Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier
30 Janvier 2022
Dans cette lettre à l’Union européenne, cinq anciens Premiers Ministres japonais exhortent celle-ci à ne pas inclure l’énergie nucléaire parmi les « énergies vertes » bénéficiant de facilités d’investissements.
Dans mon billet d’hier consacré aux relations entre « la gauche » et le nucléaire (Peut-on être de gauche…), j’évoquais une lettre de cinq anciens Premiers Ministres japonais à l’Union européenne l’exhortant à ne pas inclure l’énergie nucléaire parmi les « énergies vertes », ce qui permettrait à celle-ci de bénéficier de la part de l’UE de facilités d’investissements. Une traduction de cette lettre est ici présentée.
Notes : (1) La formule « taxonomie de l’UE » employée dans cette lettre désigne un système de classification des activités économiques ayant un impact favorable et durable sur l’environnement, dont l’objectif est d’orienter les investissements vers les activités dites « vertes ». <https://www.carbone4.com/analyse-taxonomie-europeenne>.
(2) L’un des signataires de la lettre ci-dessous est Kan Naoto, qui dirigeait le pays en mars 2011, lors de la catastrophe de Fukushima.
(3) Merci à Jean pour m’avoir indiqué l’existence de cette lettre, sur laquelle les médias et sites français font pour l’instant silence.
27 janvier 2022
Destinataire :
Mme Ursula von der Leyen,
Présidente de la Commission européenne
Une société sans nucléaire et sans carbone est possible
Il faut exclure l’énergie nucléaire de la taxonomie de l’UE
En tant qu’anciens premiers ministres du Japon, nous avons été choqués d’apprendre que la Commission européenne prévoit d’inclure l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE, qui est conçue pour faciliter des investissements dans des projets luttant contre le changement climatique ou liés à la durabilité.
Après ce qui s’est passé à Three Miles Island aux États-Unis et à Tchernobyl dans l’ex-Union soviétique, la catastrophe de la centrale nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi a prouvé à grands frais que l’énergie nucléaire ne peut pas être « sûre ». De plus, ce dont nous avons été témoins à Fukushima au cours de la dernière décennie est une tragédie et une contamination indescriptibles sur une échelle sans précédent. Des centaines de milliers de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer et de vastes étendues de terres agricoles ont été contaminées. De l’eau radioactive continue d’être générée bien au-delà de la capacité de stockage, de nombreux enfants souffrent d’un cancer de la thyroïde, et des quantités massives de ressources et de richesses du pays ont été perdues. Nous ne souhaitons pas aux pays européens de commettre la même erreur.
Promouvoir le nucléaire peut ruiner un pays. De même que les politiques qui ferment les yeux sur le changement climatique, les politiques de promotion de l’énergie nucléaire menacent la survie et l’existence des générations futures. Au lendemain de la catastrophe de la centrale nucléaire TEPCO Fukushima Daiichi, diverses enquêtes et recherches, ainsi que des avis d'experts du Japon et au-delà, ont clairement établi que l’énergie nucléaire n’est ni sûre, ni propre, ni économique. Nous sommes convaincus que la seule façon de parvenir à un monde véritablement durable est de promouvoir les énergies renouvelables, qui permettront à nos sociétés de s’affranchir à la fois du nucléaire et des énergies à forte empreinte carbone.
L’inclusion de l’énergie nucléaire dans la taxonomie de l’UE reviendrait à promouvoir dans le monde l’idée que le nucléaire contribue à créer une « société durable », alors qu’en réalité les déchets radioactifs et le risque inévitable d’accidents majeurs menacent à la fois l’environnement et la survie même de l’espèce humaine. Si l’UE devait approuver les investissements dans l’énergie nucléaire, cela irait à l’encontre de l’essence du Green Deal européen, et laisserait un lourd et irréversible héritage pour l’avenir de l’UE et du monde.
Au lendemain de la catastrophe de la centrale nucléaire de TEPCO Fukushima Daiichi, la décision prise par l’administration Merkel en Allemagne d’éliminer progressivement l’énergie nucléaire a été remarquable. Nous saluons cette décision. Nous espérons sincèrement que les dirigeants européens prendront à nouveau une décision courageuse pour tracer un avenir durable pour l’humanité.
Soulignons une fois de plus qu’un monde dénucléarisé et décarboné est possible.
Le 87e, 88e et 89e Premier Ministre du Japon, Junichiro Koizumi
Le 79e Premier Ministre du Japon, Morihiro Hosokawa
Le 94e Premier Ministre du Japon, Naoto Kan
Le 93e Premier Ministre du Japon, Yukio Hatoyama
Le 81e Premier Ministre du Japon, Tomiichi Murayama
Source : <https://www.reddit.com/r/france/comments/sewupd/lettre_de_5_anciens_premiers_ministres_japonais/?utm_medium=android_app&utm_source=share>.
Traduction AD, 30 janvier 2022.