Lettre ouverte « Sauvons les collections »
Depuis plus de deux siècles, le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) est indissociable de ses collections qui sont des outils majeurs, au service de la Science et de la Société tout comme le personnel, garant de ces collections, a une responsabilité dans l’enrichissement, la valorisation, la gestion et la conservation de ces collections. Malgré un rayonnement reconnu internationalement (par ex. 23% des nouvelles espèces marines décrites dans le monde au cours des 10 dernières années ont leurs holotypes déposés au MNHN), un constat : Oui, il y a urgence à trouver plus d’espace, à rénover les locaux et améliorer les conditions de travail, très loin des standards d’hygiène et de sécurité.
La réponse de la direction du MNHN à ce problème : déménager les collections en alcool mais aussi les collections sèches et fonds documentaires associés en dehors de Paris. Suite à un appel à manifestation d’intérêt, auquel ont répondu 39 collectivités, qui imposait notamment un temps de trajet de 2h maximum depuis le Jardin des Plantes, c’est la ville de Dijon qui a été retenue par le vote d’un comité ad hoc. Ces deux décisions – déménager ces collections hors de Paris, et choisir la ville de Dijon pour les accueillir – ont été prises de manière unilatérale sans véritable travail collégial avec les équipes concernées.
Les équipes techniques et scientifiques ont été « consultées » mais nos questions et nos objections n’ont pas été entendues : Pourquoi pas une seconde zoothèque ? Une implantation en banlieue très proche ? En quoi les risques liés à l’alcool seraient-il différents à Dijon qu’à Paris ? Qui prendra en charge les frais ? Quel sera l’impact des temps de trajet sur le temps de travail ? Quid de la décarbonation de la recherche, grand projet mis en avant par le Muséum et nos tutelles ? Comment justifier ce choix qui implique de nombreux déplacements de personnes et de collections ? A toutes ses questions, la seule réponse est qu’il faudra nous adapter.
Notre travail sur les collections est quotidien : vérification d’informations, examen de spécimens pour préciser une identification, prélèvement, photographie, répondre à des demandes diverses, accueil des centaines de visiteurs accueillis chaque année. Comment maintenir cette activité à 300 km de distance ? Ignorer cela, c’est ignorer ce que représente quotidiennement la gestion et la valorisation des collections. Et que deviendront les personnels techniques, formés en systématique, souvent spécialistes (et passionnés) d’un taxon, qui, pour des raisons personnelles, ne pourront suivre les collections à Dijon ? Et leurs remplaçants à Dijon, comment et par qui seront-ils formés ? Et nos étudiants en master ou en thèse, devront-il rester à Dijon, limitant ainsi drastiquement les échanges avec les équipes de recherche, ainsi que les interactions avec les autres étudiants, et à distance de leurs cours dispensés sur le site du Jardin des Plantes ? Avec les équipes techniques à Dijon et les équipes de recherche à Paris, comment envisager de conserver les liens indispensables à une bonne gestion et valorisation des collections ? Comment mener un projet de recherche construit en grande partie sur des collections si elles sont situées à 300 km ?
A toutes ces questions, une seule réponse : les collections numérisées permettront une consultation à distance. C’est méconnaître la taxonomie car l’essentiel du travail sur les collections nécessite un accès direct aux spécimens : du temps d’observation, de multiples équipements, des prélèvements, etc. De plus l’informatisation et la numérisation des spécimens sont des tâches longues et en continu qui nécessitent des moyens humains importants dont les recrutements n’ont toujours pas eu lieu. On nous parle de numérisation 3D alors que la numérisation 2D est loin d’être achevée avec un programme qui s’est terminé il y a 5 ans. Depuis plus de quinze ans les crédits levés par les équipes de recherche ont permis de pallier à ce manque de moyens, en embauchant des personnels techniques dédiés afin de répondre aux enjeux d'accessibilité et de science ouverte. Comment effectuer un travail collaboratif depuis le Jardin des Plantes avec des personnels recrutés sur des ANR, ERC, collectivités territoriales, mécénat, et liées aux grandes expéditions, s’ils sont à 300 km des porteurs de ces projets ? Comment croire que le MNHN va trouver ces ressources que depuis des années nous complétons pour valoriser les collections et utiliser les plateformes qui sont sur le site du Jardin des Plantes et qui manquent cruellement de personnels ?
A toutes ces interrogations, encore une seule réponse : modifier nos façons de travailler ! Comment peut-on envisager d’éloigner les équipes de recherche de celles des collections et donc de briser la synergie entre les services de conservation/recherche et parallèlement lancer au Muséum un « Plan Taxonomie » ? Cette vision passéiste des collections, telles que des archives de recherches passées, que l’on pourrait stocker en entrepôt en pensant qu’elles ne seront que peu ou pas consultées, nous désole : les collections sont la matière première de la recherche d’aujourd’hui, et une fenêtre ouverte sur l’avenir de la biodiversité. Penser que l’activité et la dynamique actuelles seront maintenues à 300 km de distance, est illusoire.
Le décalage complet de la direction avec la réalité du travail quotidien de ses agents, est effrayant. Que penser de cette phrase issue de la prospective recherche 2022 : « La recherche au Muséum est au cœur et en lien étroit avec l’ensemble des domaines d’activités de l’établissement.... La taille du Muséum, la proximité physique des équipes,…, permettent des interactions étroites entre disciplines et les domaines de compétences favorisant ainsi une « intelligence collective ». Est-ce que certaines collections, les personnels qui y travaillent, ne font pas partie de cette intelligence collective ?
Le sentiment qui domine maintenant est l’affliction… Nous sommes la première génération de scientifiques simultanément consciente que nous ne connaissons qu’un quart des espèces de la planète, et que la moitié d’entre elles pourraient disparaitre d’ici la fin du siècle. Dans ce contexte, briser le lien collections-recherche peut-il être décemment perçu comme une réponse au problème ? Notre travail est-il à ce point méconnu et méprisé par notre direction, qu’un déménagement à Dijon soit vu comme une solution au problème et ne demanderait qu’un simple ajustement de notre part ? Quid des futurs recrutements d’enseignants-chercheurs sur des profils incluant 30 à 40% de travail sur les collections ? C’est le statut des enseignants-chercheurs du Muséum qui est menacé et à travers ce statut la synergie entre les différentes activités de la mission du MNHN…
Tous, nous reconnaissons le besoin de plus d’espace pour les collections, le besoin d’améliorer les conditions de travail des équipes techniques et de recherche. Mais tous, également, nous nous élevons contre le projet de déménagement des collections à Dijon qui rompt le lien organique entre recherche et collections.
Nous demandons donc l’abandon total de ce projet et l’ouverture de discussions impliquant les personnels sur la meilleure réponse à apporter pour améliorer les conditions de conservation des collections et le travail des équipes, ainsi que des propositions qui seront le résultat d’un consensus démocratique, issu d’une réflexion collégiale.
Le lien pour signer la pétition: https://chng.it/sKR4pLZSdJ
Une adresse mail pour partager votre ressenti et vos idées d’actions : sauvonslescollections@gmail.com