4 Septembre 2022
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Les voyages très coûteux et polluants sur la lune, puis sur mars, et la recherche spatiale en général, sont motivés avant tout par des objectifs militaires, policiers et commerciaux, et n’aideront en rien l’humanité à résoudre les problèmes gigantesques qui se posent à elle en raison de la destruction de la biosphère dont elle est responsable. Toute prise du pouvoir par des forces se souciant réellement du bien commun devrait immédiatement mettre fin à ces recherches.
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Les médias de tous poils nous abreuvent de messages faisant état de l’« enthousiasme » des populations, ou du moins de leurs fidèles publics, pour la relance des projets de « conquête de la lune, puis de mars », comme s’il s’agissait de programmes progressistes, utiles à l’humanité, lui permettant de résoudre les problèmes multiples et graves auxquels elle est confrontée suite à sa propre activité irresponsable dans le cadre du capitalisme mondial : guerres régionales, guerre en Ukraine et menaces de guerres ; crise climatique et ses conséquences ; crise de la biodiversité et ses conséquences ; crise sanitaire, covid et menaces d’autres pandémies ; crise de la science, de la connaissance et de la pensée ; crise énergétique ; crise alimentaire ; crise de l’eau ; migrations humaines massives imposées par ces crises ; crise politico-sociale généralisée, amenant les peuples du monde entier à se lever, de manière encore confuse, contre leurs gouvernements et pour la démocratie ; etc.
En France, les sectateurs de l’exploration de la lune, de mars, et de la recherche spatiale en général, bénéficient d’un avantage particulier : celui de disposer d’un sympathique porte-parole, ayant déjà fait plusieurs missions spatiales, suivies d’émissions audiovisuelles, de films et de livres, s’exprimant de manière simple, claire et modeste, bref un gendre parfait. Bien d’autres domaines en peine d’image positive, comme l’exécutif, la justice, la police et l’armée, le nucléaire militaire et civil, la finance, l’industrie pharmaceutique, le gaz de schiste, l’automobile individuelle, et bien d’autres, rêveraient d’un tel propagandiste, utilisé sans modération par les médias.
Cette recherche spatiale est considérablement coûteuse, un coût démesuré qui pèse largement, à travers les impôts, sur les populations des quelques pays où de telles recherches sont en cours. N’y aurait-il pas d’autres priorités plus urgentes pour ces populations, sur les plans sanitaire, alimentaire, de l’éducation, du logement et des transports, de la protection contre la crise de la biosphère, pour employer ces sommes gigantesques ?
Une des caractéristiques de cette recherche est sa dépendance vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Sans propulsion atomique, cette recherche serait impossible, aucune autre énergie actuellement maîtrisée par nos techniques n’étant susceptible de permettre de tels voyages hors de notre atmosphère. Donc le maintien et le développement de programmes d’exploration spatiale exigeront de maintenir des recherches avancées dans ce domaine, quels que soient les dangers que le nucléaire, qu’il soit militaire ou « civil », font et feront courir à notre propre survie.
Cette recherche est considérablement polluante, contribue à la dilapidation de ressources irremplaçables et au dérèglement climatique, pourtant il est clair qu’elle ne peut en aucune manière contribuer de manière significative à résoudre les problèmes évoqués ci-dessus. Il est légitime de se demander ce que pourraient apporter ces programmes à l’humanité en crise et en danger.
La première promesse que l’on nous vend est que ces programmes pourront nous fournir des informations considérables sur l’histoire et le fonctionnement de l’univers. Indéniablement, mais ces informations sont-elles urgentes et indispensables aujourd’hui ? Ne pourraient-elles attendre une période plus propice de notre histoire, si celle-ci doit se continuer, lorsque nous serons sortis de la période noire que vit actuellement notre planète, ses habitants de tous poils, plumes et feuilles, et nos sociétés ?
A moins que cette raison affichée n’en cache d’autres, moins brillantes et désintéressées, comme de rapporter des sommes colossales d’argent aux États et organismes impliqués dans cette « aventure » ? Ceci expliquerait que de puissants groupes financiers se soient lancés, aux côtés des États, dans cette course. Les États ne s’en désintéressent pas pour autant, et peut-être pas seulement pour des raisons directement économiques. Étrange coïncidence en effet que la recherche spatiale, qui avait semblé ralentir après la fin de la « première guerre froide » qui a suivi l’effondrement de l’URSS ‒ auquel elle avait largement contribué (en raison de ses coûts trop élevés pour l’économie de ce pays) ‒ reprenne aujourd’hui de manière décuplée depuis que la « deuxième guerre froide » est réapparue, impliquant plus de pays que la première, et grosse d’une potentielle destruction nucléaire de l’humanité et de toute vie sur le globe. C’est que la présence massive des États les plus puissants dans l’espace est destinée à les aider à espionner et contrôler leurs propres populations et celles des autres, notamment mais pas seulement à travers les communications électroniques, à préparer les guerres de demain, guerres terrestres et « guerres des étoiles », entre belligérants présents dans l’espace, avant d’en être des éléments déterminants.
La course à l’espace n’est donc pas uniquement motivée par la « recherche de la connaissance ». Ses retombées incommensurables en termes financiers et pour la gestion et le contrôle des populations, pour des fonctions de police et militaires, sont suffisantes pour expliquer les investissements gigantesques qui y sont actuellement engloutis (qui ne souffrent probablement la comparaison qu’avec un autre programme militaro-scientifico-industriel du 20e siècle, le projet Manhattan qui permit la mise au point des premières bombes atomiques), et pas seulement la « connaissance ». Mais les enthousiastes de l’exploration de l’espace ont encore trois arguments à nous servir.
Le premier est « le rêve ». Tous les humains rêveraient d’aller dans l’espace, de s’émerveiller à regarder la terre depuis la lune comme l’a fait le gendre idéal, d’écouter « le silence éternel des espaces infinis » et de constater par eux-mêmes que dieu est absent dans le ciel, comme l’avait découvert Gagarine. Cet argument ressemble à une triste fumisterie qui reflète bien la société où nous vivons et ses valeurs. Certes, s’il était possible d’y aller pour un coût modique et sans impact sur l’économie et l’écologie planétaires, réaliser ce « rêve d’enfant », qui sur le pas de la porte regarde le disque brillant de la pleine lune et se demande ce qu’il y a là-bas, vaudrait la peine et serait justifié, mais la disproportion entre le rêve et son coût dans de multiples domaines est telle que la seule attitude raisonnable serait d’y renoncer, et ce faisant de mettre fin aux programmes militaro-policiers et nucléaires qui sous-tendent cette activité. Avant de parler de rêves, ne faudrait-il pas se préoccuper des besoins de base de la majeure partie de l’humanité, en termes de conditions de santé, travail, transports, logement, alimentation, etc. « Chez nous » même, peut-on dire que les enseignants et enseignés, les soignants et les soignés, les employés, ouvriers et paysans sans qui il n’existerait pas de société organisée et fonctionnelle bénéficient-ils de conditions de vie dignes de ce qu’ils méritent ? Ne serait-ce pas parce que la société actuelle est organisée en fonction de l’impératif « économique » d’un profit maximal pour ceux qui la dirigent et la possèdent ? Est-il plus urgent de « distraire » les sans-dents, et de les exploiter à l’occasion, avec de monstrueuses manifestations sportives, des vacances et un tourisme de masse au rabais, des médias leur servant de la propagande et des « œuvres » lamentables, une agriculture industrielle qui les empoisonne ? Et si l’on parle de « rêves », n’y en aurait-il pas de plus modestes mais également plus « humains » que de regarder sur un écran des images de la lune et de l’espace, qui mériteraient, eux, que « la société » s’évertue à les rendre possible, comme d’avoir des conditions de vie et de travail permettant de jouir de loisirs de qualité autrement qu’épuisés, harcelés, brisés, malades ? Et si l’on parle de rêves plus « immatériels », une réunion, une discussion ou un repas entre amis, une promenade en forêt ou une randonnée en montagne, le partage d’une œuvre d’art, la visite d’un lieu inconnu, une rencontre inattendue, et mille autres activités plus « terrestres » ne sont-ils pas des rêves plus « humains » et « naturels » qu’un voyage dépendant de technologies monstrueuses, froides et destructrices ? La réponse « chacun ses goûts » n’a pas lieu d’être ici, car lorsqu’une activité implique la mobilisation de moyens humains et matériels excessifs, et a des conséquences aussi extrêmes sur la biosphère et la société, cette dernière est justifiée à l’interdire en fonction du bien commun, et pas du plaisir de quelques-uns.
Passons au deuxième argument-alibi qui nous est servi par les zélés propagandistes de la recherche spatiale et de la course à la lune : la recherche de vie dans l’univers, dans la perspective de pouvoir un jour entrer en contact avec les représentants de cette « exobiologie ». Il s’agit d’un tour de passe-passe car, qu’il existe ou non d’autres formes de vie dans l’univers, les contraintes matérielles (en termes de possibilité de voyages à la vitesse de la lumière) sont indépassables. Pourrions-nous même envisager de communiquer avec d’autres « civilisations » ? Jared Diamond a même exprimé de manière humoristique mais réaliste cette impossibilité : même si de multiples formes de vie sont apparues dans l’univers, la plupart d’entre elles (comme c’est le cas sur terre où une seule espèce sur 10 à 100 millions l’a fait) ont certainement été incapables d’atteindre un niveau d’organisation et de connaissance leur permettant de développer une technicité assez élevée pour pouvoir communiquer à des années-lumières de distance. Si quelques-unes l’ont fait, leur haut niveau de technicité et d’organisation les a probablement rendues très fragiles, comme notre espèce, qui par sa propre activité a (presque entièrement) détruit les conditions de sa survie sur le globe, qui est entré dans une spirale d’auto-destruction dont la seule inconnue reste les délais, pas la conclusion. Dans l’infini du temps et de l’espace, il est hautement improbable que deux civilisations développées indépendamment dans deux coins de l’univers, et dont les temps sont comptés, puissent se retrouver synchronisées et puissent communiquer entre elles !
Quant à la fable selon laquelle les responsables du développement de la science sur terre s’intéresseraient à la connaissance en soi, et non pas seulement dans un but lucratif, policier ou militaire, le fait qu’actuellement, alors que des milliers d’espèces s’éteignent chaque jour, que nous ne connaissons qu’un million d’espèces sur notre terre qui en compte 10 ou 100, dont plus de la moitié seront éteintes à la fin de notre siècle, il n’existe aucun grand programme national ou international de recherche visant à faire l’inventaire des espèces du globe avant leur disparition, suffit à démontrer que la connaissance « gratuite » est le dernier souci des grandes instances de la recherche mondiale ou national style NSA ou CNRS. Diamond souligne que plus d’argent a été investi par la NSA pour rechercher d’hypothétiques formes de vies extra-terrestres que pour connaître les espèces de notre propre planète, ce qui est hallucinant et pathétique.
La dernière plaisanterie qui nous est servie, sans rire, par quelques multi-milliardaires, est que lorsque nous aurons fini de détruire notre planète, nous pourrions aller chercher refuge dans une autre ! Cette absurdité ne mérite même pas d’être discutée, même si on peut souhaiter au fond de nous que certains de ces « rêveurs friqués », talonnés par les foules en colère, s’embarquent dans des fusées pour des planètes où, bien entendu, ils ne pourront survivre que quelques jours, planètes ou mois. Et je ne saurais trop recommander à ce égard de lire l’admirable nouvelle « Partir c’est mourir un peu moins » de Jacques Sternberg, parue d’abord dans « Fitions » N°51 en janvier 1958 puis à plusieurs reprises en volume.
En conclusion, si dans les années à venir un bouleversement social qui ne saurait être que révolutionnaire (car la voie électorale est bien bétonnée pour rendre cela impossible) parvenait à permettre à la majorité populaire d’un pays, la France par exemple, de prendre le pouvoir et s’emparer du contrôle de l’État, un des premiers actes de cet État, après la fermeture de la Bourse, la saisie de tous les avoirs financiers et le contrôle des flux sortants de capitaux, la saisie de tous les grands groupes industriels et agricoles, après la transformation de la police et de l’armée en outils au service du peuple, serait se mettre fin aux programmes spatiaux, tout comme à ceux de recherche nucléaire. Les budgets géants qu’une telle orientation dégagerait trouveraient immédiatement à être employés au service du bien commun et à la lutte contre les effets destructeurs, pour beaucoup déjà irréversibles malheureusement, causés à l’habitabilité de notre planète par plus d’un siècle de capitalisme et de son ombre portée le stalinisme.
Alain Dubois
4 septembre 2022