L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Et le risque d'attentat contre une centrale nucléaire?

Centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube), à 105 km au sud-est de Paris

Centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube), à 105 km au sud-est de Paris

Mots clés : Attentat. Centrales nucléaires. Environnement. Nucléaire. 

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Le risque d’attentats sur les centrales nucléaires françaises est suffisamment grave pour exiger leur mise à l’arrêt immédiat, puis, avant d’envisager leur remise en route, le développement d’un vaste débat national libre sur cette question, où tous les points de vue pourront s’exprimer, suivi d’un référendum.

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Les attentats abjects du 13 novembre sont d'une nature différente de ceux de janvier à Paris ou même de ceux du 11 septembre à New York. Dans les deux derniers cas (et dans bien d'autres dans le monde), le message porté par ces attentats était surtout de nature symbolique: frapper les symboles de l’État américain à New York, ceux de la liberté d’expression et de conscience (et singulièrement mais pas exclusivement du judaïsme) à Paris. Dans aucun de ces cas, malgré tout ce qui a été dit et écrit, le but n’était de “faire le plus de victimes possible”, car si cela avait été le cas d’autres cibles auraient été choisies, par exemple des stades sportifs ou d’autres rassemblements populaires, ou des cibles industrielles de type Sévéso (et le 11 septembre nul n’aurait pu s’y opposer car nul n’avait semble-t-il prévu les détournements d’avions). Mais vendredi dernier il y a eu un “changement de paradigme”. Les cibles choisies, avant tout le Stade de France et le Bataclan, avaient certes une charge symbolique: attaquer la jeunesse, les loisirs, et plus généralement un “mode de vie”, dans une société qui reste encore perçue dans le monde entier comme porteuse historique de l'universalisme des Lumières et des Droits de l’Homme, même si depuis belle lurette ces idéaux sont en fait souvent battus en brêche dans notre pays. Mais au-delà de cet aspect symbolique, ces attentats avaient bien pour but de “faire le plus de victimes possible”. Et il est légitime de suspecter que les “prochains” attentats risquent bien d'avoir le même objectif.

Gouverner c’est prévoir, et notre gouvernement nous assure qu’il met tout en œuvre pour nous protéger. (Qu’à ce titre il envisage de changer notre Constitution, qui perpétue déjà, comme l’écrivait Mitterrand, un “coup d'Etat permanent” depuis celui de 1958, et alors que depuis des années se développe en France un mouvement important pour une 6e République plus démocratique, qui nous ferait sortir du régime personnel, présidentiel-bonapartiste, de la 5e, est assez piquant mais il s’agit là d’une autre question).

Donc notre gouvernement nous parle en toute transparence... Il prend des précautions pour le cas, très improbable nous dit-il, où des attaques bactériologiques ou chimiques auraient lieu sur notre territoire. Très bien, cela nous rassure. Mais ces deux risques représentent le “BC” du fameux “NBC”, sigle qui désigne les armes et dangers de la guerre moderne. Et quid du “N”, qui signifie “nucléaire”? N’y aurait-il vraiment aucun risque d’attentat contre une centrale nucléaire “civile" dans notre pays? Il serait certainement très téméraire de l'affirmer. Sans réfléchir à la place des “terroristes”, qui manifestement le font très bien (étant donnés leurs objectifs), il existe certainement un certain nombre de combinaisons, d'équations à plusieurs inconnues, comportant drones, kamikazes, gaz toxiques, explosifs, armes de guerre, complicités internes, etc., qui rendent légitime l’inquiétude. Et cette inquiétude n’est pas levée lorsqu'on se souvient que, récemment encore, des militants de Greenpeace ont pu pénétrer dans des centrales françaises et que des drones ont pu les survoler, sans oublier que récemment encore un pilote “dépressif” a précipité son avion contre une montagne mais aurait également pu le faire contre une centrale nucléaire... Certes, ce danger, dénoncé depuis des décennies (par exemple par Les Amis de la terre dans L'escroquerie nucléaire, Stock, 1975) ne s’est pour l’instant jamais concrétisé, mais il serait fort présomptueux d’affirmer qu’il ne le sera jamais. Et si l’on attend qu’il l’ait été pour en discuter, il sera trop tard.

L’absence de toute mention du nucléaire dans les communiqués “transparents” du gouvernement n’est pas due à un oubli. Elle est en fait très parlante. Elle souligne le fait que le nucléaire en France fait partie du domaine réservé de l’État, et plus encore, du domaine régalien du président, et que les citoyens ne doivent y fourrer le nez sous aucun prétexte.

Dans la situation d’“urgence” qui existe aujourd’hui, comme nous le répète notre gouvernement, et quelles que soient les “précautions” prises à cet égard, il n’est pas sérieux et honnête vis à vis des citoyens de leur dire qu’il existerait un “risque zéro” quant à la possibilité d’un attentat contre une centrale nucléaire en France (ou dans d’autres pays). Or la gravité potentielle de tels accidents est bien supérieure à celle des autres attentats et accidents industriels: elle ne se limite pas aux effets somatiques sur les personnes atteintes par les radiations (contre lesquelles les fameuses “pastilles d’iode” les protégeraient comme des gris-gris), mais elle atteint également leur patrimoine génétique et se transmettra à leurs descendants pour les siècles des siècles. Un accident du type de ceux de Tchernobyl ou de Fukushima à Nogent-sur-Seine par exemple, à 100 km de Paris, pourrait rendre inhabitable au moins le tiers septentrional de la France, et les radiations atteindraient le patrimoine génétique de toutes les populations de l’Europe occidentale, comme Tchernobyl l’a fait pour toute l’Europe orientale, où des centaines de milliers de fœtus n’ont jamais vu le jour et d’enfants sont morts-nés (voir Alain Dubois, Jean Rostand, un biologiste contre le nucléaire, Berg International, 2012).

Ce que nous sommes en droit d’attendre de notre gouvernement est la mise à l’arrêt sans délai des réacteurs de toutes les centrales nucléaires du pays, comme l’un des éléments de l’État d’urgence et comme l’a fait immédiatement le Japon après la catastrophe de Fukushima. Puis, avant d’envisager leur remise en route, le développement d’un vaste débat national libre sur cette question, où tous les points de vue pourront s’exprimer. N’est-il pas hallucinant que, dans le pays le plus nucléarisé du monde, les citoyens n’aient jamais une fois depuis 1958 eu l’opportunité de s’exprimer, soit par vote direct par référendum, soit à travers leurs élus parlementaires, sur l’opportunité de lancer, développer et maintenir une “force de frappe” nucléaire (qui fait avant tout de notre pays une cible potentielle!) et un nucléaire “civil” (quoiqu’étroitement lié au nucléaire militaire), toutes les décisions dans ce domaine ayant été prises au niveau de l'exécutif sans débat parlementaire? Une telle situation caractérise-t-elle vraiment un État “démocratique” et ne faudrait-il pas que cela change? Ce ne sont pas seulement quelques “trublions” qui demandent un tel changement drastique; d’anciens ministres, généraux et autres hauts responsables ne cessent de tirer la sonnette d’alarme à cet égard (voir par exemple La vérité sur le nucléaire de Corinne Lepage, Albin Michel, 2011, ou Arrêtez la bombe! de Paul Quilès, Bernard Norlain et Jean-Marie Collin, Cherche Midi, 2013). Pour que quelque-chose bouge dans ce domaine, ne faudra-t-il pas qu’enfin les citoyens se mobilisent massivement, demandent des comptes et exigent que leur voix soit entendue?

 

 

Alain Dubois

20 novembre 2015

 

 

Publication originale:

https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/201115/et-le-risque-dattentat-contre-une-centrale-nucleaire

(Billet retiré de Mediapart car ayant donné lieu sur ce site à de nombreux commentaires pro-nucléaires anonymes, manifestement organisés afin de brouiller le message de ce billet et de le transformer en propagande pro-nucléaire)

 

 

 

 

 

 

 

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