L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Écologie, marxisme et lambertisme. (1) Avant-propos (2018)

Pierre Lambert (1920‒2008)

Pierre Lambert (1920‒2008)

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Ce texte présente une série de billets et de documents concernant le ‘non-débat’ sur les questions d’environnement au sein du mouvement trotskyste lambertiste tout au long de son histoire. 

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Dans un article consacré aux relations entre l’‘extrême gauche’ française et l’‘écologie’ pendant la période 1968‒1978 [1], Philippe Buton compare les positions prises à cette époque par diverses organisations de cette ‘mouvance’ mal définie (regroupant des organisations ouvrières et des organisations petites-bourgeoises) sur la question de la crise de l’environnement. Il propose une classification de ces organisations en trois ‘positionnements’ par rapport à cette question : les pionniers, les suivistes et les réfractaires. Parmi ces dernières, il consacre un petit paragraphe de 15 lignes à l’OCI (pour la liste des sigles employés ici, voir l'Annexe 1 ci-dessous), organisation qui se réclamait alors du « trotskysme orthodoxe », tendance aujourd’hui désignée sous le terme de « lambertisme », du nom de son principal dirigeant historique, Pierre Boussel dit Pierre Lambert (1920‒2008) [2]. Malgré leur brièveté, ces quelques lignes comporte des inexactitudes, puisqu’elles affirment que ce n’est pas avant 1977 que l’organisation intervint sur les questions écologistes, ce qui ignore au moins un article important de 1970 de Gérard Bloch [3], et ne mentionne que deux numéros de 1977 d’IO (811 et 813) où ces questions sont discutées, ce qui en ignore au moins six autres de 1977 et 1978 (814, 818, 832, 833, 835 et 837).

Le N° 811 d’IO reproduisait complaisamment un article d’Alexandre Hébert, syndicaliste nantais, initialement paru dans L’Ouest syndicaliste, qui traduisait bien ce que Philippe Buton qualifie à juste titre d’‘allergie écologiste’ et d’‘attitude très hostile à l’écologie’. En réponse à cet article, j’avais rédigé un texte intitulé « Marxisme et écologie », qui répondait également dans son « Post-scriptum » à l’article de Gérard Bloch mentionné ci-dessus. J’avais soumis ce texte à l’OCI pour publication dans La Vérité, revue théorique mensuelle de cette organisation. Il n’y fut pas publié, mais des extraits le furent sous forme de quatre articles d’une page dans l’hebdomadaire IO, sous les titres de : « Marxisme et écologie (1) » (IO N° 832), « « Marxisme et écologie (2) Destruction de la nature, destruction de la culture » (IO N° 833), « Marxisme et écologie (3) Les forces productives ont cessé de croître » (IO N° 835) et « Marxisme et écologie (4) Les masses devront s’emparer de ces problèmes pour les résoudre » (IO N°837). Avant publication, ces textes avaient été l’objet d’une censure minutieuse de la part de la rédaction du journal, qui en retira tous les passages où effleurait une critique de la politique et des déclarations de l’OCI sur les questions relatives à la crise de l’environnement. Par ailleurs j’avais joint à mon texte quatre documents, l’un comportant un  extrait du livre Dialectique de la nature d’Engels, et les trois autres du livre L’encerclement de Barry Commoner, que j’estimais d’une grande importance pour la compréhension de ces problèmes : si, noblesse oblige, le texte d’Engels fut reproduit dans IO, les trois autres, rédigé par un auteur n’appartenant pas au ‘sérail’ trotskyste, ne le furent pas : il ne s’agit pas là d’une coïncidence, mais bien d’une méthode générale, sur laquelle je reviendrai ci-dessous. Il faut noter toutefois que, à la fin du quatrième article publié dans le N° 837 d’IO, figurait la note suivante : « Nous achevons cette semaine la publication de la série d’article de tribune libre du camarade A.D. Nous avons malheureusement été contraints d’amputer de plusieurs passages le très long texte du camarade A.D. Les camarades qui voudraient participer à la discussion de ces problèmes peuvent s’en procurer le texte intégral auprès de la rédaction de ‘IO’ moyennant le prix de la photocopie (22 F). » Ce fut vraiment le cas à l’époque, la photocopie fournie montrant les passages supprimés en leur intégralité mais barrés d’un trait oblique.

Mon intention en soumettant ce texte à l’OCI, pour publication dans sa revue théorique, était d’y ouvrir un débat, car je considérais que, en 1977, l’absence de toute prise en compte de la question de la crise de l’environnement dans la politique d’une organisation révolutionnaire se réclamant bruyamment du marxisme, était anachronique et nuisible, notamment en ce qu’elle abandonnait ce domaine aux idéologues petits-bourgeois et réformistes de ce qu’on n’appelait pas encore l’‘écologie politique’ (pour la définition des termes ‘écologie’, ‘écologiste’, etc., voir l'Annexe 2), mouvement dont le développement ultérieur était prévisible, en raison de l’approfondissement inéluctable de la crise environnementale dans les décennies à venir—prévision qui se confirma. Toutefois, après la publication de cette série de quatre articles, et alors qu’il semble fort improbable qu’aucun militant de l’OCI ou lecteur d’IO n’ait adressé au journal de commentaire, aucune contribution sur cette question ne fut publiée dans IO ou La Vérité et aucun débat public sur cette question ne se développa dans le mouvement lambertiste. Je quittai peu après celui-ci, que j’avais rejoint à la fondation de la FER le 1e mai 1968 (deux jours avant le début des ‘évènements’ qui devaient mener à la Grève Générale de mai 1968) et ce ne fut qu’en 2008, alors qu’un processus de construction d’un ‘nouveau’ parti, le POI, s’était engagé, dont les responsables promettaient une ouverture à des questions ‘nouvelles’ comme celle de la crise environnementale, que je repris contact avec ce mouvement, tout d’abord sous la forme d’un article intitulé « Marxisme et environnement » publié par le bulletin Réflexions N° 159 de juin 2008, puis en rejoignant le Comité du 13e arrondissement de Paris pour un Parti Ouvrier Indépendant, dont je fus le secrétaire et le rédacteur de sa Lettre du 21 mars 2008 (N° 1) au 30 juin 2008 (N° 8) [3] et de la Lettre des Comités Parisiens du 16 avril 2008 (N° 1 et unique). Dans le cadre de ce Comité, se développa une discussion sur les questions environnementales, qui fut suivie d’un débat au siège du ‘Secrétariat international de la IVe Internationale’ (rue du Faubourg Saint-Denis à Paris). Les contributions à ce débat devaient être publiées dans La Vérité, et la question de l’environnement devait être abordée clairement dans le Manifeste du POI. Toutefois aucune de ces deux promesses ne fut tenue, ce qui m’amena, juste après la proclamation du POI, à une seconde rupture, définitive cette fois, avec le mouvement lambertiste, que j’estime désormais ‘irrécupérable’ à cet égard. Ce n’est qu’en 2010 et 2011 que La Vérité publia enfin deux textes explicites sur la position du POI sur la crise de l’environnement, textes sur lesquels je reviendrai dans un billet ultérieur.

La question centrale de ces débats était de savoir si la question environnementale est une vraie question politique importante, ou un ‘gadget’ ou une ‘lubie’, et savoir si cette question doit être discutée et incluse dans la réflexion marxiste de notre époque. Cette question se pose particulièrement du fait que le terme d’ ‘écologie’ (qui date de 1866) n’est pas mentionné une seule fois dans les œuvres de Marx et Engels, pas plus que la notion de ‘crise environnementale planétaire’—et pour cause, car celle-ci n’existait pas encore, même pour les scientifiques, au 19e siècle : il s’agit donc de supputer (ce qui est un peu vain) quelle position ces auteurs auraient adopté à notre époque sur cette problématique, et surtout d’établir si une pensée ‘environnementaliste’ a sa place au sein du marxisme. Si, comme l’a montré Philippe Buton, au moment où je l’ai posée pour la première fois à l’OCI, en 1977, il s’agissait d’une question très marginale au sein du mouvement ouvrier révolutionnaire, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis et, à part au sein du mouvement lambertiste, cette question a fait l’objet de nombreuses discussions et publications, où les positions les plus extrêmes ont été exprimées. Il est vrai qu’un bon nombre de celles-ci sont fort discutables, notamment du fait que, dans une large proportion, les intervenants dans ce débat tenaient le stalinisme pour le continuateur légitime de la pensée de Marx, et considéraient l’URSS comme l’incarnation historique de cette pensée. Une appréciation non biaisée de cette question ne pourrait toutefois se faire en ignorant ce corpus de textes, malgré leur qualité et leur pertinence inégales mais, quoi qu’il en soit, la discussion détaillée de cette question excéderait de beaucoup le cadre de la présente contribution. Le but de cette dernière est de clore le débat sur la question ‘mystérieuse’ de la position des lambertistes sur la question environnementale, qui comme on le verra, malgré de très timides tentatives d’‘ouverture’ au débat, est restée absolument constante, au moins de 1977 à 2011, et qui doit donc être considérée comme une caractérisation profonde et permanente du mouvement lambertiste dont le bilan doit donc être tiré. Etant donnée la crise multiforme qui traverse cette mouvance politique ces dernières années, cette question peut apparaître comme secondaire ou négligeable, dans la mesure où cette mouvance ne pèse que d’un poids ridicule dans la lutte des classes actuelles en France, mais l’histoire nous a montré que, tel le phénix, le lambertisme peut renaître de ces cendres : il sera donc important d’être prévenu à son égard sur ce point.

La présente publication de ces documents, pour partie devenus introuvables et pour partie inédits, a aujourd’hui principalement un intérêt historique, notamment pour les historiens du mouvement ouvrier (par exemple pour le CERMTRI) ainsi que pour les historiens de l’‘écologie politique’. Une partie des textes présentés ci-dessous a toutefois vieilli, les questions soulevées ayant perdu de leur actualité, et ils seront de peu d’intérêt pour les lecteurs que ces questions historiques n’intéressent pas, qui peuvent se passer de leur lecture.

Dans les billets qui suivent, chacun des textes reproduits sera précédé d’un ‘Commentaire’ destiné à l’éclairer et à l’actualiser.

 

Alain Dubois

8 octobre 2018

 

 

Annexes, notes et références

 

Annexe 1. Sigles utilisés

Dans le présent billet, ainsi que dans les autres billets de ce blog faisant suite à celui-ci, les sigles suivants sont employés :

AJS. Alliance des Jeunes pour le Socialisme.

CAO. Comités d’Action Ouvrière.

CERMTRI. Centre d’Etudes et de Recherches sur les Mouvements Trotskyste et Révolutionnaires Internationaux.

FA. Fédération Anarchiste.

FER. Fédération des Etudiants Révolutionnaires.

IO. Informations Ouvrières (hebdomadaire).

MPPT. Mouvement pour un Parti des Travailleurs.

NPA. Nouveau Parti Anticapitaliste.

OCI. Organisation Communiste Internationaliste.

PCI. Parti Communiste Internationaliste.

POI. Parti Ouvrier Indépendant.

POID. Parti Ouvrier Indépendant Démocratique.

PT. Parti des Travailleurs.

SU. Secrétariat Unifié.

 

Annexe 2. Une clarification terminologique nécessaire

Le terme d’‘écologie’, créé en 1866 [4] par le biologiste allemand Ernst Haeckel, l’un des premiers darwiniens convaincus, désigne une discipline scientifique, celle qui étudie l’environnement (ou ‘milieu’), les relations entre celui-ci et les organismes et entre ces derniers (y compris l’homme). En ce qui concerne le terme d’‘écologiste’, qui désignait initialement les scientifiques pratiquant cette discipline, il a été ‘détourné’ à la fin du 20e siècle pour désigner les militants et partisans d’un mouvement politique très hétérogène, allant de l’extrême-droite à d’authentiques révolutionnaires ouvriers, mais comportant avant tout des réformistes bourgeois. Afin de se démarquer de ce mouvement, qui n’entretient que des liens très lâches, et parfois inexistants, avec la science, les chercheurs francophones impliqués dans la recherche en écologie se sont alors dotés d’un nouveau terme, celui d’‘écologues’, et ils ne se désignent plus comme écologistes. La nuance peut sembler subtile, et il est vrai que des confusions restent possibles pour un lecteur non prévenu. C’est pourquoi dans ce qui suit j’emploierai le moins possible ces deux termes, et parlerai de préférence de l’« environnement », de son étude et de sa destruction. Pour distinguer les militants et partisans de l’ « écologie politique », j’utiliserai parfois le terme d’« écolos », qui n’implique ni mépris ni dérision mais a pour but de les distinguer des scientifiques écologues.

 

Notes et références

[1] Philippe Buton, « L’extrême gauche française et l’écologie : une rencontre difficile (1968‒1978) », Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, 2012, 113 : p. 191‒203.

[2] Pierre Lambert (1920‒2008), militant ouvrier, combattant de la IVe Internationale, La Vérité, nouvelle série No 60‒61 (No 666‒667), mars 2008.

[3] Cette Lettre cessa de paraître après le N° 9 du 19 septembre 2008.

[4] Ernst Haeckel, Generelle Morphologie der Organismen, Berlin, 1866.

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Mots clés : Crise environnementale. Écologie politique. Environnement. Internationale. Lambertisme. Lutte des classes. Marxisme. Mouvement ouvrier. Nucléaire. Réchauffement climatique. Stalinisme. Urgence environnementale.

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