13 Janvier 2019
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A en croire les médias, le puissant mouvement de révolte sociale des Gilets Jaunes trouverait son expression la plus pure dans la demande de RIC. Or cette demande n’est apparue que très tardivement dans ce mouvement, dont les deux exigences centrales ont toujours été, et restent, la démission de Macron et la redistribution des richesses. Le RIC est un contrefeu à ces exigences, qui tente de faire croire que ce gadget permettra de les satisfaire. La demande de RIC est soutenue dans tout l’éventail politique, ce qui suffit à la rendre suspecte. Les individus (journalistes, ‘intellectuels’, militants, etc.) et les groupes (associations, syndicats, partis, etc.) qui mettent en avant cette revendication mais taisent l’exigence du départ de Macron et du gouvernement Macron-Philippe-Benalla et celle d’une Constituante pour sortir de la Ve République bonapartiste, contribuent à faire prendre des vessies pour des lanternes. Il n’y aura pas de réponse à l’exigence de redistribution de richesses autre que la sortie du capitalisme. Détourner l’attention de cette perspective revient à s’arc-bouter pour la défense de ce dernier et de ses exécutants.
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Tout ça pour ça !
Deux mois d’intense lutte sociale pour aboutir à une floraison de déclarations en faveur du RIC, le ‘référendum d’initiative citoyenne’, ce hochet, ce gadget, qui n’a bien entendu aucune chance d’aboutir, car trop abstrait pour les ‘citoyens’ et trop potentiellement dangereux pour le pouvoir. On croit rêver quand on lit le titre de l’un de ces billets, publié sur Mediapart: ‘Le RIC: des citoyens, non pas manipulés mais informés décident’. Il s’agit là, bel et bien, de manipulation de l’opinion : depuis quand est-il prévu que les RIC, s’ils voient le jour, décideront quoi que ce soit ? Ils proposeront éventuellement, mais dans la Ve République, c’est le Président, et lui seul, qui décide.
Le texte en question évoque l’idée d’établir un ‘rapport de forces’, ce qui sonne un peu plus réaliste qu’une ‘demande’ adressée à l’exécutif, mais s’il s’agit d’établir un rapport de forces, pourquoi se donner cet objectif réformiste mou, pourquoi pas un mot sur la Constitution bonapartiste de la Ve République, sur la revendication d’une Assemblée Constituante, d’une VIe République ?
La proposition du RIC préserve la Constitution de la Ve République, avec les pouvoirs absolus du Président dans de nombreux domaines, l’Article 49-3, le Parlement croupion n’ayant comme fonction que de bavarder mais aucun pouvoir réel. On est bien en-deçà des revendications avancées par plusieurs candidats à la présidentielle, qui pourtant n’avaient rien de révolutionnaire !
Que d’illusions, d’énergie perdue, et de préparation soigneuse, une fois de plus, de désillusions à venir...
La meilleure manière de soutenir les Gilets Jaunes est de les aider à faire progresser leur niveau de conscience politique et pas de les enfoncer dans leurs illusions entretenues par les médias aux ordres du pouvoir.
Il est clair qu’ils ne peuvent compter sur les syndicats ni sur aucun parti institutionnel. Y compris les ‘Insoumis’ qui ont été absents et lamentables dans cette lutte comme déjà dans celles de la loi travail et du statut des cheminots, en ne préparant, n"organisant et n’appelant nullement à la Grève Générale, sous prétexte que celle-ci ‘ne se décrète pas’ ‒ mais en n’hésitant pas à ‘décréter’ en revanche qu’il fallait simplement manifester, malgré l’échec prévisible de cette stratégie. A l’époque c’était clairement parce que pour eux les préoccupations électoralistes (pour la présidentielle) l’emportaient dans leurs motivations, et qu’il leur fallait apparaître ‘responsables’ et ‘présentables’. Il en va de même aujourd’hui dans la perspective des élections européennes. Patatras : ironie de l’histoire, les colères hystériques de leur leader ont réduit à néant cette tentative de se donner une image ‘respectable’! En tout cas il n’est pas interdit de penser que le succès des GJ traduit le fait que, si des organisations ouvrières avaient alors appelé à la Grève Générale comme certains le demandaient, celle-ci aurait répondu à un besoin profond et aurait pu être un succès. Quoi qu’il en soit, depuis l’échec de la candidature Mélenchon à la présidentielle, dont les ‘trois petits cochons’ Hamon, Poutou et Arthaud portent la principale responsabilité, la patiente et remarquable construction pendant des années par Mélenchon et ses amis d’une force politique réelle au service des exploités et contre les exploiteurs, que nous attendions depuis des décennies, s’est peu à peu effritée, puis lézardée, et se prépare à l’implosion. Vae victis !
Le RIC est un contrefeu habile du pouvoir et de ses laquais aux deux demandes amplement dominantes des GJ: (1) Macron démission et (2) redistribution des richesses. Or ce dernier point exige de sortir du capitalisme qui n’est pas réformable, comme le prévoyait le marxisme et comme deux siècles d’histoire mondiale l’ont démontré. Donc les amener à comprendre la nature hautement politique du mot d’ordre soi-disant ‘apolitique’ de la redistribution des richesses, ce à quoi le mot d’ordre de la Constituante pour une VIe République peut contribuer ‒ sans illusion sur la possibilité que la Ve République puisse accepter de se saborder. Ce qu’en lutte des classes on appelle un mot d’ordre ‘de transition’. Tandis que, que ce soit en matière de revendications sociales comme écologiques, l’attitude résolument réformiste des partisans du RIC qui ne parle ni de la démission de Macron et du gouvernement Macron-Philippe-Benalla ni de la constitution bonapartiste de la Ve République, donc arc-boutée sur la défense de ce président, de ce gouvernement et de cette constitution, ne peut contribuer à faire ‒ mais seulement à nourrir les illusions et à préparer les défaites amères.
Dans ma lointaine jeunesse, la société qui nous apparaissait comme un modèle à suivre était celle de la Commune de Paris. Quel crève-coeur de voir qu’aujourd’hui le modèle qu’on nous offre est celui de la Suisse, le pays des banquiers, des actionnaires et de l’évasion fiscale !
Quant aux revendications avancées par (ou plus exactement pour) les GJ, par exemple sur l’ISF, elles sont justifiées mais bien insuffisantes pour pouvoir répondre aux attentes des GJ eux-mêmes en matière de répartition des richesses. Si rien n’est dit sur la Bourse, sur les dividendes versés aux actionnaires, et au-delà sur notre système économico-social dont le moteur est le profit (la plus-value) et pas les besoins humains, on reste tout de même dans le rêve éthéré. Ne serait-il pas enfin nécessaire de jouer un rôle pédagogique en expliquant le fonctionnement du capitalisme, la nature de la lutte des classes, et le fait qu’il n’y aura pas de solution aux problèmes sociaux et politiques, mais également ‘écologiques’ et ‘sociétaux’, de l’humanité sans sortir du capitalisme ?
En attendant, bonne année aux lectrices et lecteurs de L’Herbu !