24 Mars 2020
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Trois textes parus hier et avant-hier égrènent des « mesures à prendre » face à la pandémie de covid-19. Malgré leurs ressemblances, ils se situent dans des perspectives différentes quant aux moyens à employer pour parvenir à les mettre en place : par la collaboration de classes ou par la lutte des classes ?
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Les grands esprits se rencontrent-ils ? Un jour après avoir posté mon billet sur le thème « Si les prolétaires prenaient le pouvoir ils feraient quoi ? » (https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/220320/corona-collapse-applaudissements-20-h-casseroles-20-h-15), j’ai pris connaissance des « 11 mesures d’urgence proposée par la France Insoumise » (https://lafranceinsoumise.fr/2020/03/20/coronavirus-11-mesures-durgence/?utm_campaign=2020-03-22-newsinsoumis-hebdo) et de la déclaration d’Attac « Coronavirus : une révolution écologique et sociale pour construire le monde d’après » (https://france.attac.org/IMG/pdf/attac-coronavirus-monde-apres.pdf?pk_campaign=Infolettre-2394&pk_kwd=france-attac-org-img-pdf-attac). Trois textes qui, malgré leurs différences, ont bien des points en commun. Trois textes qui égrènent des litanies de « vœux pieux » sur « ce qu’il faudrait faire » pour faire face à la pandémie de covid-19 et ses conséquences. Je ne vais pas ici faire un inventaire et des comparaisons des mesures préconisées, qui lorsqu’elles sont différentes se situent dans une même approche générale, mais seulement des méthodes proposées pour parvenir à leur réalisation, qui, elles, se répartissent sur un spectre bien plus large.
A cet égard, mon texte était de loin le plus utopique et le plus irréaliste, puisqu’il disait clairement que les mesures proposées, dans leur ensemble, étaient irréalisables par Macron, comme par tout gouvernement au service des intérêts financiers du capitalisme, et posait comme condition préalable à leur réalisation potentielle le renversement de Macron et la mise en place d’un Gouvernement de Salut Public. Pour y parvenir, il affirmait que la seule voie possible, non seulement pour lutter contre la pandémie, mais aussi pour faire face à la crise multiforme (sanitaire, écologique, économique, sociale, politique, etc.) de notre société, qui nous mène à brève échéance vers un collapse bien plus général, violent et irréversible, est celle de la lutte des classes, de la révolution socialiste et de la rupture avec le capitalisme, s’appuyant sur les armes traditionnelles du mouvement ouvrier, avant tout la Grève Générale, plus que les grèves ponctuelles, les manifestations, pétitions et déclarations. Il affirmait que l’approche réformiste, privilégiée jusqu’à présent par tous les mouvements en faveur d’un « changement de société », écologistes, socialistes et autres, étaient voués à l’échec. Pour moi, demander à des gouvernements capitalistes de mettre en œuvre des politiques de santé, énergétiques, de transport, de production alimentaire et industrielle, etc., qui cessent de détruire les sociétés humaines et les écosystèmes et de modifier le climat, c’est comme demander à une vache de cesser de manger de l’herbe ou à un tigre de cesser de mander de la viande.
A l’autre extrémité, le texte des Insoumis, s’il donne une liste assez détaillée des mesures à prendre face à la pandémie, ne se place pas dans une logique de rupture avec Macron. Il écrit : « Le gouvernement a présenté un plan d’urgence. Ces mesures sont bienvenues, mais insuffisantes et déséquilibrées. C’est dans un esprit de lutte collective de la Nation toute entière que nous nous joignons au combat. Nous mettons 11 propositions en débat. Nous nous engageons sans réserve dans la lutte sanitaire et souhaitons provoquer une discussion collective autour des mesures nécessaires. » Cette déclaration a le mérite de la clarté. Elle se place aux côtés du gouvernement pour « l’aider » à mieux protéger « la Nation » (pas le peuple). Elle propose un « débat » ‒ avec qui, pour quoi faire ? Clairement les Insoumis, fidèles à ce titre à leurs positions politiques depuis la présidentielle, restent dans une logique de « débat » avec Macron, pas de combat contre lui, et ne souhaitent pas remettre en cause sa légitimité. Il s’agit de le laisser terminer son mandat afin de pouvoir, dans le respect des institutions de la 5e République, se présenter contre lui bien sagement lors des présidentielles de 2012 (pour se faire bananer encore plus sauvagement cette fois-ci, sans même besoin de la complicité de Hamon et des deux autres petits cochons). Dont acte, mais alors pourquoi élaborer cette liste de « propositions » ? Quelle perte de temps et d’énergie ! Il suffit de lire cette liste de mesures pour constater qu’elles sont, pour une grande partie d’entre elles, totalement inapplicables par le gouvernement Macron, comme par tout autre gouvernement au service du capitalisme qui pourrait lui succéder. En fait, au moins autant et parfois même plus que les mesures dont j’avais dressé la liste partielle, il s’agit d’un véritable programme révolutionnaire, qui n’aurait de sens que pour mobiliser les travailleurs pour renverser Macron et prendre le pouvoir, pas pour « débattre » avec lui : lui, il ne « débat » jamais, il impose, il punit, il envoie la police, il éborgne, il arrache les mains, il combat ses propres « citoyens » (vaudrait-il mieux dire « sujets » ?).
Enfin, le texte d’Attac se situe à mi-chemin entre les deux précédents. Il dresse lui aussi une liste de préconisations qui constitue un vrai programme révolutionnaire, et il n’hésite du reste pas à employer ce mot. Il se termine par de belles phrases : « Au maintien des structures économiques actuelles, opposons une bifurcation écologique et sociale, guidée par la satisfaction des besoins collectifs et les impératifs écologiques. L’heure est à l’organisation de la solidarité et de l’entraide. Si l’on veut imaginer une réelle sortie de crise, ce sont ces valeurs qu’il faut faire vivre dès maintenant, et bien plus encore dès la fin du confinement. Non, nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité, car la normalité néolibérale et productiviste est le problème. » Fort bien. Mais qui est ce « nous » qui parle ? Est-ce Attac ? Est-ce le peuple ? Sont-ce les travailleurs ? Ou sont-ce « les citoyens » ‒ sans frontières de classes, ayant tous les mêmes intérêts et motivations ? Et comment y parvenir ? Par des élections ? Par la Grève Générale ? Par la propagande et le débat ? Beaucoup de questions restées sans réponses dans ce texte.
Les occasions ont été nombreuses depuis le début du règne de Macron pour le déclenchement de la Grève Générale qui, menée avec détermination par les travailleurs pendant des semaines (comme ils ont amplement montré qu’ils y étaient prêts), aurait pu le renverser. Arc-boutés pour défendre la 5e République, incarnation actuelle de l’État bourgeois, syndicats, partis « de gauche », organisations « citoyennes », médias et intellectuels ont empêché son déclenchement et sa victoire. « L’économie » capitaliste leur doit beaucoup. Cette pandémie qui aboutit à une catastrophe économique similaire a au moins l’avantage, à ce jour, de ne pas menacer le pouvoir des entreprises, des banques et spéculateurs, de la police et de l’armée. Les travailleurs sauront-ils trouver la voie, dans ces conditions, pour nous débarrasser de ces parasites mortifères ? Ce ne sera certainement pas facile. Mais accepteront-ils que, « pour faire des économies », les médecins soient contraints de procéder à des « tris » (mot de sinistre mémoire depuis les années 40) de ceux qui vont mourir et de ceux qui pourront vivre, que des dizaines de milliers de vieux meurent dans les EHPAD, que personnels soignants, forces de l’ordre, commerçants, travailleurs « réquisitionnés » pour des travaux d’intérêt général, ne disposent pas de moyens de protection efficace, qu’il manque des dizaines de lits, que l’épidémie soit ralentie par le confinement mais moins que si un dépistage massif était fait, que les travailleurs voient leurs ressources baisser, que les droits sociaux et démocratiques soient rognés ? Ces questions sont d’autant plus urgentes et graves qu’il devient maintenant clair que la crise va durer bien plus longtemps que prévu initialement, et que « nous ne reviendrons pas à la normale » de sitôt (https://www.facebook.com/notes/jean-marc-jancovici/nous-ne-reviendrons-pas-%C3%A0-la-normale/10157431092358191/).
Alain Dubois
24 mars 2020