L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Le langage comme arme. 6. Islamo-gauchisme, judéo-bolchévisme… hitléro-trotskisme…

Le langage comme arme. 6. Islamo-gauchisme, judéo-bolchévisme… hitléro-trotskisme…
Le langage comme arme. 6. Islamo-gauchisme, judéo-bolchévisme… hitléro-trotskisme…
Le langage comme arme. 6. Islamo-gauchisme, judéo-bolchévisme… hitléro-trotskisme…

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Les réactions salutaires au « Manifeste des cent », véritable appel à la police de la pensée dans les universités, attirent l’attention sur la perversion de la pensée que comportent des expressions comme “islamo-gauchisme”. Il est bon à cet égard de rappeler celle d’“hitléro-fascisme” qui fit florès en France dans les années 30, et accompagna l’assassinat de trotskistes dans les camps nazis et la résistance.

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Donc une poignée d’universitaires a publié le 1er novembre 2020 dans Le Monde le « Manifeste des cent » qui se présente comme une « pétition » mais qui est bien plutôt une déclaration d’allégeance au pouvoir macro-blanquérien.

Ce texte, qui constitue un appel à la police de la pensée dans les universités, a suscité diverses réactions salutaires, notamment sur Mediapart. Le Monde du 4 novembre 2020 a publié une réponse à ce texte « désolant », signée par environ deux mille chercheurs et chercheuses, intitulée à juste titre « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée ». Dans ce texte encore ouvert à la pétition, on trouve la phrase:

« “Islamo-gauchisme”, puisque telle est l’insulte agitée pour tout argument, nous rappelle d’autres injures, à l’instar de “judéo-bolchevisme”: des temps sombres et des anathèmes auxquels nous refusons de céder... »

On trouve en effet beaucoup de « o-ismes » sur internet, comme cette perle d’un certain Jacques Philarcheïn le 31 janvier 2011 dans Riposte laïque: « Le gaucho-fascisme veut nous imposer l’islamo-libéralisme ».

Il est sain et important de dénoncer ces couples de termes et la perversion de la pensée qu’ils véhiculent, appelant à des actions liberticides, comme l’amendement sénatorial du 29 octobre 2020 tentant de limiter les libertés académiques.

Il me paraît opportun d’y associer un autre couple hideux, moins célèbre aujourd’hui que les précédents mais qui eut en son temps de terribles conséquences: celui d’« hitléro-trotskisme » employé dans les années trente et pendant la deuxième guerre mondiale par le Parti Communiste Français dans sa presse et dans ses déclarations, une tache indélébile que ce parti portera à jamais dans l’histoire. Il prépara, accompagna et couvrit les assassinats par les staliniens de trotskistes, ou tout simplement de communistes rétifs à ou critiques du stalinisme, dans les camps et les prisons nazis et jusque dans le maquis français, et continuèrent même après la guerre, pour être remplacés plus tard, chez les althussériens de la rue d’Ulm, pendant mai 68 et jusqu’à aujourd’hui chez les « néo-staliniens » repeints en rose, par des formulations plus « modérées » mais porteuses du même sens.

Pour ceux, nombreux sans doute, qui n’ont jamais rencontré cette expression, il faut lire la presse communiste de l’époque (et pas ce que les staliniens en disent maintenant), qu’on trouve encore parfois dans des brocantes, et les, finalement rares, ouvrages traitant du rôle des staliniens dans la répression dans ces années de toute opposition au stalinisme au sein du mouvement ouvrier mondial, et notamment de la résistance française, comme le remarquable diptyque Ami si tu tombes et Adieu camarades de Roger Pannequin (Le Sagittaire, 1976 et 1977; le premier réédité par Actes Sud en 2000) ou Meurtres au maquis de Pierre Broué et Raymond Vacheron (Grasset, 1977). Il est vrai qu’à partir de 1933, les partis communistes, et notamment celui de France, avaient beaucoup de contorsions à effectuer pour tenter de faire oublier l’écrasante responsabilité historique, relevant en fait de la complicité, qui fut la leur, tout d’abord dans la défaite des républicains espagnols, puis dans l’avènement du nazisme en Allemagne et donc dans le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, par la politique dite de « classe contre classe » qu’ils imposèrent et qui les amena à combattre les sociaux-démocrates plus que les nazis ‒ politique suicidaire contre laquelle les trotskistes luttèrent en vain pendant toute cette époque, comme le rappelle l’excellente anthologie de Léon Trotsky Contre le fascisme, 1922‒1945 (Syllepse, 2015).

Comme quoi la manipulation de la pensée et des actes par le langage n’est pas une nouveauté, et les intellectuels français en sont particulièrement coutumiers depuis des décennies. N’y aurait-il pas un rapport entre ce fait indéniable et le fait que la France a indubitablement été longtemps la « fille aînée du stalinisme » et en a manifestement gardé les séquelles?

 

Alain Dubois

6 novembre 2020

 

Sur Mediapart:

https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/061120/islamo-gauchisme-judeo-bolchevisme-hitlero-trotskisme

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