3 Octobre 2018
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Le sabotage du combat contre la Loi Travail par les directions syndicales et politiques ‘de gauche’ va aboutir à l’adoption de cette loi mais aussi au rejet par la majorité de la population des syndicats et des luttes pour la défense des travailleurs. Ce gâchis doit beaucoup au fait que le bilan réel de 50 ans de stalinisme n’a pas été tiré. Il aura de graves conséquences.
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L'écrasante majorité de la population de notre pays a compris dès le début que le projet de loi Travail était porteur de la pire régression sociale en France depuis un demi-siècle. Elle l'a montré en participant massivement aux manifestations et autres "actions" organisées par les directions syndicales ou apparues spontanément. Pourtant cette loi va passer. Pourquoi? Parce que les syndicats qui font la grosse voix n'ont pas organisé la Grève Générale quand il en était temps. Une Grève Générale de 10 millions de travailleurs du public et du privé aurait eu raison de ce projet de loi en quelques jours ou semaines.
Les syndicats et les partis politiques "de gauche" ne sont pas prêts à faire capoter cette loi, parce que cette victoire des travailleurs aurait eu de grandes chances d'être suivie du renversement de ce gouvernement, renversement dont ils ne veulent pas. Ce gouvernement qui utilise les dispositions les plus réactionnaires de la Constitution de de Gaulle et Debré comme le 49-3 n'a plus rien à voir depuis longtemps avec "la gauche". Ce n'est pas un gouvernement avec lequel il faut tenter de négocier, c'est un gouvernement qu'il faut foutre à la porte. Craindre que le faire tomber favorise la venue au pouvoir de "la droite" est un contresens. Dans la lutte des classes, toute victoire d'une classe la renforce et affaiblit l'adversaire. C'est le vote de la loi Travail qui concrétisera la défaite des "forces de progrès" à l'issue de ces mobilisations et qui va frayer la voie à Sarkozy et Le Pen, pas l'inverse.
Les semaines qui viennent de se dérouler constituent une magistrale démonstration de ce qu'il faut faire pour faire échouer un puissant mouvement de résistance aux agressions de l'Etat, au service du patronat et des actionnaires: manifestations répétées, sans service d'ordre conséquent empêchant la nuisance des "casseurs"; grèves d'un jour organisées séparément, les unes après les autres, dans diverses branches à diverses dates; opérations "coup de poing" absurdes, impopulaires et inefficaces; "nuits debout" diluant l'exigence de retrait inconditionnel de la loi dans une multitude de revendications; entretien de l'illusion que, dans la Ve République, en "votant bien" les députés pourront bloquer la loi (pour tous ceux qui se piquent encore et toujours, après des décennies d'échec de cette "méthode", de faire "l'éducation des masses" avant d'envisager de passer, peut-être, à l'action, un refus de participer à la mascarade parlementaire au sujet de cette loi aurait eu une portée pédagogique bien plus grande); et pour finir, le plus honteux, le renvoi de la responsabilité du combat contre la loi sur le dos d'une seule corporation, celle des cheminots. Ces va-et-vients déboussolés ont abouti à cette merveille: retourner "la population" contre "les travailleurs", comme si ce n'étaient pas les mêmes personnes. Et en se servant comme toujours du "sport" (du sport-fric, s'entend) contre les travailleurs. Le chemin qui mène des "nuits debout" aux "fans zones" n'est pas glorieux, mais il est logique: c'est nier la lutte des classes au profit d'une mobilisation "citoyenne" indifférenciée, sans frontières ni principes, qui en définitive ne menace en rien le pouvoir. Et accepter les miettes que le gouvernement lâche pour briser la solidarité contre la loi Travail - miettes dont il ne restera rien dans dans quelques années alors que le Code de Travail, résultat de décennies de luttes de nos aînés, aura été détruit - est un élément de honte et d'aveuglement supplémentaire.
Il serait simpliste de croire que cet échec provient seulement de la pusillanimité de "la gauche", des syndicats, ou des beaux esprits qui ont répété comme des perroquets "on ne peut décréter la grève", "les travailleurs ne sont pas prêts", etc. Cet échec provient d'une stratégie, la même qui a été mise en oeuvre dans la lutte des classes par les staliniens, flanqués de leurs divers alliés, conscients ou non (socio-démocrates, gauchistes, anars, ultra-gauches, etc.), pendant près d'un siècle.
Si cela est possible, c'est parce que le bilan du stalinisme n'a pas été tiré - les intellectuels, le pouvoir, mais aussi les appareils syndicaux et politiques y ont jalousement veillé. Et tant qu'il ne le sera pas, ces échecs se répèteront, et leurs conséquences seront de pire en pire.
Spinoza disait: ni pleurer ni rire, il faut comprendre. Comprendre notre époque exige une méthode d'analyse. La nature du stalinisme a été analysée depuis longtemps grâce à la méthode marxiste. Le stalinisme n'a rien à voir avec un quelconque "culte de la personnalité" ou avec une "tendance" légitime du marxisme: c'est un système mafieux opportuniste sans principe ni théorie cohérente, au service d'une caste d' "aristocratie ouvrière", d'abord dans un Etat ouvrier assiégé et misérable, ensuite dans les appareils syndicaux et politiques issus du mouvement ouvrier dans les pays capitalistes. Une lumineuse explication et illustration en figure par exemple dans les textes "Contre le fascisme" de Léon Trosky récemment réunis et publiés par les éditions Syllepse, comme, dans un tout autre registre, dans les remarquables deux livres de Roger Pannequin "Ami si tu tombes" et "Adieu camarades" (ce ne sont que deux exemples). Ce système a survécu à l'effondrement de l'URSS, car tous ceux qui défendent le vieux monde, de l'Etat aux états-majors syndicaux et politiques, y trouvent leur avantage. Leur but est tout simplement de maintenir le statu-quo, se contenter des miettes "réformistes" qui sont censées tomber parfois de la table. Sauf que cela fait belle lurette que, en raison de la crise profonde de l'impérialisme, il ne tombe plus de miettes. Et que les "réformistes" d'aujourd'hui sont non seulement des réformistes sans réformes, mais encore des réformistes qui avalent les unes après les autres les contre-réformes, comme la loi Travail. Mais bien-sûr, pour conserver leur emprise sur les travailleurs et partant leurs postes de permanents et les appartements et voitures de fonction qui vont avec, les états-majors syndicaux doivent parler haut et fort, faire des rodomontades, et envoyer au casse-pipe quelques travailleurs particulièrement mobilisés, qui bien sûr n'ont aucune chance de gagner seuls contre le gouvernement et ses alliés.
Mais il ne suffit pas de comprendre, il faut agir. Et dans ce domaine l'action ne peut être individuelle, elle ne peut être que collective. Tant qu'il n'existera pas dans ce pays d'organisation capable de mener les "insoumis" à la victoire, ceux-ci subiront des défaites. Ils en subissent quasiment sans discontinuer, en France, depuis près de 50 ans. Le combat contre la loi Travail était une opportunité historique, s'appuyant sur une mobilisation massive, pour renverser la vapeur. Mais la défaite des travailleurs dans ce combat aura des conséquences catastrophiques, dont l'ampleur est encore imprévisible. Quel que soit le résultat de l' "Euro" pour les "Bleus", les petits matins qui suivront auront un goût amer de défaite...
Alain Dubois
5 juin 2016
Publication originale:
https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/090616/loi-travail-le-gachis-le-degout-et-la-honte
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