L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Il faut exclure les autonomes des actions pour le climat

Il faut exclure les autonomes des actions pour le climat

Mots clés : Activiste. Autonomes. Climat. Écologie politique. Environnement. Manifestation. Militant. Mouvement ouvrier. Réchauffement climatique. 

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Les autonomes qui ont pollué la manifestation de la République pour le climat auraient dû être exclus physiquement de celle-ci par un service dordre, et il est important que les organisateurs de cette chaîne humaine déclarent clairement que ces casseurs navaient rien à voir avec celle-ci. Les actions pour lenvironnement ne pourront aboutir quen liaison avec le mouvement ouvrier organisé.

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 Organiser une action publique (grève, manifestation, rassemblement, “chaîne humaine”, etc.) pour une revendication, comme l’exigence de mesures drastiques contre le dérèglement climatique, implique des responsabilités. Parmi celles-ci figure le besoin de clarté totale quant à ce pour quoi l’on se bat, des moyens que l’on se donne pour parvenir au but, et de ceux que l’on refuse. La “chaîne humaine” organisée le dimanche 29 novembre comme “alternative de dernière minute” à la manifestation “pour le climat” initialement prévue et interdite par le gouvernement sous le couvert de l’état d’urgence, s’est avérée défectueuse à cet égard, puisque plusieurs centaines de provocateurs masqués ont pris prétexte de cette manifestation bon enfant et “festive” pour affronter les forces de l’ordre. Ce faisant, ils ont détruit partiellement les amoncellements de fleurs, bougies et messages que des milliers de gens avaient construits sur la place de la République et aux alentours depuis les attentats du 13 novembre. L’amalgame qu’ils ont ainsi contribué à faire entre les manifestants de la chaîne humaine, l’ “extrême gauche” et la mouvance qu’on peut appeler sans plus de précision “autonome” est particulièrement pernicieux. Certains journalistes “bien intentionnés” et experts en manipulation ne s’y sont pas trompés, qui ont qualifié ces casseurs de militants d’extrême gauche et ont présenté leurs actions comme des “débordements spontanés” de la manifestation bon enfant.

 Or il ne s’agit pas de débordements. Ces autonomes n’avaient rien à voir avec la chaîne humaine, et ils ont pris prétexte de celle-ci pour susciter une situation d’affrontement et de chaos. Ils n’avaient rien à voir non plus avec l’ “extrême gauche” politique organisée, pas plus que la bande à Baader ou les brigades rouges, organisations petites bourgeoises nihilistes, n’avaient à voir avec les mouvements révolutionnaires de l'époque – et ont en fait contribué à les faire régresser. A qui profite le crime des “débordements” de dimanche? Certainement pas aux organisateurs de la chaîne humaine. Mais bien plutôt aux organisateurs de la COP 21, qui veulent maintenir celle-ci dans le cadre très contraint d’accords au sommet entre chef d’Etats ne remettant en aucune manière le fonctionnement des sociétés actuelles de la planète dans le cadre du système capitaliste, responsable principal de la catastrophe environnementale, sociale, économique et culturelle actuelle et dont l’approfondissement se prépare à grande vitesse. Et également aux sectateurs de l’état d’urgence, qui, s’appuyant sur les attentats abjects de janvier et de novembre, s’attaquent aux libertés et droits fondamentaux de notre société.

 Cet amalgame est intolérable. Il est plus qu’urgent que les organisateurs de cette manifestation avortée (qu’ils auraient du reste bien mieux fait de maintenir contre vents et marées, en assurant sa sécurité) se démarquent publiquement et sans aucune ambiguïté de ces casseurs. Et qu’ils tirent les leçons de cet évènement, qui du reste n’était que trop prévisible. Organiser une manifestation publique ne consiste pas seulement à dire aux gens: venez tous, on va faire la fête! Une manif est quelque chose de sérieux, qui se prépare dans les moindres détails, et ceci particulièrement dans une période historique comme celle que nous vivons, riche en contradictions et affrontements, non seulement entre des “idéologies” différentes, mais également entre intérêts matériels divergents et incompatibles (ceux des nantis et ceux des exploités). Il est irresponsable d’organiser un tel évènement sans se doter d’un service d’ordre compétent et musclé, capable de contrôler de tels provocateurs ou de les exclure clairement, manu militari, des abords de la manif.

 Après beaucoup d’autres, cet échec traduit à sa manière la faiblesse consubstantielle, depuis son émergence, du “mouvement écologiste”, qui s’est construit sans relation directe et organisée avec les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Certes celles-ci, qu’il s’agisse des socio-démocrates (depuis 1914), des staliniens (depuis 1933) ou de leurs continuateurs masqués, ont depuis longtemps trahi les masses qu’elles étaient censées représenter et défendre, mais elles ont conservé des traditions organisationnelles issues des meilleures traditions du mouvement ouvrier révolutionnaire de la fin du 19e et du début du 20e siècles. Même les organisateurs staliniens et socio-démocrates des marches Nation-République qui pendant des décennies ont contribué à décourager, démobiliser et casser, du fait de leur absence de résultats concrets, des générations de militants, avaient des services d’ordre organisés, des “gros-bras” qui veillaient à interdire les “débordements” et y parvenaient souvent. Une telle tradition a fait défaut ce dimanche, et cela ne doit pas se reproduire, sinon c’est toute la mouvance “pour le climat” qui en paiera les pots cassés.

 Ce fait qui pourrait paraître un “détail” ne fait que prendre sa place dans un ensemble de considérations. Pour qui sait regarder, il est clair que les mouvements de “citoyens” sans caractérisation claire, sans conscience de classe affichée, et pour faire plus simple sans jonction avec ce qui reste du mouvement ouvrier organisé, ne peut mener qu’à la désillusion et à l’échec. La schizophrénie qui a traversé de part en part les mouvements populaires anti-capitalistes depuis des décennies ne peut se poursuivre sans nous mener tous à l’abîme. Cette schizophrénie s’est traduite par le fait que d’un côté les militants ouvriers rejetaient la mouvance “écolo” comme l’expression de l’idéologie de la petite bourgeoisie et à travers celle-ci des intérêts des classes dominantes, tandis que les “écolos” rejetaient le mouvement ouvrier comme responsable de la monstruosité stalinienne et des défaites sans fin des forces démocratiques pendant tout le 20e siècle organisées par celui-ci. Mais ces deux mouvements et traditions ont un ennemi commun, qu’aucun des deux ne pourra vaincre seul, le capitalisme mondialisé ou globalisé, caractérisé dès le début du 20e siècle par Lénine comme “impérialisme”. La nécessité d’une jonction entre ces deux mouvements est devenue d’une urgence absolue. Elle sera difficile. Elle exigera de part et d’autre d’abandonner des certitudes et des rigidités, de dépasser des conflits fossilisés depuis longtemps. Elle devra très certainement se traduire in fine par l’abandon des partis “anciens”, même seulement de quelques décennies, et la construction de partis nouveaux. Ce ne sont pas des chaînes humaines et des manifestations festives qui renverseront l’impérialisme et le remplaceront par un autre système économico-politique, condition sine qua non pour échapper au cataclysme annoncé. Il faudra non seulement des partis nouveaux, mais des partis de masse nouveaux, car ce ne sont pas quelques “chevaliers blancs”, Rambos ou Jésus-Christs du 20e siècle, qui sauveront la mise. Cette exigence s’imposera quand la crise mondiale de l’impérialisme aura généré encore plus d’inégalités, de misère, de guerres civiles et internationales, de migrations massives et de catastrophes environnementales. S’imaginer que nous pourrons défendre l’humanité et notre civilisation en faisant l’économie de telles remises en cause est aujourd’hui naïf mais sera demain criminel. Cette jonction est indispensable et urgente, et le plus tôt sera le mieux. Il faut s’y préparer activement, plutôt que de défendre de part et d’autre son “pré carré” idéologique et organisationnel.

 

Alain Dubois

30 novembre 2015

 

Publication originale:

https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/301115/il-faut-exclure-les-autonomes-des-actions-pour-le-climat

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