ouvrier indépendant soumis aux Comités Locaux par le Comité Permanent. Propositions d’amendements au Manifeste du Parti concernant la notion de destruction de l’environnement

 

Attendus. — La notion de destruction de l’environnement de notre planète n’est pas mentionnée une seule fois dans le projet de Manifeste. C’est une lacune importante, qui risque d’entraîner une réticence de la part de nombreux travailleurs et jeunes à rejoindre notre Parti. La terre est un univers fermé, aux ressources limitées, dont les écosystèmes ne peuvent subir indéfiniment des destructions de l’ampleur de celles qui se multiplient et s’accélèrent depuis au moins un siècle, avec l’explosion démographique humaine et la crise du système impérialiste qui devient chaque année de plus en plus profonde. Les atteintes à l’environnement dont est responsable la gestion actuelle de la planète par les sociétés humaines sont innombrables, de plus en plus considérables, et pour beaucoup irréversibles. A moyen terme, ce sont non seulement les conditions de vie, d’alimentation et de santé des populations qui sont menacées, mais la survie même de l’humanité qui est en cause. Les informations scientifiques qui permettent de l’établir sont diverses et irréfutables, même si de nombreuses inconnues subsistent dans ce domaine. Ce n’est pas ‘l’homme’, pris de manière indifférenciée, qui est responsable de ces destructions et de ces menaces (sur la biodiversité, le climat, les ressources nutritives, la santé, etc.), mais la société de classes et la gestion qu’elle fait de l’environnement, que ce soit dans les pays dépendant directement de l’impérialisme (en Europe, en Amérique et dans le ‘tiers monde’) ou dans les pays où existe une propriété sociale des moyens de production (Chine, Cuba, etc.) mais avec un État bureaucratique. Le système impérialiste, inféodé à la recherche du profit par une minorité d’exploiteurs, est non seulement responsable de cet état de fait, mais incapable d’y apporter une solution. Seule une société socialiste, au service des travailleurs et donc de la majorité de la population, est susceptible de procéder aux changements drastiques dans la relation entre l’homme et la nature et dans la gestion de l’environnement qui sont indispensables et urgents. Il est indéniable que l’impérialisme et ses laquais se servent de cette situation pour attaquer encore plus les travailleurs, limiter leurs droits et augmenter leur exploitation, sans pour autant résoudre le problème de fond. En réalité, en encadrant de plus en plus le travail des chercheurs scientifiques, en leur imposant de manière de plus en plus dirigiste des axes de recherche déterminés en fonction des priorités du capitalisme, ils leur interdisent de travailler sur une compréhension réellement globale des problèmes en cause et sur des propositions réalistes pour les résoudre. Mais cette instrumentalisation de l’‘écologie’ par l’impérialisme ne signifie nullement, bien au contraire, que le problème environnemental soit un faux problème, qui disparaîtrait comme par enchantement si le socialisme mondial était instauré demain. Sans prétendre y apporter une solution toute faite (qui n’existe pas aujourd’hui), notre Manifeste doit mentionner ce problème.

 

Proposition d’amendements. — Cette question peut être mentionnée brièvement dans le Manifeste à deux reprises :

 

(1) Dans l’introduction (page 1), par l’ajout d’un sixième point, après celui qui commence par « remise en cause » :

« agressions considérables sur l’environnement de notre planète, qui remettent en cause à moyen terme non seulement les conditions de vie, d’alimentation et de santé des populations, mais la survie même de l’humanité. »

 

(2) Dans le chapitre « Nous nous prononçons pour un parti ouvrier de défense et de reconquête qui agit [ne vaudrait-il pas mieux écrire qui agisse ?] pour l’unité de la classe ouvrière » (page 3), après le septième paragraphe sur la jeunesse, par l’ajout du paragraphe suivant :

« Le Parti ouvrier indépendant se battra pour l’arrêt des agressions de notre société vis-à-vis de l’environnement de notre planète, pour de nouvelles relations entre l’homme et la nature, dans une gestion de celle-ci qui respecte les équilibres écologiques, la biodiversité, les besoins alimentaires et autres des populations humaines à long terme, de leur santé et de leur qualité de vie. Notre Parti agira pour un soutien décuplé à la recherche scientifique dans ce domaine, non pas en fonction des intérêts d’une minorité d’exploiteurs, mais de ceux des travailleurs, des jeunes et de l’ensemble de la population. »

 

Alain Dubois

24 avril 2008

 

 

 

[Texte 3]. Amendements au projet de Manifeste du POI proposés par le Comité Paris-13

 

(1) Dans l’introduction (page 1), ajout d’un 6° point après celui qui commence par « remise en cause » :

 « Pillage et destruction des ressources naturelles détériorant gravement l’environnement en remettant en cause à moyen terme les conditions de vie, d’alimentation et de santé des populations. »

 

(2) Dans le chapitre « Nous nous prononçons pour un parti ouvrier de défense et de reconquête qui agit pour l’unité de la classe ouvrière »  (page 3) après le 7° paragraphe sur la jeunesse, ajout du paragraphe suivant :

« Le Parti ouvrier indépendant se bat contre les atteintes à l’environnement dont est responsable l’impérialisme pourrissant et pour une maîtrise rationnelle de la gestion de la nature. Ceci nécessite la défense et la reconquête de tous les services publics conçus pour assurer la satisfaction des besoins de la population et la préservation de sa santé (service des forêts, services de sécurité alimentaire et énergétique, remunicipalisation de l’eau, etc.). Ceci nécessite en même temps la défense et la reconquête d’une recherche scientifique publique et indépendante et sa réappropriation par les chercheurs eux-mêmes, recherche indispensable à la satisfaction des intérêts des travailleurs, des jeunes et de l’ensemble de la population, à l’opposé des choix dictés par l’UE et le gouvernement au service d’une minorité d’exploiteurs. »

 

Comité Paris-13 pour le POI

14 mai 2008

 

C. Rupture avec le POI

 

[Texte 4]. Adieu camarades (21 septembre 2008)

 

Chers camarades,

Je vous informe de ma décision de démissionner du bureau du Comité du 13e arrondissement de Paris du POI et de ne pas donner suite pour l’instant à ma décision de rejoindre le parti à sa fondation. Cette décision bien mûrie fait suite à l’observation de la réalité du POI lors de sa création et depuis, et de la confrontation de cette réalité avec les promesses et annonces des mois qui ont précédé la proclamation du parti. Je pourrais développer mes commentaires à ce sujet bien plus longuement que ci-dessous mais je doute que cela soit utile. Je me contenterai de résumer en quelques pages les raisons qui m’amènent à cette décision. Je suis bien entendu prêt à en discuter avec vous si vous le souhaitez, mais je doute que cela soit susceptible de me faire changer d’avis. Mes désaccords portent sur de nombreux points mais peuvent se concentrer sous trois rubriques : le parti, le journal, l’environnement.

 

1. Le parti

(1) Je n’ai pas de désaccord de fond avec la ligne politique générale du POI. En réalité, je n’ai pas eu non plus de désaccord important avec la ligne politique du PCI et de ses différents avatars depuis 1968 où je suis entré en contact avec ce parti (j’avais adhéré à la FER il y a 40 ans, le 1er mai 1968, juste avant la grève générale). Les différentes campagnes sur lesquelles s’est concentré le POI depuis sa fondation (contre l’UE, contre la casse tous azimuts des acquis, contre la guerre en Afghanistan, etc.) sont très justes et nécessaires, et je souhaite de tout mon cœur au POI de réussir à faire bouger les choses dans ces domaines. Je doute toutefois très fort que cela puisse être le cas, car le POI ne s’est pas engagé dans la voie de la construction d’un parti de masse, et je doute qu’il soit en mesure de le faire. Ce n’est pas dans la culture des trotskystes, et je ne les crois pas capables d’évoluer dans ce sens. Ils fonctionnent depuis 80 ans comme une secte et ne changeront pas. Le dernier siècle l’a démontré, depuis 1923‒1924 et la mise en place du stalinisme : dans la lutte des classes, il ne suffit pas d’avoir raison sur les analyses et prises de positions, ce qui a été très généralement le cas des trotskystes, il faut être capables de constituer une force politique susceptible d’entraîner les masses sur ces analyses et prises de positions. Les trotskystes n’en ont jamais été capables. Toute leur énergie a été bandée vers un objectif, certes non négligeable, mais insuffisant : préserver leur existence, transmettre un héritage théorique et une expérience pratique. Mais cela ne suffit pas. Ces analyses ont été pillées, édulcorées, dévoyées, et utilisées, une fois rendues inoffensives, dans bien des cas (notamment par les pablistes) contre la classe ouvrière et au service de l’impérialisme. Les trotskystes ont certes pesé à de nombreuses reprises sur les évènements, et continueront à le faire, mais leur rôle dans la lutte des classes mondiale à l’échelle de l’ensemble du siècle qui vient de se dérouler a été négligeable.

(2) Si j’ai rompu ces derniers mois avec mon attitude de plusieurs décennies de retrait par rapport au mouvement trotskyste, c’est parce que j’estime que nous sommes en train d’entrer dans une nouvelle période historique, faisant suite à l’effondrement de l’URSS, à l’aggravation terrible des attaques de l’impérialisme américain et de ses vassaux contre les masses du monde entier que cet effondrement a rendu possible, à la trahison de plus en plus éhontée des directions traditionnelles du mouvement ouvrier, mais aussi à l’embryon d’une résistance à ces attaques qui s’est tout d’abord manifestée par le Non au référendum français. J’ai cru que, dans ces circonstances nouvelles, les trotskystes seraient capables de bouger, de sortir de leur splendide isolement, de s’ouvrir à d’autres pensées, d’autres analyses, d’autres traditions, et de construire avec d’autres le parti de masse qui seul pourrait organiser la résistance et la riposte, et éviter qu’elles aboutissent à de nouvelles défaites. Je l’ai cru en grande partie en raison de la manière dont a fonctionné le Comité du 13e, pour lequel je rends hommage au travail et à l’attitude des camarades qui le constituaient, car à ce niveau local il y a eu de vraies discussions et une réelle volonté d’ouverture. Mais ce comité ne reflète pas, loin de là, la situation nationale dans le parti.

(3) J’ai entendu beaucoup d’annonces présageant de l’évolution et de l’ouverture du parti ces derniers mois, mais guère constaté d’évolution réelle dans les faits. Ces annonces ne sont pas les premières : c’est sur des annonces semblables qu’avaient été proclamés les CAO, le MPPT puis le PT. Dans tous ces cas, le nouveau parti (ou rassemblement) n’était qu’un habillage pour le parti trotskyste, auquel quelques individus transfuges d’autres partis ouvriers (souvent marginalisés et de second plan dans ceux-ci) s’étaient adjoints. Qu’en est-il pour le POI ? Il se présente comme devant renouveler la tradition de la Ie Internationale, un front unique ouvrier accueillant toutes les tendances du mouvement ouvrier. Mais qu’en est-il en fait ? On nous annonce des ‘courants’ dans le POI. Au Congrès de fondation, certains d’entre eux (les autres étaient ‘absents’) se sont très brièvement présentés à la tribune. Le Congrès a entériné la création de ces courants sans aucune discussion ou même proclamation programmatique. Mais à quoi correspondent-ils ? Quels sont leurs programmes ? Pourquoi, à l’exception du courant trotskyste, ne s’expriment-ils jamais pour expliquer en quoi leur point de vue justifie l’existence d’un ‘courant’ ?

S’il existe des courants différents, c’est qu’il doit y avoir des analyses différentes de certaines questions, des programmes différents sur certains points, mais alors on attend des éclaircissements à ce sujet. S’il n’y a pas de ‘programme’ différent, il s’agit peut-être de ‘sensibilités’ différentes, mais de quoi s’agit-il alors ? Se proclamer ‘socialiste’, est-ce se proclamer héritier de 1905, de Jaurès, c’est-à-dire d’un parti d’il y a 100 ans, ou du vote de la déclaration de guerre de 1914, du front populaire qui a aidé à étrangler la révolution espagnole et à préparer la deuxième guerre mondiale et l’Europe sous la botte nazie, du parti qui a fait les guerres d’Indochine, d’Algérie, de Suez et du Golfe, du ‘tournant de la rigueur’ de Mitterrand, de Jospin déclarant que l’Etat ne peut rien contre les capitalistes qui licencient ? Se proclamer ‘communiste’, est-ce se proclamer héritier de Liebknecht votant contre les crédits de guerre au Reichstag, de la révolution d’octobre, ou des millions de morts du stalinisme, des dizaines de révolutions trahies et menées à l’échec depuis 80 ans sur toute la planète par ce cancer du mouvement ouvrier ? Est-ce se proclamer l’héritier du parti qui a soutenu le pacte germano-soviétique, liquidé physiquement les trotskystes et autres opposants au stalinisme dans le monde entier et jusque dans les camps de concentration nazis ou dans le maquis ? Dans ce domaine, si j’avais un conseil de lecture à donner à tous les adhérents au POI, ce serait celui des deux livres lumineux de Roger Pannequin, Ami si tu tombes et Adieu camarades [1]. Peut-on être aujourd’hui ‘socialiste’ ou ‘communiste’ sans tirer sur ces deux mouvements les leçons tirées précisément par les trotskystes ? En d’autres termes, y a-t-il dans le POI de véritable courant autre que le courant trotskyste ? Je n’ai pour l’instant lu aucun texte ni entendu aucune déclaration qui permette de le penser. Pourtant il existe dans le mouvement ouvrier d’autres courants historiques légitimes, dont le moindre n’est pas le courant anarchiste, qui a toujours été en désaccord avec les marxistes sur le centralisme démocratique, sur la place du syndicalisme, et qui, si ses analyses et propositions sont à mon avis erronées (comme l’a démontré dramatiquement son échec dans la guerre civile espagnole, où il a été incapable de faire contrepoids à la politique contre-révolutionnaire des staliniens), n’a, contrairement aux deux courants précédents, pas de sang ouvrier sur les mains. Ce courant était très important justement dans la Ie Internationale—mais il est fort douteux qu’il soit ‘invité’ ou même accepté dans le POI et puisse s’y exprimer, si toutefois il le souhaitait, ce qui est peu probable.

(4) On a beaucoup entendu parler de démocratie lors de la préparation de la fondation du POI, et certains proposaient même de faire figurer ce terme deux fois dans le titre du parti, mais le fonctionnement du parti n’est pas démocratique, du moins selon le sens que je donne à ce terme. Ce parti fonctionne de manière pyramidale. On ‘occupe’ les militants à des discussions locales dans les comités, mais ces discussions et leurs conclusions ne sont pas diffusées dans l’ensemble du parti. Elles ‘remontent’ à la direction, qui décide seule d’en tenir compte ou non, de rediffuser l’information dans le parti ou non, et qui seule prend les décisions. Le cas de notre Lettre du 13e a été exemplaire : si j’ai consacré beaucoup de temps et d’énergie pendant des mois à la réaliser c’est parce que j’estimais utile de créer une vraie tribune libre de discussion (ce que n’est pas IO), où des points de vue différents et parfois même contradictoires puissent s’exprimer. La résistance active qui s’est manifestée, jusque parmi nous, pour la diffusion de cette lettre en dehors de notre Comité, ne serait-ce qu’au niveau parisien, a été très éclairante : nul en dehors de notre groupe n’a été informé de nos discussions sur le nom du parti, sur le journal, sur les problèmes d’environnement, sur notre proposition de donner un nom à notre comité, etc. Occuper les militants à discuter localement, sans que la teneur de ces discussions sorte du cadre local et ait la moindre influence sur la politique régionale ou nationale, rappelle la ‘démocratie participative’ de Ségolène. Ce n’est pas de la démocratie, car la démocratie interne d’un parti implique que tous les membres de celui-ci, et pas seulement la direction, aient accès (ou puissent avoir accès s’ils le souhaitent) à toutes les informations et discussions concernant celui-ci, avant de voter et de décider. Nous en avons eu un exemple lors de la discussion sur le nom du parti et des textes fondateurs lors de la préparation du Congrès de fondation, et nous en avons un autre aujourd’hui avec le soi-disant ‘débat’ sur l’éventuelle présentation d’une liste aux élections européennes, alors qu’il est clair pour tous que la décision en est déjà prise au niveau de la direction.

 

2. Le journal

(5) Ces questions se concentrent dans celle du journal. Une des raisons importantes qui m’avaient permis d’espérer voir de vrais changements dans le POI était les annonces de changement du journal : création d’un Comité Éditorial élu par le Congrès et responsable devant lui, annonce que les éditoriaux seraient signés de manière tournante par des camarades différents, ouverture du journal à une vraie tribune libre, à des débats contradictoires, à des sujets de société, de culture, etc. L’absence de toute discussion sur le journal au Congrès (en dehors de la ‘Commission IO’) était hallucinante mais très éclairante : en effet le journal est absolument déterminant dans l’orientation et l’action d’un parti. Les problèmes du Congrès sur IO traduisent bien évidemment des problèmes politiques. Qui contrôle IO ? Est-ce le POI ou le CCI ? Qui a désigné (non pas ‘élu’) les membres du comité de rédaction ? Devant qui sont-ils responsables ? Comme vous le savez, j’ai été très choqué au Congrès par le fonctionnement totalement non-démocratique de la ‘Commission IO’—et bien plus encore par le silence (très instructif sur leur ‘culture politique’ de respect sans faille de la direction) de tous les délégués lors du vote du texte présenté au Congrès au nom de cette Commission, alors que ce texte n’avait été ni présenté ni soumis au vote de cette Commission elle-même. J’avoue avoir hésité une seconde à lever la main pour monter à la tribune, j’attendais en fait de voir si d’autres mains se levaient et je pensais que la salle aurait un peu de temps : erreur due à mon inexpérience, je n’ai pas assez d’habitude de la manière dont sont ‘emballés’ les Congrès, et la tribune est immédiatement passée à un autre point avant que quiconque ait demandé la parole sur ce rapport.

J’ai cru faire un voyage dans le passé lors de cette Commission : un ‘rapporteur’ qui présente, en s’écoutant parler, un rapport angélique sur son travail, puis des interventions, nombreuses, de la salle, dont un bon nombre modérément ou extrêmement critiques, puis une ‘réponse’ du rapporteur consistant à distribuer les bons et les mauvais points, en maniant cette forme d’‘humour’ à la Claude Chisserey ou à la Charles Berg que connaissent bien tous les militants des années 60‒70 (mais dont je dois dire que je n’ai pas retrouvé trace dans le Comité du 13e), comportant une ridiculisation, une humiliation des intervenants critiques, et pour finir aucun vote sur les ‘propositions’ du ‘rapporteur’. En gros, on occupe les militants à discuter, mais les décisions se prennent ailleurs. Le Congrès a été entièrement silencieux sur les relations entre le parti et le journal, sur le mode de désignation et la composition du comité éditorial, sur le contrôle du parti sur le contenu. On nous a vaguement dit que c’était pour éviter que ‘l’État’ mette son nez dans les affaires, notamment financières, du journal, mais la réalité du Congrès est que c’est le parti lui-même qui n’a pas à mettre son nez dans le journal. Celui-ci reste entièrement entre les mains de son ‘propriétaire’ Daniel Gluckstein (auteur des 14 éditoriaux, certes excellents, depuis le Congrès : y a-t-il bien 4 Secrétaires Nationaux au POI ?), et derrière lui du CCI qui seul contrôle le journal. Les questions levées auparavant dans notre Comité, puis dans la Commission IO du Congrès, sur le titre du journal, la propriété de celui-ci, la composition de la rédaction, le contrôle du contenu, étaient donc bien justifiées.

(6) Avant le Congrès, le Comité Permanent avait fait appel aux bonnes volontés pour participer à la conception et réalisation du journal. Je m’étais proposé pour participer au Comité Éditorial qui devait être élu par le Congrès, pour contribuer à la conception globale de celui-ci, aux pages cultures et aux questions scientifiques et d’environnement. J’envisageais notamment d’aller interviewer, au nom d’IO, divers scientifiques spécialistes de questions précises, dans des domaines controversés ou mal connus (par exemple les stocks de poissons marins en rapport avec les quotas de pêche, voir ci-dessous). Comme l’a illustré notre Lettre, j’ai une expérience de plusieurs décennies de l’écriture de textes et d’articles, de la conception et réalisation concrète de publications (j’ai créé, seul ou avec d’autres, 5 périodiques scientifiques et j’en édite un depuis 26 ans), et il me semblait que dans ce domaine de ma compétence je pouvais apporter une aide significative au parti. J’avais écrit au Comité Permanent mais, comme pour les autres courriers que je leur ai adressés, je n’ai reçu aucune réponse. Au Congrès, Daniel Schapira m’a présenté à Lucien Gauthier, qui n’a guère manifesté d’intérêt à me parler et m’a renvoyé au responsable de la page ‘culture’ du journal. Avant l’été, je me suis mis en contact avec celui-ci et nous avons convenu que, pour commencer, je rédigerais pour cette page deux articles de comptes-rendus de livres (sur des ouvrages de Jared Diamond), ce que j’ai fait immédiatement [2]. Je n’ai reçu aucune réponse à mon envoi, ni de ce responsable (ce qui s’explique car il a été malade), ni de Gauthier ou d’un autre membre de la rédaction. Le plus court de mes articles a encore été réduit et transformé à mon insu en ‘courrier des lecteurs’ (ce qui est fort différent) (IO 2400), et le deuxième n’est à ce jour pas paru. Je peux bien concevoir que la rédaction d’un journal, même après l’avoir ‘commandé’, ne veuille pas publier un article sous sa forme initiale, demande qu’il soit modifié ou le refuse. Mais alors, le minimum de correction est de répondre à l’auteur et de s’en expliquer. Dans mon milieu, certes nullement parfait, le milieu scientifique, un rédacteur de journal qui n’accuserait pas même réception d’un texte (commandé) et l’ignorerait sans même expliquer pourquoi il est refusé passerait à juste titre pour un gougnafier, et je ne souhaite pas collaborer à un journal qui fonctionne ainsi. Soit je fais partie de l’équipe du journal, soit j’en suis un simple lecteur qui envoie des ‘courriers’ qui pourront être, ou non, et sans explication, publiés selon l’humeur du rédacteur en chef, mais ce n’est pas la même chose. En tant que lecteur, si j’avais envoyé un ‘courrier’ à IO, cela aurait été pour y développer certains des points présentés ici, mais je doute fort que mes commentaires y auraient été publiés tels quels.

(7) Je prends bonne note du refus d’IO de se passer de ma collaboration : après tout, cela me fait beaucoup de travail en moins ! Il ne s’agit pas ici de mon amour-propre personnel. Je serais réjoui de constater, sans avoir à y travailler, une évolution d’IO qui en fasse un journal susceptible de toucher de nombreux lecteurs et de contribuer à la construction d’un vrai parti de masse. Ce n’est pas le cas, malheureusement. J’ai attendu pour vous adresser ce message tout l’été et que 14 numéros du ‘nouvel IO’ soient parus après le Congrès pour me prononcer à ce sujet afin de ne pas me laisser impressionner par un numéro ou deux, mais ces 14 numéros sont très cohérents et montrent bien ce que sera le ‘nouvel IO’. Malgré quelques menus changements cosmétiques dans la présentation (pas tous heureux, loin de là, je pourrais longuement développer mes analyses et faire des propositions, mais je doute d’être entendu), ce ‘nouvel IO’ ressemble comme un jumeau au précédent.

En deux mots, cela reste un journal de militants, écrit par des militants professionnels et s’adressant à d’autres militants professionnels. C’est en grande partie une lettre intérieure, un outil de communication interne au parti : combien nous avons fait de signatures sur tel marché ou dans telle entreprise, combien d’IO ont été vendus, combien de soutien nous avons récolté, et avant tout nous sommes les meilleurs, infaillibles, etc. Pour moi, un journal ouvrier peut annoncer triomphalement des victoires (bloquer une loi, un plan de licenciement, une fermeture d’hôpital ou de bureau de poste, obtenir la création de postes, la titularisation de précaires, des augmentations de salaires, etc.), mais les ventes de journaux, signatures et soutiens financiers obtenus ne sont pas à proprement parler des ‘victoires’ dans la lutte des classes. Ils relèvent de la vie interne du parti et ne concernent pas le public extérieur, en tout cas pas à la dose que l’on trouve dans IO, chaque numéro étant truffé de telles ‘statistiques’. Si l’on ajoutait tous les milliers de ‘signatures’ et d’‘IO vendus’ annoncés triomphalement dans IO depuis 40 ans, on aurait un parti de plusieurs millions de membres. Cette approche purement comptable de la construction du parti a démontré depuis des décennies qu’elle ne marche pas, et à mon sens elle est fausse.

A mon avis, ce n’est pas en faisant pression sur les contacts, les sympathisants, pour qu’ils achètent un journal (que souvent ils ne liront pas) ou pour qu’ils prennent une carte de membre fondateur (qu’ils ne renouvelleront pas toujours : combien des 10.000 membres fondateurs du POI sont à jour de cotisation ?) que l’on construit un parti de masse. C’est en trouvant un langage, des modes de communication, une visibilité qui touche des milliers, des millions de gens. C’est plus facile à dire qu’à faire, certes. Mais ce n’est pas en continuant à employer des méthodes qui ont démontré leur échec depuis des décennies qu’on y arrivera. Il y a les contacts militants, certes, le journal, mais de nos jours c’est se tirer une balle dans le pied, surtout vis-à-vis de tous les jeunes qui ont un rôle crucial à jouer pour construire un parti ouvrier de combat, que de se priver d’internet—comme les trotskystes se sont privés de la possibilité d’utiliser les radios libres. Je vous signale à cet égard que la Fédération Anarchiste, si méprisée dans les rangs lambertistes, dispose d’une radio parisienne depuis 1981, qui a joué un rôle non négligeable à certains moments, par exemple lors de la première guerre du Golfe, où des milliers d’auditeurs écoutaient toute la nuit les émissions de débat et de condamnation de l’intervention française, appelant aux manifestations contre celle-ci—je le sais parce que j’en faisais alors partie : on m’avait accepté sans problème bien que je ne fasse pas partie de la FA et ne partage pas leurs analyses, ce que je n’ai jamais caché (y compris à l’antenne) pendant une dizaine d’années (j’y ai même appelé à voter pour des candidats du MPPT et du PT à certaines élections), mais parce que c’était une vraie tribune libre pour des intervenants, intellectuels et militants se situant sur le terrain de la lutte des classes (j’ai arrêté à cause de mon surcroît de travail lorsque j’ai été nommé au Muséum directeur de laboratoire, d’un DEA et d’un programme international de recherche).

Je regrette de le dire, mais IO reste ce qu’il a toujours été depuis toujours : un journal certes très utile pour les militants politiques et professionnels, mais très largement inintéressant, pour ne pas dire immensément rebutant et ‘chiant’, pour la très grande majorité de la population. Le monde qui apparaît dans ce journal est celui des militants, pas celui des gens. La très grande majorité des questions qui les intéressent et les préoccupent n’y sont jamais abordées. Je suis même convaincu que pour beaucoup de militants du POI eux-mêmes, lire IO est une ‘tâche’, un ‘pensum’, comme l’ont exprimé très clairement plusieurs intervenants à la ‘Commission IO’ du Congrès (des propos dont le rapporteur ne s’est évidemment pas fait l’écho à la tribune du Congrès). Et encore s’agissait-il de gens qui étaient venus à cette Commission, donc intéressés a priori par le journal. Mais on ne construit pas un parti de masse sur une attitude ‘religieuse’, de sacrifice, de devoir et de contraintes, mais sur l’enthousiasme et la conviction, ce qui n’empêche pas le sérieux.

Cet été par exemple, à côté des questions nucléaires (voir ci-dessous), il ne manquait pas de sujets qui auraient pu intéresser les lecteurs estivaux d’un journal ouvrier. Il y aurait eu beaucoup à dire du tour de France, des jeux olympiques, des livres et films parus, des évènements culturels, scientifiques, etc., dans une perspective lutte des classes. Un gros plan historique, politique et social sur la situation nationale et internationale de la Chine en 2008, mise sur le devant de la scène par les jeux, sur le Caucase plus récemment, auraient pu intéresser beaucoup de lecteurs. Quand je parle d’intéresser des lecteurs, je parle de lecteurs non membres du parti, non militants. Le POI est en train de répéter l’erreur historique des différents avatars des partis lambertistes jusqu’ici : ne s’adresser qu’à ceux qui font déjà partie du club, ne pas tolérer d’avoir des compagnons de route qui ne soient pas encartés et militants mais qui aient une sympathie pour le parti, ses idées et ses actions, se joignent à lui pour certaines d’entre elles et se fassent le relais du parti auprès d’autres gens, d’autres milieux. Le PCF de la belle époque en avait beaucoup, de ces compagnons de route, artistes, écrivains, intellectuels, qui tout en gardant leur indépendance vis-à-vis du parti contribuaient à créer une sympathie et une écoute pour celui-ci, et qui du reste ont ainsi contribué de manière non négligeable à empêcher le développement d’autres partis ouvriers en France.

(8) En ce qui concerne les articles parus dans IO depuis le Congrès, je ferai une exception pour deux catégories : les pages internationales, qui sont souvent très originales, intéressantes et informatives et sont pour moi la seule vraie force du journal depuis longtemps, et les ‘dossiers’ mis en place dans la nouvelle formule, qui rentrent dans le détail de certaines questions et sont parfois très réussis. C’est bien mais c’est un peu court, environ 4 pages sur 16.

Les pages sur la France comportent quelques articles généraux intéressants et utiles, mais souvent bien courts et superficiels à mon avis. Elles contiennent ensuite des articles, reportages, interviews concernant les régions, les secteurs professionnels, les entreprises, les comités du POI, dont je suis conscient qu’ils sont intéressants et utiles pour les cadres locaux du parti et peut-être certains militants de base, mais guère pour la plupart des lecteurs non membres. De plus leur ton toujours triomphaliste, qui ne parle jamais des faiblesses, des erreurs, des échecs, et donc ne contribue pas à éviter de les répéter, n’est guère de nature à convaincre un nouveau lecteur de l’intérêt du journal. Il est normal que ceux qui depuis des années ou des décennies sont dans le parti, le côtoient et y travaillent tous les jours, le considèrent un peu comme le centre du monde. Mais ils finissent ainsi par ne pas se rendre compte que ce parti n’a aucune visibilité dans la société pour toutes les personnes qui ne sont pas en contact avec un militant sur leur lieu de travail ou au marché—ce qui représente la grande majorité de la population française. Je connais bien la raison de cette ignorance : le boycott délibéré de la plupart des grands médias sur l’activité et l’existence même de ce parti. Mais ceci est la conséquence directe du refus, qui est à mon sens tout à fait justifié, de ce parti à ‘jouer le jeu’ de la société que nous combattons, de manière à conserver l’indépendance politique. Il n’y a donc pas lieu de pleurnicher à cet égard, mais il faut admettre que cela a des conséquences sur la visibilité et la sphère d’influence du parti. Ces conséquences sont illustrées par les résultats lamentables du parti à toutes les élections présidentielles, qui jouent plutôt contre son image, et qui contrastent avec les résultats bien plus honorables obtenus dans certaines élections locales, là où le parti est réellement implanté. 

(9) Malheureusement, les pages ‘culture et société’ du nouvel IO sont d’une grande pauvreté. Beaucoup des analyses de livres et de films présentées sont soit complaisantes (quand il s’agit d’auteurs du ‘sérail’) soit d’une médiocrité affligeante, sans aucun éclairage lutte de classes (comptes rendus de livres et de films notamment, qui évoquent plutôt un petit journal sympathique et maladroit de potaches produit dans un collège, pas un hebdomadaire national). Quant à la ‘tribune libre’, pourtant annoncée dans le sous-titre d’IO, elle reste très étroitement surveillée, et n’est ‘libre’ que dans la mesure où elle ne critique pas le parti. Il n’y a pas eu dans IO depuis le Congrès un seul débat contradictoire sur aucune question. Enfin, l’alternance régulière de 4 thèmes dans l’avant-dernière page ne laisse paraître la page proprement ‘culture et société’ qu’une fois par mois, alors qu’elle devrait être au moins hebdomadaire et que deux pages vaudraient mieux qu’une. Et ce n’est pas une question de place. La nouvelle maquette ‘aérée’ entraîne beaucoup de perte de place (il suffit de comparer avec une page du Monde), et même en la conservant on pourrait gagner au moins deux pages, en supprimant les bandeaux de haut de page et les quelques colonnes latérales tirés de télex de l’AFP, illisibles et inutiles car trop laconiques, en utilisant la première page pour l’éditorial ainsi que les deux autres textes de la page 2 (la première page joue un rôle d’affiche pour les marchés, mais à mon sens ce n’est pas le rôle d’une première page de journal, il devrait y avoir tirage d’une affiche à part), en supprimant ou réduisant les chroniques ‘beaufs’ de la dernière page et la grande place prise par le bulletin d’abonnement dans celle-ci, etc.

Lors de la réunion de la ‘Commission IO’ du Congrès, j’avais proposé que le journal se dote d’un ‘médiateur’ qui tiendrait une rubrique régulière, par exemple mensuelle, où il ferait état de courriers critiques reçus et y apporte des réponses, impliquant parfois un mea culpa, comme dans certains journaux comme Le Monde. Je n’ai pas obtenu de réponse sur ce point, bien que l’idée me paraisse à creuser.

(10) Une dernière remarque, pour rester court, concerne la fonction, que certains revendiquent haut et fort, d’IO comme outil de ‘propagande’. Pour moi le terme de ‘propagande’ a désigné des ministères dans les États nazis et staliniens, qui ne sont pas des exemples à suivre. A cet égard, bien qu’ils se servent tout autant des médias et de la presse pour façonner l’‘opinion publique’, les ‘démocraties’ sont plus intelligentes, qui parlent d’‘information’, pas de propagande. Le titre d’IO annonce un journal d’informations, et ceci implique de ne pas prendre le lecteur pour un imbécile. C’est pourtant ce que font certains articles, qui pour faire passer en force la ‘ligne’ du parti présentent certaines questions de manière biaisée et mensongère. L’emploi de ‘pseudo-syllogismes’ appartient à ce domaine, comme je l’illustrerai par deux exemples. C’est une chose de dire que les particularités de la révolution française ont hâté la disparition de la plupart des patois et langues régionales en France. Cela ne démontre toutefois en aucune manière que le génocide culturel n’existe pas et « est une invention » (IO 2398) ! Cette affirmation est une contre-vérité absolue, qui n’a pour but que d’apporter un appui à la position du CCI sur le Tibet et d’autres cas semblables, où la ‘raison d’État’ et le soutien à l’‘État ouvrier’ chinois amène à faire passer sous la table le mot d’ordre léniniste du droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme je l’ai exprimé dans ma tribune libre intitulée « Quelques autres questions à propos du Tibet » parue dans IO 841 en avril 2008. Le vingtième siècle a vu des dizaines de génocides culturels d’une grande violence. On peut dire que c’est un phénomène historique inéluctable, peut-être, on peut même y être favorable, cela se discute, mais pas dire que ça n’existe pas. De même, constater que des pays en dehors de l’Union européenne ne respectent pas les quotas de pêche édictés par celle-ci ne démontre absolument pas qu’il n’y a pas de problèmes de surpêche et de déplétion des stocks des espèces de poissons concernées (IO 2397) : cela démontre seulement que, dans la jungle du système capitaliste, chacun est toujours prêt à exploiter les ressources tant qu’il y en a encore, sans se préoccuper de leur pérennité, afin de ‘doubler’ les autres dans la compétition. Et cette question m’amène à la dernière que je veux évoquer ici, celle de l’environnement.

 

3. L’environnement

(11) Au sein de notre Comité du 13e, nous avons eu de longues discussions sur la question de l’environnement. Jusqu’ici, cette question n’a jamais été prise sérieusement en compte par les lambertistes, sans doute parce qu’elle ne fait pas partie des questions ‘traditionnelles’ du mouvement ouvrier et que ni Marx, ni Lénine, ni Trotsky n’en ont parlé. Il n’y a là rien d’étonnant : il s’agit d’une vraie question nouvelle dans l’histoire de l’humanité, du moins par l’ampleur planétaire des menaces que cette question fait actuellement peser sur la survie même de notre civilisation, sinon même de notre espèce. Il se pourrait aussi, ce qui serait plus grave, que la position des lambertistes relève d’un suivisme de la position des staliniens sur cette question.

Cette position est intenable. Les lambertistes sont pris en tenaille entre leur analyse, à mon avis correcte, selon laquelle « les forces productives de l’humanité ont cessé de croître », ce qui implique que l’impérialisme en crise n’est plus depuis longtemps un facteur de progrès pour l’humanité, et leur défense bec et ongles des développements récents de la technique au sein de cette société, au nom d’une conception du ‘progrès’, largement teintée d’illusions positivistes à la Auguste Comte qui étaient en vigueur au 19e siècle. Cette conception est complètement obsolète après le Titanic, les tranchées de 14, Auschwitz et Hiroshima, après un siècle entier où la science et la technique ont été largement plus employées, dans cette société en décomposition, pour la destruction que pour le progrès. Sur cette question de l’environnement, les lambertistes ont adopté la position la plus réactionnaire, celle des industriels et de leurs alliés, selon laquelle s’opposer à ces techniques ‘modernes’ serait vouloir le retour de l’humanité à l’âge de pierre. Que je sache, jusqu’à ces dernières décennies, l’humanité s’est passée de l’énergie nucléaire, du pétrole, des pesticides et engrais industriels, de l’amiante, des OGM, etc., et n’était pas ‘retournée à l’âge de pierre’. Dire qu’il s’agit là de ‘progrès’ récents indispensables à l’humanité est contradictoire avec l’affirmation que « les forces productives ont cessé de croître ». Pour défendre cette position, les lambertistes doivent adopter une attitude de déni des informations scientifiques sur ces questions qui non seulement n’est pas à leur honneur mais de plus les coupe de toute une partie progressiste de la population, celle qui essaye de se battre contre cette dimension cruciale des agressions que l’impérialisme en crise fait subir à l’humanité, à travers la destruction de son cadre de vie, de ses ressources et de sa santé. Que par ailleurs l’impérialisme se serve de cette bien réelle question de l’environnement pour attaquer les droits des travailleurs, exploiter encore plus ceux-ci et contribuer à désagréger encore plus la société, n’a rien pour nous étonner, mais il ne faut pas tout confondre : ce genre d’amalgame est de ceux dont, justement, la classe dominante et les médias à leur solde se servent en permanence pour semer la confusion et manipuler les esprits.

(12) Ce n’est pas d’hier que j’ai soulevé cette question, puisqu’en 1977 (il y a 31 ans) IO avait publié dans 4 numéros successifs des extraits de mon texte « Marxisme et écologie » que j’avais adressé à l’OCI [3]. La discussion a repris ces derniers mois, dans notre Comité et dans plusieurs autres réunions. Elle a certes abouti à l’introduction d’une phrase sur cette question dans le manifeste du POI. Comparé au passé, c’est certes beaucoup, mais si cette question doit en rester là, c’est un peu court. Une phrase dans le manifeste, dont la politique du parti ne tient en aucune manière compte, ne sert à rien. Cette question n’apparaît nulle part dans les autres documents du Congrès et dans les déclarations diverses qui ont accompagné la proclamation du POI.

(13) Avant le Congrès, on m’avait dit que celui-ci mettrait en place des ‘Commissions’ permanentes chargées de travailler sur des dossiers, et que l’une d’entre elles se consacrerait à la question de l’environnement. Notre Comité avait envoyé un vœu dans ce sens au Comité Permanent. Quand celui-ci avait sollicité auprès des membres fondateurs des candidatures pour participer aux instances nationales, j’avais présenté la mienne pour participer à une telle Commission et éventuellement l’animer, en disant que je me tenais à la disposition de la direction pour contribuer à ce travail sous la forme qui serait jugée utile. Sur ce point non plus, je n’ai reçu aucune réponse du CP ou du BN qui lui a succédé. Je ne sais si l’intention de créer cette Commission était réelle et se concrétisera un jour, mais, dans la mesure où le Congrès ne la créait pas, et où j’avais soulevé cette question avec insistance, j’aurais trouvé normal et même ‘habile’ qu’on me propose de faire partie de l’instance nationale mise en place au Congrès, le Bureau National (sur liste fermée concoctée par le CP, la seule candidature issue de la salle présentée lors du Congrès ayant été balayée d’un revers de la main par la tribune, sans susciter d’émotion dans l’assistance docile où personne n’a jugé utile de demander des compléments d’explication). J’aurais accepté cette proposition, en espérant que, dans ce cadre, j’aurais pu contribuer à développer une réflexion et une élaboration sur ces questions, mais manifestement cela n’intéressait personne à la direction.

(14) Une fois de plus, il ne s’agit pas d’amour propre. Je serais réjoui de voir que le POI, sans que j’aie besoin d’y travailler, développe une réflexion sur ces questions et élabore des propositions de mots d’ordre et d’action. Mais les 14 numéros d’IO depuis le Congrès démontrent que le POI n’a pas bougé d’un iota sur ces questions par rapport au PCI, au MPPT, au PT, etc. Passons sur les articles ‘humoristiques’ dans les rubriques ‘beaufs’ style ‘brèves de comptoir’, où il est de bon ton de se moquer des défenseurs de la banquise (IO 2396), des hérissons (IO 2395) et des tigres (IO 2400), et où ces derniers sont considérés comme un danger pour l’humanité ! (La seule espèce dangereuse pour toutes les autres sur cette planète, c’est l’homme !). Les affirmations fausses, mensongères ou gratuites sont égrenées de ci de là dans chaque numéro du journal. Quand Pierre Jeanneney, que j’apprécie beaucoup par ailleurs, écrit dans IO 2405 que c’est la ‘politique agricole commune’, donc l’UE, qui est responsable des désastres de l’agriculture européenne moderne, avec surproduction, engrais et pesticides, on peut se dire qu’il aurait été bon que son texte soit relu par un rédacteur qui lui aurait fait remarquer que depuis 60 ans c’est la même chose dans le monde entier, quel que soit le système et le régime en place. La cause de ce phénomène n’est pas ‘l’UE’ mais le productivisme industrialisé imposé par l’impérialisme et ses ombres portées staliniennes et autres. Sortir de l’UE n’y changerait absolument rien si par ailleurs il n’y avait pas de volonté politique de changer les modes de production d’aliments dans notre société, ce qui serait techniquement possible mais impliquerait de s’affronter directement à l’impérialisme mondial, pas à la seule UE, sur ces questions. Ce n’est pas une nuance, c’est une question de fond.

(15) Il y a plus grave. En toute logique, la posture ‘anti-écolo’ du POI l’amène à soutenir des prises de positions anti-scientifiques. Nous en avions discuté dans notre Comité : la question des quotas n’est pas aussi simple que le prétend le POI. Il y a deux sortes de ressources alimentaires pour l’humanité : celles qui proviennent d’une exploitation des espèces sauvages de plantes et d’animaux ; et celles qui proviennent de l’élevage et de l’agriculture. Ces dernières sont gérées par les hommes, de manière plus ou moins intelligente et heureuse, mais les premières sont en général exploitées de manière ‘minière’, comme le dit Jared Diamond dans Effondrement [2], c’est-à-dire comme des ressources ‘infinies’ mais non renouvelables. C’est le mode d’exploitation des ressources qui existait effectivement à ‘l’âge de pierre’, lorsque les chasseurs-cueilleurs se nourrissaient de plantes et animaux sauvages et ne contrôlaient en aucune manière la production et la disponibilité des ressources, restant ainsi à la merci de catastrophes climatiques et autres. Depuis, heureusement, l’humanité a progressé et contrôle, ou plus exactement pourrait contrôler dans un système rationnel non inféodé à la loi du profit, ses ressources alimentaires. Avec l’accroissement considérable de la population humaine mondiale depuis un siècle, il ne fait aucun doute que le mode d’exploitation ‘chasseur-cueilleur’ des ressources alimentaires du globe devrait disparaître ou être étroitement encadré par une connaissance précise des stocks existants et de leurs taux de renouvellement. Il y a longtemps que les populations humaines de la plupart des pays (sauf en région tropicale) ne dépendent plus pour leurs protéines animales de cerfs ou de zèbres chassés dans la nature, et la seule perspective raisonnable pour les ressources marines est de passer progressivement de la pêche et de la récolte des stocks sauvages à la pisciculture et l’aquaculture de stocks captifs contrôlés. La disparition de la pêche en mer n’est certes pas pour demain, mais celle-ci ne pourra rester longtemps gérée en fonction seulement des impératifs du profit des compagnies de pêche industrielle qui dominent le marché.

Il y a donc deux sortes de quotas d’exploitation des ressources alimentaires. Ceux imposés par l’UE concernant l’agriculture et l’élevage sont motivés par des soucis de profits accrus pour les capitalistes et doivent être combattus. Mais la situation est plus complexe pour les quotas concernant des espèces sauvages. À l’échelle mondiale, les stocks de poissons sont en chute libre et la surpêche menace beaucoup d’espèces. Si l’humanité veut pouvoir continuer à exploiter cette source de protéines, elle doit établir scientifiquement quels sont les stocks existants, modéliser la dynamique des populations et établir, dans beaucoup de cas, des quotas. Dans ce domaine, en soi, le fait d’établir des quotas n’a rien de réactionnaire ou de capitaliste, je dirais même que c’est le contraire : c’est l’impérialisme qui, en paroles du moins (il en va différemment quand il s’agit de sauver les actionnaires des banques) est partisan d’un monde ‘déréglementé’ et sans contraintes.

Face aux difficultés auxquelles sont confrontés les pêcheurs, il est légitime de lutter pour demander des soutiens de l’État pour l’entretien de leur flotte, le prix du gazole, les taxes et impôts. Mais déclarer, sans dossier scientifique à l’appui, que ces quotas ne sont pas justifiés par l’état des stocks, est une affirmation gratuite et démagogique. Je peux comprendre que, dans le cadre de la tribune libre de la lutte des classes, IO 2399 donne la parole à un pêcheur qui déclare : « Alors les scientifiques… on ne les croit pas trop ». Mais j’attendrais alors, dans un journal d’information et pas de propagande, que figure une interview d’un chercheur de l’IFREMER ou d’un autre organisme qui nous donne son point de vue scientifique sur les stocks réels de cabillaud et sur les quotas. Je n’ai pas d’avis sur cette question, car je ne connais pas le dossier scientifique, et ce n’est qu’un tel dossier objectif, extérieur, qui pourrait me convaincre, pas l’‘avis’ d’un pêcheur qui est partie prenante du problème. Tous les chercheurs qui étudient la nature (comme je l’ai fait pendant 40 ans dans toute l’Europe et l’Asie) le savent : les paysans, les populations locales, ont quasiment toujours une perception très inexacte de la nature et de ses lois, dictée par leurs besoins immédiats étroits (souvent sans vision à long terme) et surtout par beaucoup de préjugés. Lisez Effondrement de Diamond si vous n’en êtes pas convaincus : vous y trouverez des dizaines d’exemples dramatiques où les populations ont épuisé leurs ressources par une gestion aveugle de celles-ci, aboutissant à des famines, des effondrements de villes, d’États ou de civilisations, etc. C’est pour cela que nous avons besoin de science. Soutenir a priori le point de vue des pêcheurs sans demander celui des scientifiques sur un dossier comme celui-ci est simplement du populisme, du poujadisme, et ce n’est pas ainsi que nous construirons un parti ouvrier crédible.

S’agit-il d’un exemple isolé ? Malheureusement non. IO 2404 prend fait et cause pour les ostréiculteurs qui demandent de continuer à vendre leurs huîtres malgré les tests biologiques qui indiquent que la consommation de celles-ci est dangereuse pour la population. Le point de vue de l’ostréiculteur selon lequel le test biologique employé est ‘obsolète’ n’est étayé par aucune déclaration d’un scientifique compétent dans ce domaine. Pour ma part, sachant que toutes les normes environnementales, sous pression gouvernementale et de l’UE, ont tendance à sous-estimer les risques pour la population afin de ne pas ‘nuire à l’économie’, j’aurais plutôt tendance à penser a priori le contraire. Il est toutefois possible que cela soit vrai, mais je n’accorderai foi à cette affirmation que si elle vient d’un scientifique compétent. Il serait grave que le POI s’engage dans ce genre de dossiers sans prendre l’avis des scientifiques et se renseigner sur le fond des dossiers. Cette attitude anti-scientifique est de plus complètement contradictoire avec l’autre attitude dominante des lambertistes déjà évoquée, leur confiance sans borne dans les capacités de progrès que peut apporter la science dans le cadre de notre société impérialiste, comme l’illustre le problème du nucléaire évoqué plus bas. Dans tous ces cas, ce qui est en cause est une absence d’informations sur les dossiers, une approche intuitive basée sur des impressions et des opinions, pas sur des connaissances scientifiques, c’est-à-dire critiques et étayées.

(16) En tant que chercheur scientifique, j’avoue qu’après 40 ans je suis las de voir que dans ce mouvement politique nul n’a jamais ‘le temps’ de se renseigner sur les questions scientifiques, de lire les dossiers et les livres, pourtant nombreux, disponibles. En 1977, j’avais suggéré que les ouvrages de Barry Commoner [4] comportaient l’embryon d’une analyse marxiste des relations entre notre société et l’environnement, qu’il fallait poursuivre, mais je doute qu’un seul trotskyste ait lu ces livres, pas plus que le Traité d’Ecologie de François Ramade [5] que je leur conseillais également (qui parlait déjà de la perspective de réchauffement de la planète, par exemple). L’année dernière, j’ai suggéré avec insistance aux membres de notre Comité, aux participants des réunions sur ces questions, à la rédaction de Réflexions (qui a publié des extraits tronqués de textes que je leur avais adressés sur cette question) de lire les ouvrages remarquables de Jared Diamond [2], ainsi que des ouvrages généraux, compréhensibles par tous, sur la science de l’écologie (une discipline de la biologie, pas le mouvement politique) ou sur le nucléaire (notamment les ouvrages récents de Bella et Roger Belbéoch [6] et de Frédéric Marillier [7], écrits par des spécialistes très compétents de ces questions). Peine perdue. La rédaction de Réflexions a bien pris soin de retirer ces références de mon texte, de peur que quelqu’un ne les lise, comme si les écrits étaient dangereux en soi. Mais les livres ne mordent pas, on peut les lire et rester en vie, garder ses idées, ou au contraire évoluer... Sans avoir lu aucun de ces textes, les camarades du POI avec qui je parle, la rédaction de Réflexions, continuent d’asséner des affirmations gratuites et inexactes sur les capacités illimitées de notre planète à nourrir une population humaine illimitée, sur la nécessité de l’agriculture productiviste intensive, sur l’incontournabilité du nucléaire, etc.

(17) C’est sur ce dernier point que je voudrais insister pour finir. Cet été, des informations ont filtré sur 5 ‘incidents’ nucléaires en Europe occidentale : 3 en France, 1 en Belgique et 1 en Allemagne. (Il y en peut-être eu d’autres, mais beaucoup d’incidents ne filtrent jamais au dehors, selon les Belbéoch, qui ont eu une expérience de l’intérieur de l’institution, comme physiciens au CEA pendant des années). Dans les 5 cas, l’information a été gardée secrète pendant un certain temps, et la population a continué à vaquer à ses occupations, à boire de l’eau contaminée, etc., avant que l’alerte soit donnée plusieurs jours après. Cela n’a rien pour étonner ceux qui se rappellent comment la désinformation sur le nuage de Tchernobyl a été orchestrée en France, avec la complicité de tous les médias et même le silence complice de la majorité des scientifiques. Nous sommes là au cœur d’un des problèmes centraux (avec celui des déchets) du nucléaire, qu’il soit civil ou militaire : le secret militaire qui entoure ces questions et les risques de dérive militariste de la société que cette technique comporte en cas d’accident grave. L’occasion était excellente pour développer un dossier sur cette question dans IO. Non seulement ce ne fut pas le cas, mais, parmi les centaines de messages de ‘télex’ reproduits, sans commentaire ni analyse, dans les bandeaux de haut de pages et les colonnes latérales d’IO, pas un seul n’a concerné ces incidents. Un lecteur qui ne lirait qu’IO ne saurait pas que ces 5 ‘incidents’ se sont produits—sans parler d’avoir un dossier détaillé sur cette question.

Nous sommes là au-delà du hasard. Ce silence traduit indéniablement une volonté politique, celle de ne pas remettre en cause l’énergie nucléaire ‘civile’ en France, qui fait partie des fleurons de notre technologie et est porteuse de ‘progrès’ (on est bien loin des forces productives qui ont cessé de croître). Et nous arrivons là au point où je ne peux plus rester au sein de ce parti. Elève de Jean Rostand, qui s’est affronté à de Gaulle contre le développement du nucléaire militaire en France (et l’a payé chèrement), anti-nucléaire depuis 40 ans, je ne peux sans devenir schizophrène être au sein d’un parti qui non seulement prône le développement démographique illimité, le productivisme et la destruction de la nature, mais encore ne s’est jamais exprimé contre le nucléaire militaire et contre ‘la’ bombe atomique française, et refuse à ses militants et lecteurs, non pas même un débat sur le nucléaire, mais les informations de base sur celui-ci. Si les bombes sur Hiroshima et Nagasaki avaient été larguées par le régime nazi, ou même par l’URSS stalinienne, ces deux massacres seraient depuis longtemps classés comme ‘crimes comme l’humanité’. Les trotskystes n’ont rien à dire sur cela, à part des généralités contre la guerre ? Est-ce parce que l’URSS était un ‘État ouvrier assiégé’ qu’il fallait se taire sur le développement de son programme nucléaire et de son programme spatial ? Justement, ces programmes, complètement incompatibles par leur coût avec l’économie de l’URSS, ont grandement contribué à précipiter l’effondrement de cet État ouvrier dégénéré. En quoi le développement et le maintien de l’arme nucléaire, pas seulement ‘en Iran’ mais aussi aux USA, en France, en Israël et ailleurs, contribue-t-il au ‘progrès de l’humanité’ ? Un parti comme le POI ne devrait-il pas le dire haut et fort ?

Le POI et les partis qui l’ont précédé souffrent d’un puissant ostracisme de la part des médias, mais ils ne sont pas les seuls. Ils partagent notamment ce privilège avec tout le mouvement anti-nucléaire, dont la parole est systématiquement tue ou déformée dans la presse, à la radio, à la télé. Le réseau Sortir du Nucléaire, le Comité Stop Nogent et bien d’autres organisations qui travaillent depuis des décennies sur ces questions, ont accumulé des quantités énormes d’informations sur la réalité du nucléaire et sur les risques liées à cette industrie. De même que les anti-nucléaires avaient prédit Tchernobyl 20 ans avant cette catastrophe (qui a fait deux fois plus de victimes que Hiroshima et Nagasaki réunis), il est certain qu’un nouveau Tchernobyl se produira un jour ou l’autre si nous ne sortons pas du nucléaire. La liste des causes possibles d’un tel accident est impressionnante, quelles que soient les précautions que l’État nous affirme avoir prises pour l’empêcher. La seule incertitude est la date et le lieu. Si l’accident concerne la centrale de Nogent-sur-Seine, à cent kilomètres de Paris, c’est toute la population de l’Île de France, des millions d’habitants, qui pourra être menacée d’irradiation. Le POI fait-il sienne la position de Georges Hoffmann dans Réflexions [8], répondant à mon texte sur cette question, où il déclare sans rire que, ‘quand nous aurons instauré le socialisme’, on pourra voir si le nucléaire civil est une bonne chose ou pas. Mais les informations scientifiques, sociales, politiques, militaires sur le nucléaire civil existent déjà, il faut simplement se renseigner, et l’urgence existe. Lorsque l’État bourgeois attaque les emplois, les lois sociales, les acquis, l’enseignement, la santé, nous ne leur répondons pas qu’on résoudra ces problèmes lorsqu’on aura instauré le socialisme. C’est ici et maintenant qu’il faut s’en occuper !

Ou bien s’agit-il tout simplement de ‘défendre des emplois’, comme à AZT, sans se soucier de la santé des populations et des travailleurs eux-mêmes (qui sont largement des intérimaires dans le nucléaire, étant remplacés sans état d’âme dès qu’ils ont reçu la dose ‘légale’ de radiations) ? On est alors bien loin du parti ouvrier tel que je le conçois à la suite de Marx et Engels, comme un parti qui n’a pas d’intérêts distincts de ceux de la population laborieuse. S’il s’agit de laisser irradier les populations, de les laisser respirer toute l’année des gaz toxiques ou de manger des huîtres avariées pour ‘préserver les emplois’, nous ne sommes vraiment pas dans la même logique, et pour ma part je risque de me retrouver avec bien d’autres, dans les combats à venir, ‘de l’autre côté de la barrière’ par rapport à ce parti.

(18) Sur le papier, les statuts du POI pourraient permettre la création au sein de celui-ci d’un ‘courant’ se préoccupant des questions d’environnement, du nucléaire, etc. J’avais évoqué cette possibilité dans un texte (non public) envoyé à quelques camarades, et Georges Hoffmann s’était empressé de me répondre (publiquement) dans Réflexions qu’il n’en était pas question, car cela ne correspondrait pas à un « courant traditionnel du mouvement ouvrier ». Je ne doute pas que ce serait également la position de la direction nationale du POI. De toute façon, même s’il était créé, ce courant serait quasiment ‘vide’ et voué à le rester : comment, à la lecture de son journal et à discuter avec ses militants, des militants, des jeunes, soucieux de ces problèmes pourraient-ils rejoindre ce parti, le seul dans toute la société actuelle qui nie leur existence même, les traitant, comme le génocide culturel, de pures ‘inventions’ ? Ce n’est pas sans une certaine amertume que j’ai lu dans un tract récent du Comité des 5e et 13e arrondissements du NPA de Besancenot (parti pour lequel je n’ai aucune sympathie) des phrases très claires contre la construction de nouvelles centrales nucléaires en France et dénonçant les accidents graves de fuites radioactives de cet été à Tricastin et à Romans-sur-Isère, sur lesquels IO a fait le silence complet.

Je ne crains pas de travailler et de me dévouer à une cause que j’estime juste et nécessaire, mais je n’ai aucun goût pour les combats perdus d’avance. J’ai 60 ans et encore beaucoup de choses à faire, si j’en ai l’énergie, dans mes domaines d’activité principaux (recherche scientifique, écriture, édition) pour pouvoir me lancer pour des années dans un combat perdu d’avance au sein d’un parti qui fera tout pour me faire taire. J’espère que d’autres le feront, et je leur souhaite par avance bonne chance—et bien du courage.

 

4. Pour conclure

Après une période d’illusions sur leur capacité à évoluer (illusions dans lesquelles le Comité ‘exceptionnel’ du 13e a joué un grand rôle), j’ai constaté au Congrès de Fondation du POI puis dans les numéros d’IO qui ont suivi celui-ci que les lambertistes restent ‘indécrottables’. J’estime, à mon grand regret, qu’ils restent incapables de se comporter autrement qu’en secte et de sortir de leur cécité et leur inculture scientifique sur les questions d’environnement. Pour moi, ces questions sont et seront parmi les questions cruciales qui se posent à l’humanité aujourd’hui et dans les décennies à venir. Il n’y a, j’en suis convaincu, aucune solution à la crise mondiale de l’environnement, comme aux autres problèmes qui se posent à l’humanité, au sein du système impérialiste, et seul le mouvement ouvrier aurait la capacité matérielle, de par sa position dans les rapports sociaux, de résoudre cette question. Mais si ce mouvement s’arc-boute sur ses conceptions ‘traditionnelles’ sur l’environnement, il jouera un rôle négatif dans l’avenir. Je n’ai souhaité participer au POI que dans la mesure où il annonçait sa volonté de construire un vrai parti de masse, mais cela exigerait un changement de culture, de mode de fonctionnement, de rapport avec ceux qui pensent différemment, qui n’est pas encore à l’ordre du jour dans ce parti, et ne semble pas susceptible de le devenir à court ou moyen terme. Je continuerai à suivre de l’extérieur les activités du POI et du CCI, à lire leur presse, et à participer à certaines actions avec eux, notamment dans mon milieu professionnel. J’assisterai, si j’y suis invité, à certaines réunions, notamment dans le 13e et au Muséum. Si je constate une évolution réelle et durable, je n’exclus pas la possibilité de rejoindre le parti à nouveau un jour. Mais je ne souhaite pas pour l’instant persister dans la position ‘schizophrénique’ que le parti sous sa forme actuelle me contraint à avoir si je reste dans ses rangs.

 

Alain Dubois

21 septembre 2008

[Texte 5] Adieu à la secte (20 novembre 2010)

 

Chers camarades,

En septembre 2008, après une expérience d’une année environ, comme participant très actif, au sein du comité du 13e pour la création du POI, puis du très instructif congrès de fondation du POI, je quittais celui-ci et j’envoyais un document détaillé en trois points à la plupart d’entre vous pour expliquer ma décision.

Plus de deux ans après, force est de constater que les trois points de mon document se sont plus que confirmés et que les problèmes analysés ont empiré au sein de cette organisation et  surtout de son journal Informations Ouvrières.

Les positions défendues par ce journal semaine après semaine sur toutes les questions non seulement liées à l’environnement et à l’écologie, mais plus largement de la science, de la culture et de la société humaine en général, sont un mélange hallucinant d’inculture, de malhonnêteté, de poujadisme et de simple bêtise. Elles ont dépassé le point où l’on peut encore ‘discuter’ de ces questions avec les militants de cette organisation. Elles font montre d’une absence totale d’information et de dialectique et, en fait, se situent entièrement en dehors du marxisme : appel de ce parti pour soutenir les positions indéfendables des ‘professeurs des écoles’ à la culture superficielle et mal digérée, à des économistes incompétents en matière d’environnement, à des staliniens sur le retour, à des gourous et à des faussaires patentés, mélanges lamentables de genres, amalgames entre écologie politique (un mouvement politique décomposé) et écologie scientifique (une discipline scientifique), ignorance complète des données de base sur les questions débattues, affirmations infondées, unilatérales et péremptoires, croyance mi-chrétienne mi-stalinienne en une toute-puissance de ‘la science’ et de ‘la nature’ pour régler les problèmes cruciaux posés à l’humanité par la destruction déjà largement irréversible de notre planète par l’impérialisme...

Je me suis pendant 40 ans considéré comme un compagnon de route de l’OCI-PCI-CCI et de ses divers avatars, CAO, MPPT, PT, POI, qui ne sont que des masques successifs du même et unique noyau de militants professionnels triés sur le volet. Je suis désolé, après tant d’autres, d’aboutir à la conclusion que ce noyau dur est devenu une secte sclérosée, sclérifiée, incompétente et intolérante, et surtout non réformable. Cette secte ‘trotskarde’ (je doute fort que Trotsky, s'il était encore vivant, en partagerait toutes les positions) est responsable d’avoir broyé des générations entières de militants : sans avoir jamais atteint le fameux ‘parti des 10.000’, ce sont des dizaines de partis des 10.000 qui sont passés dans ce parti depuis un demi-siècle et y ont été dégoûtés à jamais de toute action militante après une durée variable dans ses rangs. L’histoire de ce mouvement se résume largement à une litanie de crises internes, de scissions, d’exclusions, de procès en sorcellerie, et, pour ceux qui restent, d’humiliations publiques et de ‘mises au pas’ dès qu’ils tentent de s’écarter un tant soit peu de la ‘ligne officielle’ (qui, du reste, change avec le temps). Les leçons organisationnelles du stalinisme ont manifestement été bien intégrées dans le fonctionnement de la secte...

Certes, sur le plan politique lui-même, cette secte défend des positions généralement justes, les seules conformes au marxisme et aux intérêts des travailleurs, et partant de l’humanité dans son ensemble. Mais il est clair que cela ne suffit pas. L’incapacité de ce parti à se faire entendre au-delà d’une frange ridicule de quelques milliers de personnes, depuis des décennies, ne s’explique pas seulement parce que ‘tous les autres sont des méchants’ : elle est liée à la nature de cette secte, à son fonctionnement entièrement endogène, à sa mentalité ‘assiégée’, à son incapacité à écouter les autres, à leur parler, à répondre à leurs questions, attentes et besoins. La pensée du noyau dur de cette secte s'est arrêtée comme une horloge le jour du coup de piolet de Mercader. Alors que, de Marx et Engels à Trotsky, la pensée marxiste a été en perpétuelle évolution, intégrant sans cesse les nouveautés historiques et scientifiques, et apportant des réponses aux nouveaux défis et problèmes, la pensée trotskarde s’est figée le 21 août 1940. Cette secte a été incapable de proposer une pensée articulée et des actions concrètes, adaptées aux besoins des masses, sur toutes les questions nouvelles qui se sont posées à l’humanité depuis cette date : incapacité de penser et formuler la Shoah, Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl et les catastrophes scientifico-médico-politiques répétées de ces dernières décennies, le nucléaire civil, les OGM, le brevetage du vivant, incapacité plus générale à penser l’évolution des rapports entre l’homme et la nature liée au mode de surexploitation de cette dernière par l’impérialisme après la deuxième guerre mondiale comme par le stalinisme, incapacité à penser le problème démographique en collant encore aux analyses de Lénine sur cette question qui sont complètement dépassées aujourd’hui, incapacité à penser les deux menaces d’holocaustes, environnemental et nucléaire, portées par cette société en décomposition, incapacité à penser dans leur spécificité les mouvements des femmes, des homosexuels, des anti-racistes, des chômeurs, des SDFs, la liste serait très longue...

Alors que, s’ils avaient été vraiment les marxistes de notre temps, les trotskystes auraient dû être le fer de lance de l’analyse de cette évolution ultime du « stade suprême de l’impérialisme » vers l’auto-destruction de la civilisation humaine, il a fallu que ce soient des scientifiques non-marxistes, comme Barry Commoner [4], Jared Diamond [2] et bien d’autres, qui effectuent ces analyses. Et alors qu’ils auraient pu et dû s’en emparer pour leur donner un contenu politique et les transformer en mots d’ordres et leviers pour l’action, les membres de la secte ont refusé obstinément de simplement s’informer sur ce corpus de connaissances constitué de centaines de milliers de publications spécialisées dues pour la plupart à des ‘scientifiques bourgeois américains’. En fait il y a aussi depuis longtemps des français très compétents sur ces questions, depuis Jean Dorst [9] (qui analysait les extinctions déjà dans les années soixantes) à François Ramade [5] (qui annonçait le réchauffement climatique anthropogène dès les années soixante-dix)—mais certes pas le saltimbanque médiatique, inculte et réactionnaire Allègre, qui dans ses livres confond la méiose et la mitose et parle de ‘mâles d’escargots’ pour un groupe d’animaux hermaphrodites. On est bien loin de l’attitude des Marx, Engels, Lénine et Trotsky (dans Littérature et révolution [10] par exemple), qui niaient l’existence d’une ‘science bourgeoise’ ou d’un ‘art bourgeois’ mais parlaient de ‘science’ et ‘art’ tout court, se tenaient étroitement au courant des avancées de la science et en nourrissaient leurs analyses et leur pratique politique. Sur ces questions culturelles, scientifiques et artistiques, la secte a tout bonnement adopté quasi-inchangée la ‘pensée’ stalinienne en vigueur pendant un demi-siècle en URSS et dans ses appendices, notamment le PCF.

Il semble après coup que le décès de Lambert ait constitué une date importante dans l’histoire du mouvement trotskyste. Jusqu’à cette date, ce mouvement ‘ne se préoccupait pas’, officiellement du moins, de la plupart de ces questions ‘de société’, se contenant de renvoyer aux lendemains qui chantent : ces problèmes seront résolus lorsque nous aurons le socialisme. Gérard Bloch m’avait dit un jour que les extinctions n’étaient pas graves, puisque ‘dans le socialisme’, on referait des tigres à partir de leur ADN, ce qui témoigne d’une conception platonicienne essentialiste, fort peu darwinienne, de l’évolution—un point de vue repris aujourd’hui par des scientifiques chrétiens, comme dans le livre L’extinction d’espèces de Julien Delord [11] qui paraît ce mois-ci aux éditions du Muséum—mais avec une postface plutôt saignante dont je suis l’auteur et que je vous encourage à lire. En militants urbains n’ayant pour la plupart jamais marché dans l’herbe et pétris de la ‘peur de la nature’ bien caractérisée par Yves Terrasson [12], les trostkards n’en pensaient pas moins que les problèmes environnementaux n’étaient ni urgents ni importants, mais ils avaient le bon goût de rester discrets à ce sujet, conscients peut-être de leur incompétence dans le domaine.

Mais depuis, le loup est sorti du bois. IO affiche depuis 2‒3 ans, semaine après semaine, de plus en plus ouvertement, une position négationniste, anti-scientifique, anti-dialectique et anti-marxiste sur toutes ces questions. Je pourrais noircir des pages d’exemples, il y en a maintenant régulièrement plusieurs dans chaque numéro d’IO. Par exemple, alors qu’IO n’avait jamais parlé des extinctions d’espèces, ignorant tout simplement le sujet depuis des décennies, et alors qu’il y a plusieurs militants du POI au Muséum, ceux-ci se sont bien gardés, quand ils ont décidé d’en parler, de donner la parole dans IO aux spécialistes travaillant pour certains depuis un quart de siècle sur les questions de biodiversité, d’évolution et d’extinctions, mais ont été chercher, pour lui confier une pleine page, un paléontologue à la médiocrité scientifique légendaire, stalinien historique notoire, pour lui faire dire que les extinctions ce n’est pas grave, puisqu’il y en a toujours eu dans l’histoire de la planète et que cela n’a pas empêché la vie de continuer—ce qui est à peu près aussi intelligent que le serait un pompier qui, appelé pour éteindre un incendie, refuserait de le faire en disant qu’il y a déjà eu de nombreuses maisons qui ont brûlé et que le monde a continué de tourner. Cette approche digne d’un beauf de première catégorie ignore complètement la rapidité et l’ampleur inégalées dans toute l’histoire de la planète des extinctions anthropogènes actuelles et les interactions entre espèces qui tissent la trame du fonctionnement de la biodiversité et sont le b-a-ba de toute réflexion sur cette question (il suffit à cet égard de lire les livres, pourtant bien consensuels, gentillets et ‘politiquement corrects’ de Robert Barbault [13] ou Patrick Blandin [14], ou surtout les bien moins lénifiants, mais scientifiquement bien mieux étayés, Le troisième chimpanzé de Jared Diamond [2] ou Le grand massacre de François Ramade [15]).

Prenons juste le dernier IO (124) : sous une plume anonyme, on y apprend que ce n’est pas vrai que c’est l’homme qui a été responsable, depuis les temps préhistoriques des multitudes d’extinctions de mammifères et autres grands animaux à mesure qu’il a conquis la planète. Ah bon, ce ‘F.L.’ est plus compétent sur le sujet que les centaines d’archéologues qui ont accumulé les preuves écrasantes dans ce sens depuis plus d’un siècle, publiées dans des milliers d’articles scientifiques. Et ce même ‘F.L.’ est habilité à avoir une opinion péremptoire sur la signification des peintures de Lascaux, plus que des gens qui ont passé leur vie à les étudier et dont les arguments remarquables n’ont pour l’instant pas été réfutés ?

La bouillie intellectuelle dont se nourrit la ‘pensée’ trotskarde sur l’environnement est superbement reflétée récemment par exemple dans la colonne signée Daniel Huet dans le numéro 122 de IO. L’amalgame effectué, sans la moindre dose de dialectique, entre les faits scientifiquement étayés concernant la destruction accélérée des écosystèmes et des conditions mêmes de la survie de la civilisation humaine sur cette planète, et l’utilisation répugnante qui en est faite à tous les niveaux par la bourgeoisie, dans le cadre de la lutte des classes, pour augmenter encore l’exploitation de l’homme par l’homme et la destruction du mouvement ouvrier, montre de manière pathétique combien les ‘penseurs’ et ‘théoriciens’ de la secte se sont éloignés du matérialisme dialectique. L’OCI-PCI-CCI est resté longtemps le dernier mouvement organisé à avoir une pensée et des positions réellement marxistes sur la plupart des questions, mais maintenant ce n’est plus le cas.

Plus de deux ans après mon texte auquel aucun d’entre vous n’a apporté la moindre réponse, j’ai le grand regret de constater que ses analyses ont été plus que confirmées, et qu’il n’y a plus d’organisation trotskyste digne de ce nom en France. Il y a pire : s’il est vrai que, sur la plupart des questions réellement politiques (retraites, Europe, Afghanistan, etc.), le POI est la seule organisation politique en France à exprimer des positions justes, le fait même que ces positions soient précisément défendues par une organisation qui, dans des domaines comme l’environnement et la science, montre la superficialité et l’incompétence de ses analyses et positions, qui exprime dans ces domaines des opinions relevant du ‘bon sens’ populiste, sectaires, idéologiques et pour tout dire profondément réactionnaires, dessert fortement les positions correctes que cette organisation défend sur le plan politique. Cette organisation rejetée par la très grande majorité de la population et des travailleurs pour sa rigidité, son incapacité à écouter et dialoguer, et pour tout dire sa malhonnêteté, joue un rôle de repoussoir concernant ces idées et mots d’ordres justes.

J’avais envisagé un moment, puisque les statuts du POI, sur le papier, devaient permettre l’existence de tendances dans ce parti, de proposer d’y créer une tendance défendant ouvertement, sur la base de textes détaillés et étayés par de nombreuses références scientifiques, des positions différentes des positions officielles du parti sur toutes les questions culturelles, scientifiques et d’environnement. Il est certain qu’une telle initiative aurait eu un écho dans le parti, comme en témoigne, après bien d’autres, la lettre d’‘A.M.C.’ en page 14 du dernier IO (et il s’agit certainement là seulement de la partie émergée d’un iceberg bien plus important) : en effet la majeure partie des militants du POI, ceux qui ne font pas partie de son appareil, sont certainement des militants honnêtes et qui se posent vraiment des questions. Mais l’expérience que j’ai eue au congrès de fondation du POI (comme lors de diverses réunions antérieures, dans le 13e ou rue du Faubourg Saint-Denis) m’a convaincu que l’appareil du CCI, qui contrôle intégralement le POI, comme il a contrôlé tous les avatars antérieurs de celui-ci, ne le tolérerait pas, comme il n’a jamais toléré l’existence de positions minoritaires organisées en son sein depuis des décennies, exigeant et imposant un monolithisme de pensée (et pas seulement d’unité dans l’action) qui est fort éloigné du centralisme démocratique de Lénine.

La seule conclusion qui s’impose est que l’unique espoir de voir un jour les idées justes du CCI sur le terrain politique obtenir un écho réel dans la population et la société, serait de dessaisir la ‘vieille garde trotskarde’, superbement et caricaturalement incarnée par le rédacteur en chef actuel d’IO, du contrôle de l’organisation—et, comme c’est impossible, de créer un autre parti, réellement marxiste, débarrassé de cette secte mortifère. C’est une tâche bien au-dessus de mes moyens, je l’avoue.

La conclusion pratique à laquelle tout cela me mène, avec un grand regret, c’est qu’après plus de 40 ans de compagnonnage fidèle avec les lambertistes français, sans m’être jamais rapproché de près ou de loin (et contrairement à d’autres) d’aucun autre parti ou organisation, que ce soient le PCF, le PS ou les Verts, je mets fin à celui-ci et vous demande de ne plus me considérer comme un compagnon de route de cette mouvance. Inutile donc de continuer à m’envoyer des invitations à des ‘réunions pour l’unité’ où ne viennent sempiternellement que les 3‒4 mêmes clampins et qui ne débouchent sur rien, sauf éventuellement à un recueil de fonds (mais il est vrai qu’il faut bien payer les salaires des fonctionnaires de la secte, n’est-ce pas ?). Cela ne m'empêchera pas de rester marxiste, car le matérialisme dialectique est la seule grille de lecture scientifique du monde et le seul guide raisonnable pour l’action. Je ne suis pas le seul à qui une telle rupture brise le cœur, d’autant qu’il n’y a pas de solution de rechange, mais il est des moments dans la vie où il faut cesser de se raconter des histoires...

 

Alain Dubois

20 novembre 2010

 

 

Notes et références concernant les ‘Textes originaux’  ajoutées en octobre 2018

[1] Roger Pannequin, Ami si tu tombes, Sagittaire, 1976; Adieu camarades, Sagittaire, 1977.

[2] Voici ces deux textes :

Jared Diamond, Effondrement : comment les sociétés décident de leur effondrement et de leur survie, Gallimard, 2006. — L’histoire de l’humanité est constituée d’une succession de sociétés qui se sont développées, avant de régresser et de s’effondrer. Les causes de ces effondrements comportent les dommages environnementaux causés par les hommes, les changements climatiques, et les interactions, soit hostiles soit d’interdépendance, avec d’autres sociétés. Notre planète est actuellement confrontée à une crise environnementale majeure, qui porte en germe des menaces pour toute l’humanité. Seule une société socialiste, libérée de la propriété privée et de la loi du profit, pourra apporter des réponses à ces problèmes, mais elle ne pourra le faire sans tirer les leçons de ces expériences passées et actuelles. Il est donc utile de se pencher dans le détail sur ces mécanismes, comme le fait remarquablement l’ouvrage de Jared Diamond intitulé Effondrement (Gallimard).

Jared Diamond. De l’inégalité parmi les sociétés. Gallimard, 2000. — En 1884, Engels publiait L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Ce livre fondamental, où est formulé de manière claire la conception marxiste de l’État et des classes sociales, s’appuyait sur les connaissances de l’époque sur l’histoire des sociétés humaines. Plus de 120 ans après, ces connaissances ont considérablement augmenté. Dans un ouvrage passionnant et sans équivalent, De l’inégalité parmi les sociétés (Gallimard), le biologiste américain Jared Diamond présente une synthèse très claire de beaucoup de ces nouvelles informations. Sans contredire les conclusions de Engels, notamment quant à l’origine des classes sociales (liées à l’agriculture et à la sédentarisation), ce livre en élargit et en approfondit considérablement l’analyse. Il part de la question : pourquoi sont-ce des peuples d’Eurasie qui ont conquis et dominé la planète, soumis, asservi et exterminé les peuples d’Amérique, d’Afrique, d’Australie et d’autres régions du monde ? En s’appuyant sur diverses disciplines scientifiques (archéologie, linguistique, génétique, biologie moléculaire, épidémiologie, écologie, éthologie, histoire des technologies), il montre que ce n’est nullement une « supériorité » des populations eurasiennes qui explique cette histoire, mais principalement les conditions matérielles dans lesquelles elles se sont développées, dans un environnement riche en espèces végétales cultivables et animales domesticables, qui ont permis l’apparition d’une société stratifiée en classes, avec des artisans spécialisés dans la production d’outils et d’armes, des villes, un pouvoir centralisé, des armées, des écritures. Il insiste sur le rôle important des maladies, qui ont évolué au sein des populations humaines très denses favorisées par la révolution agricole, dans la conquête des autres continents par les eurasiens. Diamond n’est pas marxiste et il emploie une terminologie critiquable pour décrire les classes sociales, qualifiant la classe dominante d’« élite », mais toute son analyse s’appuie sur une approche réellement scientifique, matérialiste et darwinienne, et présente une explication très convaincante de nombreuses particularités de l’évolution des sociétés humaines. Il montre bien que les hommes font partie de la nature et que leurs sociétés ont dépendu, surtout à leurs débuts, des caractéristiques des milieux où ils vivaient, avant de pouvoir les maîtriser partiellement grâce à leurs techniques et à la transmission des connaissances, surtout par l’écriture.

[3] Voir le deuxième billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme-2-marxisme-et-ecologie-1977.html>.

[4] Barry Commoner, Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ?, Seuil, 1969; L’encerclement, Seuil, 1972.

[5] François Ramade, Éléments d’écologie appliquée, Ediscience, 1973.

[6] Bella et Roger Belbéoch, Tschernobyl, une catastrophe : quelques éléments pour un bilan, Allia, 1993 ; Sortir du nucléaire, c’est possible avant la catastrophe, L’Esprit Frappeur, 1998; Roger Belbéoch, « Du risque majeur à la société autoritaire », Manière de voir, N°15, Mai 1992, p. 67–70.

[7] Frédéric Marillier, EPR : l’impasse nucléaire, Syllepse, 2008.

[8] Voir le troisième billet de cette série : <http://lherbu.com/2018/10/ecologie-marxisme-et-lambertisme.3-marxisme-et-environnement-2008.html>.

[9] Jean Dorst, Avant que nature meure, Delachaux & Niestlé, 1965.

[10] Léon Trotsky, Littérature et révolution, 1924.

[11] Julien Delord, L’extinction d’espèce: histoire d’un concept et enjeux éthiques, Paris, Muséum national d’Histoire naturelle, 2010 ; postface par Alain Dubois, « Un naturaliste face à l’extinction massive des espèces ».

[12] François Terrasson, La peur de la nature, Sang de la Terre, 1997.

[13] Robert Barbault, Des bactéries, des baleines et des hommes, Odile Jacob, 1994 ; Un éléphant dans un  jeu de quilles : l’homme et la biodiversité, Seuil, 2006.

[14] Patrick Blandin, Biodiversité : l’avenir du vivant, Albin Michel, 2010.

[15] François Ramade, Le grand massacre: l’avenir des espèces vivantes, Hachette, 1999.

 

 

 

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Mots clés : Catastrophe naturelle. Changement climatique. Climat. Crise environnementale. Écologie politique. Environnement. Internationale. Internationale Ouvrière Révolutionnaire. Lambertisme. Lutte des classes. Manifeste. Marxisme. Mouvement ouvrier. Nucléaire. Révolution. Trotskysme. Urgence environnementale.

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