Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier
25 Juin 2025
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Siyavash est un écrivain et journaliste indépendant iranien qui est actuellement réfugié à Athènes en Grèce. Il écrit régulièrement sur l'Iran, le Moyen Orient, Sri Lanka, les réfugiés en Europe et les religions, notamment dans les blogs The Freethinker <https://freethinker.co.uk/author/siavash-shahabi/> et The Fire Next Time <https://firenexttime.net/whats-happening-in-iran-a-question-with-no-easy-answer>. Ses réflexions sur la situation actuelle en Iran méritent d'être lues. [Les paragraphes soulignés l'ont été par mes soins].
Alain Dubois
25 juin 2025
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Hier soir, j'ai enfin entendu la voix de mon frère et de ma sœur. Mon frère m'a même envoyé une vidéo, souriant avec sa famille. Mais sa voix… c'était la voix fatiguée d'un homme qui avait quitté Téhéran et qui était revenu comme si de rien n'était. Il m'a dit : « Tu ne peux pas laisser ton travail et ta vie derrière toi ! » Et je n'arrêtais pas de me demander : que signifie vraiment la « vie » au milieu des bombes et de la fumée ?
Deux de mes cousins travaillent dans des hôpitaux à Téhéran, où les patients peinent à respirer sur leurs lits et où le bruit des explosions résonne à travers les murs. Ils ont dit qu'ils ne partiraient pas : « Où pouvons-nous aller quand les patients ont besoin de nous ? » Mon autre cousin a dit : « Siyavash, j'ai un patient dialysé ! » Et j'ai pensé aux patients de Gaza morts aux premiers jours de la guerre faute de médicaments et de matériel.
En entendant tout cela, quelque chose se brise en moi. Je ferme les yeux et me retrouve soudain de retour – sous l'escalier ou au sous-sol. J'étais enfant, pendant la guerre Iran-Irak. Je me souviens que ma mère nous prenait les mains et criait : « Courez ! » Je n'avais que 4-5 ans. Les cris des femmes se mêlaient au bruit des bombes… nous avions appris à l'époque qu'on ne meurt pas qu'une fois. Et maintenant, après toutes ces années, mon frère court d'une rue à l'autre, sa fille de quatre ans dans les bras.
L'histoire ne se répète pas. Elle continue, car personne ne l'a jamais arrêtée.
J'ai passé huit ans en exil, dans ce petit appartement sombre d'Athènes, à essayer d'expliquer que la guerre ne se résume pas à des missiles et des explosions. La guerre grandit à l'intérieur des gens. C'est une sorte de malaise de l'âme. C'est ce sentiment d'impuissance qu'on ressent quand on ne peut pas serrer sa mère dans ses bras, quand on ignore ce que pense son père, ni même s'il est en sécurité.
Et étrangement, les mêmes personnes qui criaient « Non à l'OTAN » à mon arrivée à Athènes se taisaient soudain dès qu'on parlait de l'Iran. C'était comme si leurs bouches s'ouvraient et se fermaient selon la partie du monde dont on parlait – et non pas de la vérité ou de l'humain. Chaque fois que j'essayais d'expliquer cela, je me heurtais au silence. Comme si être contre la République islamique signifiait automatiquement soutenir les bombes qui tombent sur sa ville. Comme si on restait assis là, à attendre que quelqu'un balance la démocratie à Téhéran avec un avion de chasse F-35.
Le chancelier allemand a déclaré : « Israël fait le sale boulot pour nous tous. » D'une honnêteté brutale. Mais d'autres aussi tentent de trouver un sens à ce « sale boulot ». Certains disent que cette guerre pourrait faire tomber le régime islamique. D'autres espèrent que l'Iran vaincra Israël. Mais les deux camps semblent avoir oublié le peuple. Ils ont oublié des gens comme mon frère, sa fille, des gens comme moi, et nous ont simplement transformés en statistiques ou en instruments de leurs arguments.
Soyons honnêtes : le régime islamique ne peut même plus défendre le pays. Ses missiles ? Ce n'est pas une vraie défense. Ce n'est qu'un spectacle. Encore une salve symbolique pour protéger la face d'un État en train de s'effondrer. Ils ont même « attaqué » une base américaine et avaient déjà annoncé tous les détails à l'avance ; la salle était donc vide.
Personne ne pense aux gens. Tout comme à Gaza. Tout comme à Kaboul, Sanaa ou Khartoum. Nos vies ne comptent pas pour eux. Ils ont des missiles, ils ont du pouvoir, mais pas de mémoire, pas de responsabilité.
Et à vous, en Occident, confortablement installés dans des cafés, à écrire des théories et des opinions sur nous : honte à vous. Vous n'aviez aucune réponse pour la Palestine non plus. Ni pour l'Afghanistan. Ni pour la Syrie. Ni pour nous. Si vous vous en souciez vraiment, allez combattre vos propres gouvernements. Changez les pouvoirs dans vos propres pays. Parce que nous ne serons pas sauvés par vos publications Facebook, vos tweets, votre musique ou vos danses sur les places publiques.
Je ne suis même plus déprimé. La dépression appartient à ceux qui gardent encore espoir. J'ai dépassé ça maintenant. Je reste assis tranquillement, la main posée sur la table, et j'écris. Parce qu'écrire est tout ce qui me reste. Parce que peut-être, juste peut-être, le cri de cet enfant – la voix de la fille de mon frère – traversera ces mots un jour, et quelqu'un l'entendra enfin.
+ Et juste au moment où la nouvelle du cessez-le-feu est tombée, j'ai vu une autre nouvelle : la condamnation à mort de Pakhshan Azizi a été confirmée. C'est ça la République islamique. C'est ça le visage du fascisme. Alors, allez-y, continuez d'attendre que le fascisme fasse le sale boulot à votre place.