L'Herbu

Le blog d'Alain Dubois, Saturnin Pojarski et Augustin Lunier

Fin de partie

Paris, 11 janvier 2020

Paris, 11 janvier 2020

L'affaire est pliée. Quelle que soit l'ampleur de la colère, Macron, le MEDEF, l'Europe, donc les USA et "les marchés" l'auront une fois de plus emporté, ce n'est plus maintenant qu'une question de jours. Après la loi travail, après le statut des cheminots, après les gilets jaunes, tout cela aura été pour rien - ou du moins le seul résultat tangible aura été l'augmentation du sentiment de défaite, d'impuissance et de désespoir chez 90 % des français, qui ont très bien compris que cette "réforme" est une abjection. En fait, la colère devrait être tournée avant tout contre les états-majors syndicaux et politiques. Ils "acceptent" (ou précèdent) tous les termes dans lesquels les journalistes-collabos présentent le "débat": âge pivot, pénibilité, valeur du point, conférence de financement, régimes spéciaux... Ils parlent tous de la nécessité d'une "bonne réforme". Ils continuent tous de s'asseoir aux tables de "négociation", et bientôt ils le feront "branche par branche". Ils continuent à appeler à des "temps forts" de l'action, à des "journées d'action", à des grèves d'un jour, et surtout à des manifestations pour-se-faire-plaisir et pour évacuer la colère, et nul d'entre eux n'appelle à la Grève Générale. S'ils n'appellent pas déjà à la reprise du travail, c'est seulement parce qu'ils ne peuvent aller trop vite, étant donné le niveau de mobilisation. C'est cela qui est à vomir, et pas le fait que le patronat et les actionnaires veuillent casser tous les acquis sociaux - car ils l'ont toujours voulu et ne s'en sont jamais cachés, mais pour cela il leur fallait, non pas un "gouvernement assez fort pour ça", car ce gouvernement n'est fort que de la nullité des directions ouvrières et démocratiques, non pas de directions assez fortes pour dévoyer et casser ce puissant mouvement populaire qui se cherche depuis des années, car ces directions syndicales et politiques sont en pleine déliquescence, mais de l'absence de toute alternative politique crédible pour prendre le pouvoir.

Dans un de mes billets j'avais écrit que la lutte des classes est la seule guerre dans laquelle les généraux des deux armées appartiennent au même camp, celui des nantis et des exploiteurs. Et cela a été ainsi presque tout le temps depuis le début du 20e siècle. Cette formulation avec les deux armées et leurs généraux est très juste et percutante, quasiment "évidente", mais je ne me souviens pas de l'avoir lue quelque-part, pourtant cela ne peut pas ne pas avoir déjà été dit ou écrit. Merci d'avance à celle ou celui qui nous donnera une référence où cette idée figure.
 
Très juste également fut ma formulation, juste après la dernière présidentielle, des "Trois Petits Cochons et du Grand Méchanlon". Cette marionnette falote de Hamon a réussi à faire capoter la seule ouverture possible vers un changement drastique de la situation dans la lutte des classes en France qui se soit présentée depuis des décennies en France grâce à l'invraisemblable affaire Fillon. Il y a des moments brefs dans l'histoire où tout peut basculer mais il faut le saisir. L'incapacité à le faire au bon moment peut avoir des conséquences sans commune mesure apparemment avec "l'erreur". L'exclusion de Levi du PC allemand après l'insurrection manquée de 1919, l'hésitation de Trotsky à attaquer Staline au comité central car il voulait attendre la guérison de Lénine (racontée par Broué dans un de ses livres), le refus d'Allende d'armer le "pueblo unido" qui "jamas sera vencido' (mon cul), et des multitudes d'autres hésitations et retards à l'allumage ont eu des conséquences disproportionnées. Pourquoi? Parce que, pour reprendre la parabole des deux armées, la seule qui sait vraiment où elle va et ce dont elle a besoin, la seule qui ne fonctionne pas en fonction d'idéaux creux et de fables bisounoursiennes (c'est-à-dire chrétiennes déguisées) sur la "solidarité", la citoyenneté, le peuple, la démocratie, la fête, le refus du pouvoir, mais en termes militaires d'affrontement, la seule qui en fait ait une vraie analyse matérialiste, et de fait marxiste, est la bourgeoisie. Bien entendu, il n'y a aucune illusion à se faire sur ce que le "social-démocrate radical" Mélenchon aurait fait, ou peut-être plus exactement aurait voulu faire, s'il avait été élu, mais son élection aurait ouvert, même contre son gré, une nouvelle phase de l'histoire du capitalisme et de la lutte des classes à l'échelle de la planète (la fameuse "planète" qu'il faudrait soi-disant sauver alors qu'elle va très bien, car elle n'en a rien à foutre de la biosphère et de l'humanité).
 
Nous avions raison dès les années 60: ce qui manque à l'humanité, ce sont les partis et l'internationale révolutionnaire. Toutes les autres masturbations intellectuelles sur "les luttes", sont de la poudre aux yeux. Mais même l'appel purement verbal à cette perspective, sans parler de la préparer matériellement, a disparu des radars. C'est pourquoi le collapse est inévitable, et pas à cause de la "frilosité" des gouvernants et de leurs opposants, auxquels s'adressent respectueusement tous les "écolos" et autres "alternatifs", pour leur demander de bien vouloir, si ça ne les ennuie pas, "changer le système" - au lieu de s'organiser et se battre résolument pour leur arracher le pouvoir.
 
Alain Dubois
11 janvier 2020
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U
Cher M. DUBOIS, moi-même syndicaliste de base je suis le premier à me méfier des bureaucraties syndicales, mais là je ne vois pas bien ce qu'on peut reprocher aux directions syndicales de FO, CGT ou SUD (FSU, c'est une autre histoire...) ? Depuis la rentrée de septembre dernier, ces syndicats sont mobilisés pour expliquer et dénoncer la réforme, pour mobiliser tous les secteurs, pour préparer la grève et la mobilisation générale... Cela a abouti à une grève historique de plus de 40 jours dans les transports publics, relativement suivie aussi dans certains secteurs des services publics, beaucoup moins ailleurs... Peut-être faut-il envisager une explication un peu plus simple à ce (relatif) échec de la mobilisation : tout simplement que les salariés de ce pays n'ont pas su/pu/voulu suivre le mouvement... Je sais de quoi je parle, travaillant dans un établissement public où les agents sont pourtant relativement massivement syndiqués, le mouvement n'a pas pris (mis à part les 2 ou 3 jours de manifs), les collègues soutiennent les grévistes RATP/SNCF mais sont trop mal payés (entre 1200 et 1500€ nets, qui plus est en région parisienne) pour se décider à faire grève plus de 3 jours par mois. Et ce n'a pas été faute de discuter, essayer de convaincre... Cette paupérisation d'une partie croissante des salariés de base est générale. C'est une réalité, certes regrettable, mais très réelle. Endetté, acculé par les factures, tenté aussi par des biens de consommation toujours plus envahissants et tentants, le prolo en 2020 est aux abois, et pense parfois aussi à sa petite vie ici et maintenant (qu'on le veuille ou non)... Je ne dis pas ça par amertume ou par mépris, mais c'est un principe de réalité que je constate au boulot chaque jour, c'est tout.<br /> Cela dit, je ne pense pas que tout soit plié, tant qu'il y a une mobilisation et une détermination raisonnablement haute, tout n'est pas fini...<br /> Un agent public (7 jours de grève depuis le 5 décembre dernier)
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B
Bonjour Mr Dubois, juste avant d'en dire davantage dans un prochain billet-commentaire, deux ou trois petites réactions d'humeur :<br /> -internationale révolutionnaire , oui très bien : COMMENT VOUS FAITES ?<br /> -"écolos" et autres "alternatifs" : VOUS AVEZ UNE AUTRE ALTERNATIVE CREDIBLE à proposer, ou vous voudriez peut-être L'IMPOSER ? Comment vous allez procéder ?<br /> -arracher le pouvoir :AH BON ! Très bien : COMMENT VOUS FAITES ?<br /> En deux mots comme en cent, bien qu'enrôlé jeune dans le trotskisme "lambertiste", je ne peux plus adhérer à ce genre de propos ultra, répété jusqu'à satiété, pour de pseudo-lendemains qui tardent à venir ! <br /> Mais je vous promets d'y revenir bientôt en exposant d'autres arguments à l'appui de ces "brèves de comptoir".
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A
Bonjour et merci pour votre témoignage. Ce que vous dites sur les difficultés auxquelles les grévistes sont confrontés est tout à fait vrai et important. Ce n'est certainement pas à eux qu'on peut reprocher que tout soit "plié", comme je l'ai écrit: je serais ravi du reste que ce ne soit pas le cas, mais reparlons-en dans une semaine. . Quant à "ce qu'on peut reprocher" aux directions syndicales, cela tient en quelques mots: c'est de s'asseoir à la table des négociations avec ce gouvernement. Je ne crois pas à la distinction entre "syndicats réformistes" et "syndicats radicaux". Je pense que les directions des deux groupes se répartissent les rôles, mais que leur but est le même: empêcher que cette mobilisation remarquable par son importance et sa durée débouche sur sa conclusion logique: Macron démission! C'est pour la même raison qu'ils ont laissé les gilets jaunes face à l'Etat et sa police sanguinaire, qu'ils on refusé d'organiser la grève contre la loi travail puis contre la destruction du statut des cheminots, et qu'ils ne font rien pour réunir "les grèves" en une seule, la Grève Générale, avec un seul objectif: qu'ils s'en aillent tous! Le mouvement qui couve en France depuis des années est de la même nature que ceux qui se déroulent actuellement dans de nombreux pays, de Hong Kong au Chili, à l'Iran, l'Irak, etc. C'est une vague pré-révolutionnaire mondiale qui se cherche, qui veut se débarrasser du vieux monde, mais qui ne peut pas s'appuyer sur des organisations expérimentées et coordonnées, faute de quoi ces mobilisations risquent fort de finir comme les "printemps arabes": le remplacement de vieilles cliques par de nouvelles cliques. En France, le souci partagé par toutes les organisations est: comment éviter la chute de Macron, qui ouvrirait une période révolutionnaire dont tous les représentants du vieux monde, y compris les directions syndicales dites "radicales", ont une peur bleue. Mais pour réaliser le mot d'ordre"Macron démission", le préalable c'est pour la base de désavouer ces directions ou de leur imposer de quitter toutes les tables de négociation. Si tel était ou devenait le cas, alors là oui, tout ne serait pas plié. Reparlons-en dans quelques jours.
A
Merci pour votre réponse. <br /> Si je savais comment faire, d'autres le sauraient aussi. Or beaucoup l'ont déjà tenté sans y parvenir. Ce qui est clair pour moi, à la lumière de tout le siècle qui précède, c'est que la solution réformiste (dont le "mouvement écolo" est un avatar), s'appuyant sur l'éducation, les débats, les élections, etc., n'a mené nulle part. La solution révolutionnaire non plus? Tout à fait vrai. Mais, contrairement à la solution réformiste, at-elle été beaucoup mise en oeuvre dans le siècle qui précède? Quasiment plus depuis 1924, c'est-à-dire à partir de la prise en main du mouvement ouvrier mondial par le stalinisme, facteur historique principal de ce dernier siècle, prise en main dont ce mouvement ne s'est toujours pas relevé.<br /> <br /> Bien sûr qu'il faudra l'imposer!!! Vous croyez que le capitalisme moribond se dissoudra de lui-même? Au contraire, plus il sera menacé plus il va frapper, et dans ce domaine nous n'avons encore rien vu.<br /> <br /> Je lirai en tout cas avec intérêt le "billet-commentaire" que vous annoncez.