L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Mélenchon, la Loi Travail et la Grève Générale

Mélenchon, la Loi Travail et la Grève Générale

 

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Interrogé sur ce qu’il faudrait faire contre la Loi Travail, Mélenchon a reporté la responsabilité de son rejet sur les députés. C’est ignorer le fait que, sous la 5e République, lorsque le parlement n’est pas docile l’exécutif peut avoir recours à l’Article 49-3. Seule la Grève Générale peut faire capoter ce projet de loi, et le combat pour organiser cette Grève devrait être la priorité de tous.

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Je ne suis pas tous les jours collé à mon téléviseur, mais il se trouve que par hasard j’étais devant mon poste lorsque Jospin en direct déclara que « l’État ne peut pas tout » et qu’il avait l’intention de laisser sans bouger Michelin effectuer les licenciements contre lesquels se mobilisaient les travailleurs. Ce jour-là j’ai eu l’illustration une fois de plus que l’histoire aime se répéter et que les « socialistes » de la deuxième internationale continueraient indéfiniment à jouer leur rôle de « sociaux-traîtres »—après le vote des crédits de guerre en août 1914, le refus du gouvernement du Front Populaire d’armer les Républicains espagnols contre les franquistes armés par Hitler et Mussolini, l’incarcération des Républicains passés en France dans des camps dont ils ne devaient sortir que pour rejoindre les camps nazis en Allemagne, l’intervention militaire en Algérie, l’appel à de Gaulle en 1958, le « tournant de la rigueur » de Mitterrand, etc. Ce jour-là s’est scellé le destin politique de Jospin.

 Toutes proportions gardées, j’ai ressenti une impression similaire dimanche midi, en regardant par hasard Mélenchon sur la 3. Après un bon nombre de remarques judicieuses sur des questions diverses et notamment sur l’instrumentalisation par les médias et les politiques des violences des « casseurs » lors des manifs, Mélenchon se laissa piéger par une question pourtant facile à prévoir, mais qu’il se gardait bien, prudent, d’aborder lui-même. Le journaliste lui demande, mais alors, ces manifs, ces nuits debout, n’ont guère l’air de faire reculer le gouvernement sur son projet de Loi Travail, que faut-il faire? Et Mélenchon, gêné aux entournures, de faire alors appel à la conscience et à la responsabilité des députés pour voter contre cette loi et empêcher qu’elle ne passe, ou pour l’« amender » dans le bon sens. Ainsi donc, sous la 5e République, ce seraient les députés qui feraient les lois, qui seraient responsables de leur adoption ou de leur rejet? Alors on nous l’a changée, la Constitution de 1958? Il n’y a plus d’Article 49-3? Pourtant il me semblait que Mélenchon lui-même prônait depuis des années l’abolition de cette Constitution bonapartiste et le passage à une 6e République? Certes, devant une question aussi grave que ce projet de loi, il n’est pas illégitime de faire appel à la responsabilité des élus—mais alors il faut le faire sans entretenir des illusions quant au pouvoir du parlement. Faute de quoi le message risque de se brouiller considérablement. Il faut annoncer que, si les députés rejetaient la loi, ou si même ils nétaient pas sollicités pour la voter si le résultat s’en avérait d’emblée trop incertain, la forfaiture du recours au 49-3 par le gouvernement Hollande-Valls n’en serait que plus flagrante. Mais il serait inexact de dire que ce seraient les députés, pas le pouvoir personnel d’un de Gaulle aux petits pieds, qui deviendraient responsables de la mise en place de la loi la plus réactionnaire qu’ait connue la France depuis Pétain, l’abolition des acquis arrachés par le Front Populaire (comme prix payé par l’État pour « savoir arrêter une grève » et faire reculer le mouvement révolutionnaire en marche) et à la Libération

 Serait-ce que « Paris vaut bien une messe » et que, pour devenir un « présidentiable »respectable, adoubé par les sondages et même certains journalistes désemparés, il faille montrer une attitude « responsable », respectueuse de l’État et de ses institutions? Il n’est pourtant pas bien difficile de voir que face à l’offensive du gouvernement, obéissant aux injonctions du MEDEF, pour faire passer une loi inique et monstrueuse qu’aucun gouvernement « affiché de droite » n’aurait pu tenter d’imposer, les manifestations de rue (polluées de plus par des « casseurs » que nul ne semble à même de contrôler et dont l’action ne peut profiter qu’à ceux qui veulent faire passer la loi), ni les « nuits debout »qui discutent de tout au lieu de se concentrer sur la Loi Travail, ni même les grèves ponctuelles d’une journée par secteurs, ne feront le poids.

 À la question du journaliste de la 3, on attendait une réponse claire et déterminée: « il faut organiser immédiatement la Grève Générale jusqu’à satisfaction, pour l’abandon intégral de la Loi Travail, et nullement pour son ‘amendement’ »—que Mélenchon dans sa réponse semblait même envisager comme une solution au problème. Depuis des décennies, trahis par les directions syndicales et politiques, les militants se voient constamment proposer des « formes nouvelles de luttes » qui ont largement démontré leur inefficacité, et pire, leur rôle redoutable dans la construction du découragement et de la démobilisation des travailleurs. Contrairement à ce que nous serinent tous ceux qui monopolisent la parole dans notre société en crise aigüe, la lutte des classes n’a jamais été aussi exacerbée. Et parmi les armes dont peuvent se servir les travailleurs dans cette lutte, la Grève Générale est une arme d’une puissance inégalée, comme on le sait dans le monde entier depuis le putsch de Kapp en Allemagne en 1920. Les travailleurs organisés en Grève Générale peuvent paralyser un pays, et ni la police ni l’armée n’ont rien pu contre les millions de grévistes de 36 et de mai-juin 68. Dans les deux cas, il aura fallu les manœuvres des dirigeants syndicaux pour restreindre les avancées sociales que ces grèves auraient pu permettre, tout en obtenant du pouvoir qu’il lâche tout de même des miettes qu’il lui aura fallu des années ou des décennies pour reprendre.

 Le passage de la Loi Travail serait une défaite considérable pour les travailleurs, les démocrates et les citoyens dans notre pays, et partant dans l’ensemble de l’Europe et du monde. Pire, ce serait une défaite sans combat, comme l’histoire n’en connaît pas beaucoup—du même acabit sinon de la même ampleur que celle de la prise de pouvoir de Hitler en 1933 avec la bénédiction de l’internationale stalinienne, la mal-nommée « communiste ». Cette défaite sans combat en préparerait d’autres, dans une période historique où la guerre apparaît de plus en plus, une fois encore dans l’histoire, comme la seule solution que le capitalisme peut trouver pour sortir de la crise gigantesque dans laquelle il s’enfonce de plus en plus.

 Certes, organiser la Grève Générale aujourd’hui en France ne serait pas facile. Cela ne pourrait se faire qu’en s’appuyant sur la « base » pour imposer la Grève aux dirigeants. Mais en fut-il différemment en 36 et en 68? Ne serait-ce pas sur l’élaboration d’une stratégie pour y parvenir qu’il faudrait aujourd’hui concentrer les efforts?

 En n’évoquant même pas cette possibilité dans sa réponse (au moins en soulignant sa difficulté), Mélenchon se présente certes en dirigeant politique « responsable et respectable ». On n’ose certes pas imaginer qu’il se dit peut-être qu’aujourd’hui le plus important est de tout faire pour qu’il puisse être élu en 2017—et qu’une fois élu il pourrait tout faire, abroger la Loi Travail, faire voter une nouvelle Constitution, etc. Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas ainsi que fonctionne la lutte des classes. En envoyant ce message ambigu, apparemment contradictoire avec ce qu’il dit depuis des années, quant au rôle du parlement dans la 5e République, il contribue à obscurcir la compréhension des enjeux et des combats, à désorienter les militants et à préparer la défaite... Appeler à la responsabilité des élus au parlement, oui. Mais pas sans se battre en même temps pour tenter d‘organiser la Grève Générale, seule arme susceptible de faire capoter ce projet de loi...

 

Alain Dubois

3 mai 2016

 

Publication originale:

https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/030516/melenchon-la-loi-travail-et-la-greve-generale

 

 

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Mots clés : Article 49-3. Cinquième République. Démocratie. Grève Générale. Jean-Luc Mélenchon. Loi Travail. Manifestation. Parlement. Parti.Réformes. Statistiques. 

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