13 Mars 2022
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Face à l’éventualité d’une agression nucléaire par la Russie, la logique mortifère de la « riposte automatique », impliquée par la doctrine de la « dissuasion nucléaire », héritée de la guerre froide, ne peut mener qu’à une catastrophe humanitaire mondiale, sinon à l’extinction de toute vie sur terre. Il est urgent que les peuples se mobilisent pour faire abandonner cette doctrine à leurs gouvernements et exigent la destruction sans délai de tous les arsenaux nucléaires existants, l’abandon de tous les blocs militaires ainsi que du nucléaire « civil » qui contribuent également à cette menace.
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Les bombes nucléaires
Les USA ont l’insigne honneur d’être le premier pays à avoir mis au point la première bombe nucléaire et à avoir utilisé cette arme monstrueuse à deux reprises contre des villes et des populations du Japon, à Hiroshima et Nagasaki, en 1945. La propagande qui a accompagné cette décision du président Truman, qui relève indubitablement du crime contre l’humanité, a présenté celle-ci quasiment comme « humanitaire », destinée à éviter des morts massives de soldats américains si ceux-ci avaient dû conquérir le Japon pied à pied. Toutefois il y a belle lurette que nous avons qu’à cette date le Japon avait déjà annoncé à l’URSS, qu’il avait sollicitée pour organiser une médiation, sa volonté de se rendre sans délai, projet que Staline et Truman, chacun pour des raisons différentes, firent capoter. Les deux bombes atomiques larguées sur le Japon n’avaient donc aucune nécessité ou justification militaire, et encore moins « humanitaire » ! Deux motifs principaux ont clairement présidé à la décision de Truman : la perspective d’utiliser ces bombardements comme « expériences » pour connaître les conséquences grandeur nature de telles agressions sur les villes et sur les humains, et l’envoi d’un signal à destination de Staline et l’URSS pour les avertir que désormais les USA avaient sur eux une supériorité militaire écrasante. En d’autres termes, Hiroshima et Nagasaki ont constitué le premier acte de la « guerre froide ».
Très vite, il fut compris que les bombes atomiques ne constituent pas seulement de « grosses bombes » (comme le laisse encore entendre l’emploi de kilotonnes de TNT comme « unité de puissance explosive » de ces bombes), mais des armes d’un type nouveau, contre lesquelles il n’existe pas de protection individuelle efficace (style casque, armure, bouclier, etc.). Les effets de l’explosion d’une telle bombe sont multiples : chaleur extrême immédiate, « supérieure à celle du soleil », accompagnée d’une « bulle de lumière » et entraînant immédiatement quantités d’incendies dans la zone touchée, puis effet de souffle, et émission de radiations (rayonnements alpha, gamma et neutrons, etc.), ainsi que d’impulsions électromagnétiques. De telles bombes provoquent non seulement des destructions matérielles gigantesques et des massacres abominables de civils, dans des souffrances atroces, mais également dispersent, d’abord localement puis sur l’ensemble de la planète, des retombées radioactives, dont certaines ont une durée de vie se comptant en millions ou milliards d’années. Ces retombées attaquent tous les organismes vivants, y compris les humains, avec trois sortes d’effets : pathogènes, causant des maladies diverses et souvent très graves (notamment des cancers et leucémies), tératogènes (induisant des anomalies chez enfants dont la mère a été irradiée avant la naissance) et mutagènes (causant des mutations dans le patrimoine génétique des personnes irradiées). Ces mutations, pour la plupart délétères, se transmettront à leurs descendants de génération en génération, se répandant dans les populations et augmentant ainsi le « fardeau génétique » de l’humanité, contribuant à une dégradation des organismes.
Les radiations persistent plus ou moins longtemps et leurs effets sur les organismes sont de natures diverses et susceptibles d’affecter tous les organes du corps ‒ pas seulement la thyroïde ! La distribution de « pastilles d’iodes » aux habitants à proximité des centrales nucléaires est avant tout une mesure psychologique destinée à « rassurer » ceux-ci, si toutefois elles sont prises de préférence avant l’explosion ou sinon juste après, pour être efficaces pendant un ou deux jours, mais elles n’immunisent nullement ceux qui les ont avalées contre les autres conséquences d’un accident ou d’une bombe nucléaire : la livraison de telles pastilles par la France à l’Ukraine ces derniers jours remplit avant tout une fonction de propagande !
Contrairement à un mythe répandu, il n’existe aucune « adaptation » possible à l’irradiation nucléaire. Il existe certes des mécanismes de « réparation » de l’ADN, mais ceux-ci ont leurs limites, notamment lorsque l’organisme a reçu une irradiation massive et prolongée.
À ces conséquences initialement imprévues des bombardements nucléaires (malgré les nombreux cancers et leucémies radio-induits parmi les premiers chercheurs ayant étudié la radioactivité, à commencer par Marie Curie décédée de leucémie en 1934), ce n’est que plus tard qu’une autre conséquence prévisible de portée mondiale d’un éventuel conflit nucléaire généralisé fut envisagée : celle d’un « hiver nucléaire » résultant d’une dispersion de quantités considérables de poussières radioactives et autres tout autour de la planète, empêchant tout rayonnement solaire de pénétrer l’atmosphère pendant des années et entraînant l’extinction de quasiment toute la flore et la faune (humains compris), à l’instar de l’extinction massive d’une grande partie des êtres vivants (dont les dinosaures) causée par la météorite qui s’écrasa au Mexique à la fin du Crétacé.
La dissuasion nucléaire
Si les premières bombes nucléaires furent américaines, dès 1949 l’URSS s’était elle aussi dotée de l’arme nucléaire et la compétition commençait entre les deux pays pour se constituer un arsenal nucléaire supérieur en puissance à celui du concurrent, ainsi qu’une présence militaire dans l’espace qui lui est étroitement liée (déguisée pour le « grand public » en une « exploration pacifique » de l’univers). Aucun des deux adversaires ne pouvait sortir vainqueur de cette course à l’échalote, mais, et ce n’est pas un détail, l’économie capitaliste américaine pouvait bien mieux supporter cette croissance permanente de dépenses gigantesques que celle de l’URSS, pour laquelle elle joua un rôle primordial dans l’effondrement de l’empire stalinien de 1986 à 1991.
La guerre froide donna rapidement naissance à une doctrine militaire nouvelle, celle de la « dissuasion nucléaire », selon laquelle, tant que les deux belligérants virtuels disposent d’arsenaux nucléaires grossièrement équivalents, aucun des deux ne pourra prendre le risque de déclencher une guerre nucléaire car, si l’intégralité du parc nucléaire du pays attaqué n’est pas détruit dès le début de la guerre, celle-ci ne pourrait déboucher que sur une annihilation non seulement des deux pays concernés mais encore de toute, ou quasiment toute, la population humaine de la planète, sinon de toute vie sur le globe. Si dans les premières années cette destruction intégrale des armes de l’adversaire était envisageable (quoique fort difficile), elle ne peut plus l’être aujourd’hui étant donnée la dispersion des arsenaux nucléaires des principales puissances nucléaires dans de nombreux sites et lanceurs mobiles pour beaucoup « secrets », sur terre, sous les mers et dans l’espace.
La doctrine de la dissuasion nucléaire a donné lieu à une profusion d’analyses et d’ouvrages, par des politiciens, des militaires, des techniciens, des scientifiques, des philosophes, des métaphysiciens, des psychologues et même des adeptes de la « théorie des jeux ». La seule conclusion à laquelle tous ces brillants penseurs sont parvenus est que la guerre nucléaire est « la guerre qui ne peut avoir lieu », car toute guerre doit aboutir à ce qu’il y ait un vainqueur ou un vaincu, ou exceptionnellement à un « match nul » : une guerre qui déboucherait sur l’extermination de tous ou presque tous les habitants des deux pays belligérants (ou plus) serait un échec et une défaite absolue pour les deux, sinon pour toute l’humanité. Jusqu’à présent, les faits semblent avoir donné raison à ces analyses « rationnelles ». À y regarder de plus près toutefois, et en particulier lorsque l’accès à des archives classifiées est devenu possible, il s’est avéré que la rationalité de ces analyses a déjà été à plusieurs reprises « à deux doigts » d’être prise en défaut, un conflit nucléaire ayant « bien failli » être déclenché : notamment lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, lors du conflit sino-soviétique de 1969 et du conflit indo-pakistanais de 2002. Quels que soient les résultats des calculs savants que la « théorie des jeux » ou diverses analyses de probabilités permettent d’obtenir, ils ne peuvent prendre en compte l’implacable possibilité de la combinaison « hautement improbable » de plusieurs erreurs humaines ou de dysfonctionnement des systèmes de surveillance et d’analyse des données, possibilité décuplée par l’extrême urgence exigée pour des prises de décision irréversibles aux conséquences incalculables, comme l’ont illustré plusieurs livres et films dont certains très récents. À cet égard, ce risque de déclenchement erroné d’une attaque nucléaire se rapproche des risques d’accidents majeurs dans des centrales nucléaires dus également à une accumulation totalement imprévisible de « petites erreurs » ou « petits accidents », dont les responsables de l’industrie nucléaire « civile » eux-mêmes reconnaissent qu’ils ne sont « pas impossibles » et qu’il est même vraisemblable qu’ils se reproduiront, comme ils se sont déjà produits à Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima.
Tout cela était bel et bon tant que tous les acteurs potentiels de cette « comédie atomique » (du moins présentée comme telle dans Docteur Folamour de Kubrick) « jouaient le jeu », c’est-à-dire souhaitaient respecter l’« équilibre de la terreur », conscients que toute rupture de cet équilibre risquait d’entraîner des destructions effroyables sur leur propre territoire. Mais que peut-il se produire si un gouvernement accepte de telles destructions comme le « prix à payer » pour des destructions effroyables sur le territoire de l’adversaire ? Une telle attitude n’est pas impossible, notamment lorsque deux conditions sont réunies : un territoire gigantesque, avec une grand dispersion de villes et d’installations, dont certaines « secrètes » (non cartographiées officiellement), et un certain niveau d’acceptation a priori par un gouvernement de destructions importantes de ses villes, infrastructures, ressources et richesses, ainsi que des massacres considérables d’une partie non négligeable de sa population répartie sur cet immense territoire, dîme à concéder pour la destruction de l’adversaire.
La guerre d’Ukraine de 2022 apporte la démonstration que cette dernière possibilité existe bel et bien. L’agression russe sur l’Ukraine a entraîné une résistance inattendue de la part de la population de ce pays, et ne progresse aujourd’hui que lentement. Plus cette résistance à l’invasion, aux massacres et aux destructions sera forte et inflexible, et même en l’absence d’une intervention militaire directe des USA et de l’OTAN, plus elle sera susceptible d’aboutir au recours par le gouvernement russe à des formes de guerre interdites par toutes les conventions internationales sur les guerres. Poutine a lui-même annoncé que, si l’Ukraine recevait l’aide militaire d’autres pays pour combattre l’armée russe, ces derniers devraient s’attendre à des ripostes « inédites » (« des conséquences que vous n’avez encore jamais connues »), ce qui reste ouvert à interprétation. À la date d’aujourd’hui (13 mars 2022), dans son attaque de l’Ukraine l’armée russe a apparemment déjà employé des bombes à sous-munitions et des bombes thermobariques, et les commentateurs occidentaux évoquent la possibilité que s’y ajoutent des armes chimiques, biologiques et nucléaires. Quelles que soient les horreurs dont l’emploi de toutes ces armes de destruction massive peuvent être porteuses, il faut souligner que celles-ci appartiennent à deux catégories distinctes : celles (les 4 premières, et éventuellement d’autres) qui atteignent les individus et leur environnement immédiat, et le nucléaire, qui non seulement touche les individus mais touchera également leur descendance (ce qui est également le cas de certaines armes chimiques), et qui est en outre susceptible d’entraîner des conséquences environnementales concernant toute la planète et tous les êtres vivants qu’elle abrite.
Aujourd’hui, il est impossible de dire si Poutine fera appel à l’arme nucléaire contre l’Ukraine ou d’autres pays. Selon certains « experts », Poutine « dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit », ce qui est manifestement exagéré. Toutefois, le fait qu’il ait annoncé, de manière certes ambigüe, qu’il pourrait faire appel à cette arme, constitue une annonce « gratuite » (c’est-à-dire non effectuée en réponse à une attaque en cours mais seulement face à une possibilité) sans précédent. Elle change fondamentalement et définitivement (car ce qu’un État aura fait, d’autres États pourront le faire) la donne concernant l’ensemble de la doctrine de la dissuasion nucléaire. Une telle doctrine ne peut tenir, certes sur le fil du rasoir, que tant que tous les pays détenteurs de cette arme « jouent le jeu ». Il suffit qu’un seul pays annonce publiquement être susceptible de sortir des clous pour que tout le château de cartes s’effondre ‒ même si cette menace reste cette fois-ci sans conséquence : cette annonce constitue une fin de partie irréversible pour la dissuasion nucléaire.
Face à une telle annonce, répondre comme l’a fait un ministre français que la France aussi possède des bombes nucléaires n’est pas plus dangereux en soi que de ne rien dire : c’est tout simplement ridicule, puéril et niais. Comme si Poutine ne le savait pas ! Mais l’annoncer revient à s’engager à employer à son tour l’arme nucléaire dès que la Russie l’aurait fait, c’est-à-dire continuer à adhérer à une doctrine qui a été d’ores et déjà réduite à néant par la provocation de Poutine.
Certains commentateurs et « experts » commencent à finasser et à distinguer deux sortes d’emplois possibles de l’arme nucléaire, « tactique » (à portée locale) et « stratégique » (à portée internationale). Cette distinction est entièrement artificielle et n’a pas lieu d’être dans la logique de la doctrine de la dissuasion nucléaire, qui exige une réponse immédiate et massive à tout emploi du nucléaire militaire – ou bien il faut simplement comprendre que, contrairement à ce que suggérait Le Drian, on est déjà disposé à abandonner celle-ci une fois qu’on est au pied du mur ! Du point de vue des intérêts des populations et de l’humanité dans son ensemble, ce ne serait du reste certainement pas la pire solution ! Mais dans ce cas, le mieux ne serait-il pas de ne rien dire plutôt que de bavarder ?
On peut gloser à l’infini sur le fait qu’annoncer que l’on ripostera ou non de manière nucléaire à tout emploi par la Russie d’armes nucléaires pourrait agir comme un blanc-seing, un encouragement pour Poutine à y avoir recours. Il n’est en fait pas exclu que celui-ci ait déjà pris cette décision, comme il avait pris celle d’envahir l’Ukraine sans préavis et sans ultimatum. Ce qui est déterminant dans ce cas, et ce qui restera inconnu de tous sauf lui-même jusqu’à son éventuelle décision de passer à l’acte, c’est jusqu’à quel point il serait prêt à « sacrifier » une partie importante de la population de son pays pour détruire ou fortement endommager les pays impérialistes occidentaux (USA et Communauté Européenne) et peut-être d’autres, et renvoyer tout le monde à l’âge de pierre.
Notons que, jusqu’à présent, la « communauté internationale » n’avait pas considéré la Russie comme le pays « le plus dangereux » en matière nucléaire, dans la mesure où ce pays est signataire des traités TNP (traité sur la non-prolifération des armes nucléaires), SALT I (traité sur la limitation des armes stratégiques) et ABM (traité concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques). La palme de l’opprobre et de la crainte face à leur détention d’armements nucléaires revenait jusqu’ici aux pays de l’« axe du mal » de Bush, Corée du Nord en tête, et incluant même des pays comme l’Iran qui pour le moment ne semblent pas encore disposer de cet armement. Notons également que, toujours jusqu’à présent, aucune organisation ou aucun État « terroriste » n’a fait appel au nucléaire pour des agressions, et ceci manifestement par choix, pas par incapacité à le faire : le 11 septembre 2001, il aurait été tout aussi possible de lancer des avions détournés sur une centrale nucléaire que sur des tours au cœur de New York ou sur le Pentagone.
Jusqu’à présent, le seul pays qui ait utilisé l’arme atomique directement contre des villes dans un conflit reste les USA. On peut y ajouter le fait que, bien qu’il ne s’agisse pas d’armes nucléaires telles qu’on les conçoit habituellement, ce sont également les USA qui depuis 1990 ont fait usage d’uranium appauvri pour perforer les blindages, au Koweit, en Irak et au Kosovo. Toutefois, tous les pays qui disposent d’un arsenal nucléaire (à ce jour, les USA, la Russie, le Royaume Uni, la France, la Chine, Israël, l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord) peuvent se vanter d’avoir contribué à l’augmentation de la radioactivité terrestre et atmosphérique à travers leurs essais, qui ont eu notamment des répercussions directes sur les populations des pays ou régions où ils ont été effectués (150.000 personnes concernées par les essais français dans le Sahara et le Pacifique de 1960 à 1996).
Comme l’histoire est écrite par les vainqueurs, jusqu’à présent les USA ont veillé à ce qu’Hiroshima et Nagasaki n’aient été considérés ni comme des crimes de guerre ni comme des crimes contre l’humanité, et le nom de Truman n’est pas officiellement associé à ces caractérisations. Poutine sera-t-il le premier chef de gouvernement à l’être, en recourant plus de 70 ans après au feu atomique dans un conflit, soit par l’emploi direct d’armes nucléaires soit en suscitant un accident majeur dans une centrale nucléaire ukrainienne ?
Le nucléaire « civil »
La distinction ente nucléaires « civil » et « militaire » est largement artificielle, ceux-ci constituant plutôt les deux branches ou les deux mamelles d’une même d’une « civilisation de l’atome » née en 1945, comportant une industrie s’appuyant sur les mêmes matières premières et les mêmes technologies, produisant les mêmes déchets, générant des radiations mortifères, et se nourrissant l’une l’autre, le plutonium étant l’un des dérivés de l’activité des centrales civiles, et impliquant en cas de conflit ou d’accident le recours à un contrôle militaro-policier de l’ensemble de la société.
Le nucléaire civil est porteur d’accidents, inéluctables à long terme quelles que soient les précautions prises, et ceci particulièrement dans le cadre d’un régime capitaliste faisant comme de juste des économies de bouts de chandelle sur la gestion et la sécurité (en employant beaucoup de sous-traitants, intérimaires et « saisonniers », moins coûteux que des personnels titulaires compétents).
Les accidents majeurs dans les centrales nucléaires, qui peuvent être de diverses natures (explosion, fusion) libèrent des produits radioactifs en partie différents de ceux des explosions atomiques militaires, agissant plus par ingestion (respiration, alimentation) que par exposition à des rayonnements externes, mais ne sont pas moins redoutables. L’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique) et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) qui s’appuie sur elle pour tout ce qui concerne les pathologies liées au nucléaire, ont délibérément sous-estimé les conséquences sanitaires des accidents nucléaires, notamment ceux de Tchernobyl et Fukushima, par exemple en ignorant totalement les données démographiques qui indiquent que des centaines de milliers de fœtus humains sont morts dans les mois précédant leur naissance, des suites d’irradiations de leurs mères en Europe orientale et centrale, phénomène que l’on a retrouvé également au Japon après Hiroshima et Nagasaki, et même en absence d’accidents à proximité des centrales nucléaires occidentales, où des fuites « bénignes » de radiations se produisent régulièrement : c’est que, concernant les effets pathogènes, cancérigènes, tératogènes et mutagènes des radiations, il n’existe aucun « seuil » de « faibles doses » au-dessous desquels les radiations n’auraient plus de nocivité (contrairement à ce que prétendent les autorités, qui ont fixé de tels seuils, susceptibles d’être relevés en cas d’accident, comme ce fut le cas à Tchernobyl et Fukushima). Même en l’absence d’accidents, le nucléaire civil pose des problèmes insurmontables concernant le traitement des déchets et le stockage des « déchets ultimes ». Enfin, tout comme le nucléaire militaire, le nucléaire civil s’appuie sur l’extraction et le transport de minerai d’uranium, qui n’existe en quantité exploitable que dans quelques pays : l’uranium utilisé dans le parc nucléaire français provient principalement du Canada, du Kazakhstan et du Niger, où Orano (ex-Areva) exploite la mine d’uranium la plus importante d’Afrique dans des conditions catastrophiques pour l’environnement et en exerçant un quasi-contrôle sur le gouvernement du pays.
Depuis longtemps les opposants au nucléaire civil tiraient la sonnette d’alarme à l’égard des risques que font courir les centrales nucléaires aux pays qui les hébergent, celles-ci pouvant devenir des cibles choisies pour des actions terroristes ou des bombardements en cas de conflit entre États. La situation en Ukraine aujourd’hui confirme pleinement ces risques, notamment concernant la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus puissante d’Europe, et celle de Tchernobyl, toutes deux contrôlées aujourd’hui par l’armée russe. L’inquiétude causée par cette guerre concernant ces centrales ne se limite pas au risque de bombardement ou sabotage entraînant un accident nucléaire (dans le cadre d’une décision d’attaque nucléaire contre l’Ukraine) mais comporte aussi plus « simplement » celui d’un réchauffement, dû par exemple à un arrêt de l’alimentation électrique des piscines, des combustibles nucléaires usagés qui y sont stockés provisoirement, menant alors à la libération de leurs produits radioactifs. Bien entendu, dans le cadre d’un conflit militaire comme celui d’Ukraine, et selon la doctrine de la dissuasion nucléaire, un tel « accident » serait susceptible de donner lieu à une riposte militaire nucléaire, au même titre qu’un bombardement atomique.
Les risques que font courir à sa population tout pays hébergeant des centrales nucléaires, dénoncés depuis des décennies par de nombreuses associations et plus récemment par quelques partis politiques dits « de gauche » (mais pas tous, ceux issus du stalinisme restant de farouches sectateurs de cette industrie) sont sans commune mesure avec les bénéfices que ces centrales peuvent leur apporter. Quant à l’instrumentalisation du « réchauffement climatique » par Macron et d’autres, il s’agit d’une entourloupe inacceptable. Bien entendu, le nucléaire aussi contribue à l’émission de gaz carbonique, pour l’extraction et la transformation de l’uranium, son transport, la construction et le fonctionnement des centrales, leur démantèlement, la gestion des déchets, etc. De toute manière, confirmant les rapports précédents, le sixième rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat), publié en 2021 et 2022, établit qu’il est trop tard pour arrêter ce réchauffement, étant donnée l’inertie des phénomènes concernés et les interactions synergiques entre ceux-ci, sans parler de la possibilité de franchissement de « points de bascule » entraînant un emballement irréversible du processus. Si même aujourd’hui toute émission de gaz à effet de serre cessait miraculeusement (ce qui exigerait probablement l’extinction immédiate intégrale de toute l’espèce humaine), il faudrait des dizaines d’années pour observer une stabilisation des températures mondiales, et des siècles, voire des millénaires, pour revenir à une situation similaire à celle qui prévalait avant l’ère industrielle. Les conséquences de ces perturbations du climat sont et seront innombrables et variées, impliquant la diminution de la cryosphère (fonte des glaciers, de la banquise et du pergélisol), les événements climatiques extrêmes, la réduction des aires de répartition des espèces végétales et animales, la disponibilité des ressources en eau et en nourriture, la santé des humains, et les conséquences politico-sociales de ces effondrements (émeutes de la faim et de la soif, migrations climatiques et politiques, conflits régionaux et mondiaux), etc.
Ce n’est certainement pas en se contentant de cesser de chauffer les terrasses de cafés en hiver ou de réduire la longueur des emails en supprimant la signature et l’adresse à la fin que nous réduirons significativement le réchauffement climatique. Celui-ci résulte de l’ensemble du fonctionnement des sociétés humaines actuelles et de leur rapport à l’environnement et à la biosphère, et ne pourrait être réduit en substituant une mode de pollution et de destruction à un autre. Au point où nous en sommes rendus, après un siècle d’inaction face à des phénomènes identifiés depuis longtemps par les scientifiques mais sans que ceux-ci, par « optimisme aveugle » ou par inféodation aux pouvoirs, se soient donnés les moyens de « tirer la sonnette d’alarme » de manière audible par les populations humaines, la solution, si elle existe encore, ne peut se limiter à des mesures cosmétiques. Étant donnée la taille bien excessive de la population humaine mondiale par rapport aux capacités de la planète, les scénarios de « transition énergétique » comme ceux de négaWatt, qui s’appuient sur l’isolation des bâtiments, la promotion des circuits courts ou le recours aux énergies renouvelables, qui vont certes dans le bon sens, resteront insuffisants tant que leur objectif sera de maintenir les modes de vie actuels. Des mesures d’extrême urgence devraient être prises, comme la suppression immédiate de toute publicité, la réduction drastique (de 90 % ou plus) du parc de voitures individuelles mondiales, des vols aériens, du transport maritime, de quantités de productions industrielles non indispensables (par exemple destinées aux loisirs), de transfert et téléchargement de documents lourds par internet, mais aussi de nombreuses activités humaines considérées comme « incontournables », telles que les méga-événements sportifs internationaux, le tourisme mondial de masse, l’illumination des villes, etc. Une telle transformation des rapports entre les sociétés humaines et la biosphère est totalement inenvisageable dans le cadre d’une société dont le moteur est la recherche et l’optimisation de la plus-value. Elle exigerait de passer à une société gérée de manière rationnelle où les choix techniques, industriels, économiques et de modes de vie en général seraient déterminés en fonction des besoins de l’ensemble des humains, et pas des désirs et appétits d’une minorité au pouvoir. En d’autres termes, elle exigerait de sortir intégralement du capitalisme, pas d’« amender » et « améliorer » celui-ci, ce qui exigerait d’arracher le pouvoir à cette minorité et de passer à une organisation sociale fondamentalement différente, pour laquelle les termes de socialisme et de communisme seraient appropriés, si du moins ils étaient détachés de leurs « incarnations réelles » tout au long du siècle qui précède.
En attendant cette sortie du capitalisme, et tout en s’organisant pour la rendre possible et inéluctable, il n’y a pas photo : entre un réchauffement climatique aux conséquences destructrices et éventuellement catastrophiques pour nombre d’écosystèmes et de populations humaines, y compris l’effondrement de notre civilisation actuelle, mais n’entraînant pas automatiquement la fin de l’espèce humaine, et la possibilité d’un cataclysme mondial entraînant l’extinction de toute vie sur terre, causé par une conflagration nucléaire résultant de la mise en œuvre de la doctrine de la dissuasion nucléaire, le moins mauvais choix est sans nul doute le premier. C’est pourquoi l’abandon de cette doctrine devient aujourd’hui la première priorité pour l’humanité, ce qui n’interdira pas par ailleurs de tenter de réduire autant que faire se peut l’impact sur la biosphère et les populations humaines des agressions que la société capitaliste leur a fait subir, surtout depuis un siècle, et leur fait subir aujourd’hui plus que jamais, malgré toutes les bonnes paroles des gouvernants en place.
L’attitude du mouvement ouvrier
La « dissuasion nucléaire » fut imposée, avec la complicité passive ou active, selon les cas et les époques, des dirigeants du mouvement ouvrier mondial et de tous les « démocrates » et « progressistes », aux peuples du monde entier lors de la guerre froide, et lui a survécu (cherchez l’erreur). Selon cette doctrine, toute agression nucléaire d’un pays vis-à-vis d’un autre doit aboutir « automatiquement » à une riposte elle-même nucléaire. Le combat contre cette fausse logique de « la guerre qui ne peut avoir lieu » n’a jamais fait l’objet d’une mobilisation massive des travailleurs et des peuples, prisonniers et otages de leurs gouvernements, qu’ils soient « occidentaux » ou staliniens, et de leurs organisations syndicales et politiques qui n’ont jamais fait de cette exigence une question centrale et incontournable.
En France, le MCAA (Mouvement Contre l’Armement Atomique), fondé en 1963 par Pierre Bourdet et Jean Rostand, s’opposait à tout armement atomique et à tout essai nucléaire, et se prononçait pour le démantèlement de tous les arsenaux nucléaires, pour des mesures unilatérales de désarmement, et de dissolution des blocs militaires. Bien qu’il fût associé sur le papier à divers mouvements, associations, partis politiques (PSU, PCF, SFIO, parti radical) et syndicaux (CGT, FEN, UNEF), qu’il eût participé à de nombreuses manifestations et soutenu un candidat (René Cruse) opposé à la « force de frappe » aux élections législatives de 1967, son influence politique réelle resta toujours très restreinte et son nombre de membres ne semble pas avoir dépassé les 6 à 7000 membres. Il fut dissout en 1996 après le décès de son principal fondateur. En 1972, le Programme Commun de gouvernement de la gauche annonçait encore son intention de renoncer à la force de frappe et d’arrêter les essais nucléaires, mais, dès 1977, le PCF se prononçait pour la force de frappe et était bientôt rejoint par le PS. Depuis, la « gauche » française est restée sur cette position. Il est difficile de ne pas mettre en relation la position du PCF de son étroite dépendance vis-à-vis de l’URSS, engagée dans la « dissuasion nucléaire ».
Il existe ou a existé d’autres mouvements pour le désarmement nucléaire dans le monde, comme le CND (Campaign for Nuclear Disarmament) de Bertrand Russell au Royaume-Uni, mais ils n’ont pas eu plus d’impact réel sur la situation.
Devant la faiblesse et l’irrésolution de la « société civile », et plus encore, si l’on peut dire, du mouvement ouvrier français et international pour combattre la constitution, tout d’abord dans deux, puis quatre, puis d’autres pays, d’arsenaux nucléaires gigantesques, susceptibles de détruire toute vie sur terre, la seule action concrète fut celle des États concernés eux-mêmes, sous la forme de divers « accords de désarmement » à la portée très limitée comme SALT, ou d’accords plus contraignants, mais n’impliquant aucune puissance nucléaire, comme le TIAN (Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires) des Nations Unies. Malgré tous ces beaux textes, la prolifération nucléaire n’a jamais cessé, les arsenaux nucléaires ont continué de se développer et moderniser, et sont actuellement plus que suffisants pour sceller définitivement le sort de l’humanité, car l’hiver nucléaire et l’irradiation massive de l’ensemble de la planète qui en résulteraient auraient de grandes chances d’aboutir à l’extinction de la majeure partie de la vie sur le globe, et notamment de tous les vertébrés dont l’homme.
La logique de la dissuasion nucléaire repose uniquement sur l’idée « rationnelle » qu’aucun État ne serait assez « fou » pour se saborder afin d’entraîner ses ennemis dans l’abîme. Elle repose sur l’existence permanente d’une menace mutuelle que chacun considère comme ne devant jamais être mise à exécution. Face à Poutine aujourd’hui, cette menace n’a plus aucune pertinence (si elle en a jamais eu) et la stratégie de la dissuasion nucléaire est devenue obsolète. Si les USA, l’Angleterre et/ou la France réagissaient à une attaque nucléaire russe par une riposte atomique, suscitant une nouvelle réponse russe (depuis la terre, la mer ou l’espace), l’engrenage irréversible menant à l’apocalypse nucléaire mondiale serait enclenché.
Ce n’est pas après la première frappe nucléaire russe que les peuples pourront empêcher leurs gouvernements de riposter à celle-ci par d’autres frappes nucléaires et d’enclencher cet engrenage irrévocable : c’est aujourd’hui.
Quelle force sociale pourrait-elle le faire ? Peut-on attendre des gouvernements actuels de tous les pays de la planète, qui n’ont jamais réellement agi pour un désarmement nucléaire mondial sans condition, qu’ils changent brusquement d’attitude ? Autant attendre d’eux qu’ils suppriment la Bourse, la spéculation, l’exploitation de l’homme par l’homme, les armées, les polices.
Seules des forces indépendantes des États et au service de l’humanité dans son ensemble, pas d’une minorité de celle-ci, seraient susceptibles de le faire. Ces forces sont principalement constituées du mouvement ouvrier et de ses alliés. C’est dès aujourd’hui que le mouvement ouvrier et toutes les forces démocratiques et humanistes, que les peuples, devraient se dresser massivement (par des pétitions, des manifestations, des grèves, jusqu’à la Grève Générale) et exiger de leurs gouvernements de s’engager à ne pas répondre à une attaque nucléaire russe par des ripostes nucléaires, à démanteler sans délai leurs arsenaux nucléaires, et à se retirer de toutes les alliances militaires. Une telle orientation serait nécessairement associée à d’autres revendications mettant en cause l’État, et la mobilisation pour les faire triompher serait porteuse de la perspective de la mise à bas du système politico-social capitaliste et impérialiste mondial, dont l’existence même des arsenaux nucléaires est une des expressions les plus inhumaines. Les mots d’ordre suivants répondraient à cette exigence : « Non à toute riposte nucléaire, à Poutine ou d’autres dirigeants ! Démantèlement unilatéral, sans condition et sans délai, de tous les arsenaux nucléaires ! À bas toutes les blocs militaires ! Halte au nucléaire civil ! À bas tous les impérialismes ! Révolution socialiste ou barbarie ! »
Bien entendu, l’unanimité se fera pour dire que le présent texte est l’expression d’une naïveté et d’un utopisme hallucinants et inexcusables. Rien n’est plus vrai. Mais croire que notre civilisation, sinon notre espèce, pourra survivre à la guerre d’Ukraine de 2022 si le conflit devient nucléaire est celle d’un aveuglement encore plus criminel.
Un choix de vingt références bibliographiques
Belbéoch, B. & R. (1993) Tchernobyl, une catastrophe : quelques éléments pour un bilan. Allia.
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Alain Dubois
13 mars 2022
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https://blogs.mediapart.fr/alaindubois/blog/130322/dissuasion-nucleaire-clap-de-fin-0
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